Le piratage des films, albums de musique, logiciels et autres supports audiovisuels constitue une aubaine pour certains jeunes diplômés et même une antichambre pour un emploi stable.
Résultat, ce métier «prohibé» en principe donne au monde du business numérique une autre facette aux antipodes d’une économie émergente. Néjib Ayed nous en parle.
Que pensez-vous du piratage en Tunisie ?
La Tunisie, comme la plupart des pays du monde, est contaminée par l’industrie du piratage. Aucun secteur n’y échappe. Le cinéma et surtout les feuilletons et les films, sans oublier la musique, en souffrent aujourd’hui. Pour moi, c’est un manque de civisme flagrant. L’un des critères qui déterminent le degré maturité, c’est le respect du droit d’auteur. Malheureusement, nous sommes dans une logique où ce droit n’est pas respecté. Et c’est dommage.
Vos productions sont-elles victimes du piratage ?
Il y a quelque temps, on m’a téléphoné pour me dire que le feuilleton «Sayd Arrim» est actuellement en vente. C’est malheureux et cela relève, à mon sens, d’un manque de civisme. Outre ce sitcom, la musique originale qui est composée par Sabeur Rebai est aussi en vente. C’est un manque à gagner pour la société de production et pour les artistes. A mon avis, c’est une insulte à la culture. Certains prétendent qu’on doit faire un traitement spécial en tolérant à certains cas sociaux de pirater des productions étrangères. Pour moi, quand on pirate une production étrangère cela me concerne aussi. Un citoyen, ou il respecte le droit d’auteur ou il ne le respecte pas. Nous disposons pourtant de lois et l’on doit les faire respecter.
Il existe, comme vous l’avez souligné, des lois interdisant le piratage, tandis que les tenanciers se disent pourtant détenteurs d’autorisations pour exercer leurs activités en toute légalité.
N’existe-t-il pas là une contradiction ?
Il y a deux lois qui ont été décrétées pour réprimer le piratage. D’abord celle de 1984, relative aux vidéoclubs et aux images en général, qui n’a jamais été appliquée puisque les textes n’ont pas été promulgués. Il y a, ensuite, celle de 1994 qui est une loi de protection très importante mais à laquelle il manque la pénalisation du piratage. Cette loi ne contient pas de disposition policière ; c’est-à-dire que les contrôleurs, après avoir constaté le piratage, ne peuvent pas fermer le local. Ils ne peuvent sanctionner son tenancier que d’une pénalité financière qui est une somme dérisoire de 500 dinars. Logiquement, ce texte doit être assorti d’une possibilité de pouvoir fermer les locaux où sont saisis les supports piratés. En effet, à la fin des années 70, l’autorité centrale a délégué ses responsabilités de contrôle des vidéoclubs aux autorités régionales qui ont envisagé l’ouverture des vidéoclubs comme une gratification sociale ; c’est-à-dire qu’on doit pardonner l’exercice du métier aux gens de condition difficile ou en chômage. Ainsi, et au fur et à mesure des années, le piratage s’est institutionnalisé.
Selon vous comment éradiquer le piratage sans pour faire du mal aux gens en difficulté ?
A mon sens, l’Etat fait face à un dilemme. S’il applique la loi et ferme les nombreux centres de gravures, c’est, en quelque sorte, une atteinte aux revenus des personnes vivant dans des conditions difficiles qui seront mises immédiatement au chômage. D’un autre côté, s’il n’applique pas la loi, les tenanciers des centres de gravure et des vidéoclubs vont toujours continuer à violer le droit d’auteur et donc à pirater. Or, on le sait, le piratage représente un manque à gagner pour les producteurs et les artistes. Officieusement, dans toute la Tunisie, il y a 30 000 points de vente, mais officiellement le nombre des personnes qui pratiquent du piratage dépasse les 70 000. En cas d’application de la loi, c’est donc la perte de milliers d’emplois. Maintenant aussi bien l’Etat que les artistes se trouvent dans une impasse totale.
Pensez vous qu’il est toujours possible d’appliquer les mesures de répression prévues par la loi, sans porter atteinte aux revenus de ces milliers de personnes ?
Pour ma part, l’application de la loi ne mène pas pour l’instant à des grands résultats probants. Des exemples montrent que l’issue n’est pas garantie. Nous l’avions fait, par le passé, avec le film «VIH Kahloucha». Nous avons fait venir un notaire pour constater le piratage de ce film et entrepris les démarches nécessaires auprès du juge. Les points de vente fautifs ont été fermés provisoirement, et, ensuite il n’y a eu aucune autre sanction dissuadant certains vendeurs de ne plus exercer ce métier. Certains ont promis ne plus pirater les films tunisiens et c’est tout. Mais quelque temps après ils reviennent à la charge. A mon sens, la lutte contre le piratage doit être intégrée dans une politique générale prenant en charge le dossier à bras-le-corps. Il suffit seulement d’appliquer la loi de 1984 qui acculait les vidéoclubs à être agréés et faire les duplications des supports. Il en est de même pour les détaillants qui seront réglementés et dont le cachet doit figurer désormais sur les supports. Il était aussi question qu’un timbre fiscal soit collé sur chaque support dupliqué. Ce qui faisait gagner aux sociétés des revenus en plus. Il est toujours possible de reprendre cette loi et de l’appliquer pour minimiser le manque à gagner du piratage qui n’est malheureusement pas un phénomène propre à la Tunisie seulement.
Propos recueillis par O.W.
Source : Le Quotidien
Ajouté le : 2009-04-02 06:51:46
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