LOTFI LAYOUNI, PRODUCTEUR : «C’ÉTAIT PLUS FACILE DE PRODUIRE, IL Y A QUINZE ANS !»

Entretien conduit par Salem Trabelsi – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 30-12-2013.

Lotfi Layouni est parmi les producteurs qui ont accompagné les débuts du cinéma en Tunisie. À l’occasion de la création de la nouvelle chambre syndicale des producteurs, il nous donne son avis sur l’état des lieux du secteur.

Vous faites l’actualité par votre adhésion et votre poste de premier vice-président de la nouvelle chambre syndicale des producteurs de films. Quelle est la raison (au-delà des dénominations) de ce clivage avec l’ancienne chambre qui continue d’exister ? Et que peut apporter la nouvelle chambre ?

  • Il faut d’abord comprendre que la chambre syndicale des producteurs initiale accepte sans distinction l’adhésion de toutes sortes de sociétés de production et il y en a à peu près 400. Elle réunit des producteurs qui, souvent, n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes intérêts à défendre.
    À ce jour, il n’y a encore aucune réglementation de classification des sociétés de production. À l’instar de ce qui se fait en Europe, nous avons décidé de créer une chambre spécifique aux producteurs de longs-métrages, dont l’adhésion doit être conforme aux critères d’éligibilité établis. Le bureau de notre nouvelle chambre syndicale a établi un programme de réflexion et d’action ambitieux, sur trois ans, pour moraliser, organiser, développer et dynamiser le marché du cinéma. Il s’agit également de promouvoir la distribution du cinéma tunisien au niveau national et international selon une vision d’avenir, en s’appuyant sur  une étroite collaboration avec les associations professionnelles concernées, et par la création de nouvelles structures qui vont contribuer à la réussite de notre programme.
    Devant le changement du paysage politique actuel, nous ne pouvons pas rester les bras croisés pour qu’on décide de notre sort.

Malgré les évènements du 14 janvier et les changements politiques, le cinéma tunisien semble toujours empêtré dans les mêmes problèmes. Pourquoi, selon vous ?

  • La production et la distribution du film tunisien sont encore régies par des lois et décrets qui sont complètement dépassés. Le changement de cette réglementation est confié au CNCI, dont le démarrage a été très lent pour plusieurs raisons.
    Et si le cinéma tunisien reste empêtré dans les mêmes problèmes comme vous le dites, c’est parce que, tout d’abord, il a besoin d’une réforme globale. En fait, le cinéma tunisien souffre de plusieurs maux, d’abord du manque de scénaristes professionnels qui peuvent améliorer la qualité d’un scénario, d’un manque de financement à la production du fait qu’en Tunisie, excepté la subvention du ministère de la Culture, c’est la forêt vierge ! Durant les années 90 et début 2000, le financement du cinéma tunisien bénéficiait de l’apport de la Télévision Nationale, de la télévision privée Canal Horizon à l’époque et de l’à-valoir distributeur. C’était plus facile de produire il y a quinze ans ! Le financement dû au marché tunisien couvrait près de 70% du coût du film ! Où en sommes-nous aujourd’hui !
    Quant aux événements du 14 janvier, ils ont permis le développement rapide de la production documentaire grâce, entre autres, à la mise en place par le ministère de la Culture d’un fonds d’achat des droits non commerciaux des films non subventionnés. Ceci dit, la révolution tunisienne a été récupérée par la Troïka, dont les islamistes ne voient pas d’un bon œil l’existence de la culture artistique, ce qui représente une grande menace pour les artistes et la preuve !

Croyez-vous vraiment que le CNCI  (au rythme où il avance) sera la solution aux problèmes ?

  • Évidemment, non ! Mais il faut que le CNCI prenne son rythme de croisière, et ceci dépend de toutes les organisations professionnelles qui composent le conseil stratégique et d’orientation en son sein.

Par quoi expliquez-vous le manque de coproduction internationale dans le cinéma tunisien ?

  • Le cinéma tunisien a connu et continue à connaître la coproduction internationale. Le dernier film sorti,  Bastardo,  en est un exemple. La coproduction dépend de l’actualité du scénario, de la profondeur de son sujet à atteindre l’universel, de la renommée de son réalisateur et de son producteur et du marché commercial qu’il peut fédérer. Beaucoup de films tunisiens ont connu une distribution internationale relative à notre genre de cinéma.
    Mais la coproduction internationale n’est pas une fin en soi. Il faut que le cinéma tunisien trouve en Tunisie 70% de son financement et que l’apport étranger complète son financement. Selon moi, l’avenir de la coproduction internationale est d’abord maghrébin et pour cela il faut une politique, culturelle en général et cinématographique en particulier, conséquente. Bien qu’on puisse constater des cas isolés de coproduction de films tunisiens avec le Maroc et l’Algérie, cet engagement est à sens unique, donc bénéfique seulement aux  films tunisiens. Cette coproduction maghrébine n’est d’ailleurs plus possible aujourd’hui.

Les films tunisiens souffrent-ils encore de ne pas trouver de distributeurs à l’étranger ? Pourquoi, selon vous ?

  • À ce jour, nous n’avons aucune structure de promotion du film tunisien qui permettrait  d’ouvrir des marchés à la distribution du film. Dans son programme d’action, notre chambre syndicale va s’atteler à mettre sur pied cette structure indispensable à la distribution internationale.
    Le producteur tunisien de films de long-métrage reste le seul vis-à-vis du marché national  et international, ce n’est pas normal que ça continue ainsi !

Pourquoi n’a-t-on jamais réussi à organiser un vrai marché du film en Tunisie ?

  • C’est difficile d’organiser un vrai marché du film en Tunisie, parce que la Tunisie n’est pas un marché cinématographique, comme elle n’est pas un marché télévisuel. Mais il faudra imaginer quelque chose dans ce genre en s’associant avec les pays maghrébins et arabes, par exemple.

Le documentaire en Tunisie est en train de surpasser la fiction en termes de quantité, mais aussi en termes de qualité. Par quoi l’expliquez-vous ?

  • Le soulèvement du 14 janvier a fait éclater les barrières de la censure qui existaient avant l’heureux événement, ainsi que l’autocensure qui était en nous. La liberté d’expression retrouvée a permis à beaucoup de cinéastes de s’exprimer librement et rapidement, et à beaucoup de producteurs de s’engager dans la voie de la production documentaire. Il est à noter que le documentaire coûte de loin moins cher à la production qu’un film de fiction, et de ce fait devient à la portée des producteurs motivés par ce genre. 
Ensuite, comme je l’ai déjà dit, le fonds d’achat des droits non commerciaux de films non subventionnés du ministère de la Culture a participé en grande partie à la multiplication de ce genre de films.
    Quant à la qualité du documentaire, elle ne surpasse en rien celle de la fiction. Il faut savoir que le documentaire, de par son genre et son mode de production, offre plus de liberté au cinéaste pour s’exprimer. Le spectateur tunisien est en train de découvrir le documentaire à problématique, qui nous manquait avant le 14 janvier.

Auteur : Entretien conduit par Salem Trabelsi

Ajouté le : 30-12-2013

Source : http://www.lapresse.tn/


 

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