MOHAMED ALI EL OKBI (CINÉASTE, PRODUCTEUR, SG. DU BUREAU PROVISOIRE DE L’ACT) : METTRE EN PLACE UN SYSTÈME DÉMOCRATIQUE

Par Samira Dami – La Presse de Tunisie | Publié le 16.02.2011.

Auteur-réalisateur de deux longs-métrages phares : Les Zazous de la vague en 1992 et Un Ballon et des rêves en 1978, Mohamed Ali El Okbi a également réalisé plusieurs documentaires, dont Des Journées pas comme les autres sur les JCC en 1976.

Il alterne ensuite sa carrière de réalisateur avec le métier de premier assistant-réalisateur sur de grandes productions importantes, qui lui ont permis de travailler en tant qu’assistant-réalisateur avec de grosses pointures du cinéma mondial, tels Steven Spielberg, dans Les Aventuriers de l’arche perdue, Polanski dans Pirates, ou Zefirelli dans Toscanini et d’autres. À partir de 1993 et jusqu’en 2005, il est gérant de la société Label Ogilvy, agence de conseil en communication, dont il est le fondateur.

Il réalise et produit une soixantaine de films publicitaires, dont la plupart ont connu un succès dû à sa marque de fabrique reconnue, à savoir humour et dérision.

En 2006, il monte, enfin, sa propre société de productions Dprods qui, après deux ans de productions de spots publicitaires, entame la production de son 3° long-métrage de fiction, Les jeunes loups. Élu secrétaire général du bureau provisoire de l’Association des cinéastes tunisiens, il nous a accordé cet entretien. Écoutons-le.

Depuis Les Zazous de la vague, sorti en 1992, vous n’avez plus réalisé de films de fiction, pourquoi ?

  • Après ce long-métrage, j’ai, grâce à mon agence «Conseil en communication» Label Ogilvy, réalisé une soixantaine de spots publicitaires où j’ai donné libre cours à la création immédiate. Car, un long-métrage de fiction nécessite quatre à cinq ans de préparation, de montage financier, etc. Or, une pub, c’est seulement un mois de travail. Mais entretemps, je ne me suis pas croisé les bras, puisque j’ai écrit un scénario, Les jeunes loups, où je raconte une histoire familiale sur le mode de la comédie musicale.
    Actuellement, je cherche désespérément un producteur. Mais, avec la révolution du peuple, je pense que tous les espoirs sont permis. Justement, quel regard jetez-vous en tant que cinéaste sur cette révolution ? Le grand acquis de cette révolution, c’est de pouvoir remettre en question les autorités et même les plus extrêmes. Rien ne sera plus comme avant après la révolution et je pense que ce qu’on a vécu de Bourguiba à Ben Ali pendant 60 ans, c’est un même système, sauf que le premier était un despote éclairé, cultivé et, le deuxième, un dictateur sans culture. Je pense réellement qu’on a vécu un système qui s’est reproduit dans tous les ministères, soit des groupes aux intérêts ambigus ou carrément affichés qui jouissent et écartent tous les autres. Ce schéma ne pouvait durer indéfiniment, car avec la montée de toute une jeunesse qui s’est retrouvée marginalisée en raison de cette garde rapprochée qui a tout raflé, il est normal que ça explose.

Qu’est-ce qui vous a poussé à être candidat pour le bureau provisoire de l’ACT dont vous êtes le secrétaire général ?

  • C’est pour éviter que les nouvelles générations de cinéastes ne subissent ce que j’ai souffert quand j’avais leur âge. Je faisais partie d’un groupe de cinéastes qui ont été victimes de ceux qui ont monopolisé la création durant les deux dernières décennies. En 30 ans, je n’ai réalisé que deux longs-métrages Un Ballon et des rêves et Les Zazous de la vague. Nous avons vu des gens siéger dans des commissions d’octroi d’aide à la production qui n’avaient rien à voir avec le cinéma et je ne parle pas uniquement des universitaires.
    La composition de ces commissions est à revoir, à preuve le nombre de films jugés sur scénario ayant obtenu des subventions et qui, à l’arrivée, s’avèrent mauvais ou carrément nuls.

Quels sont les dossiers les plus urgents que vous allez traiter ?

  • Nous nous sommes donné six mois pour organiser une assemblée générale élective avec un nouveau bureau de l’ACT. Entretemps, nous allons entamer une réflexion sur le cinéma, afin de mettre en place un système démocratique où prime l’alternance. Personne ne peut demeurer président à vie à la tête de l’ACT, ou d’une autre organisation.
    Nous avons constitué plusieurs commissions de réflexion, quatre en tout : la Commission des financements de films et de la création du centre national du cinéma tunisien (Cnct), la Commission de la carte professionnelle et de l’enseignement des écoles de cinéma, la Commission des libertés et enfin la Commission de lutte contre les malversations.
À toutes ces commissions participent des jeunes omniprésents afin d’assurer cette dynamique nécessaire au développement et à l’avancée de notre cinéma, lequel a besoin d’actions et de mesures importantes pour exister et émerger sans heurts dans une belle harmonie garantie par la loi, tel l’autofinancement à travers des avoirs tuniso-tunisiens (télés, radios, mécènes, sponsors, laboratoires de Gammarth, etc.) ; la création d’un Cnct qui chapeaute le secteur, qui doit être indépendant du ministère de la Culture, et qui, entre autres, serait garant de la liberté de tournage et d’expression, enfin la construction de multiplexes, notamment dans les grandes banlieues. 
Au final, il faut instaurer plus de démocratie dans les choix de films pour l’aide à la production. Car comment expliquer que depuis l’indépendance si peu de films de qualité ont émergé ? Certains cinéastes ont monopolisé la création pendant près de 30 ans, maintenant, il est temps de faire place aux jeunes aussi.
    Nous avons remarqué que dans les commissions de réforme ou de réflexion sur le cinéma, il y avait une confrontation, voire un schisme entre les anciens et les jeunes.
    Cette dichotomie entre les jeunes et les moins jeunes est normale, à mon avis, j’ai été le premier à dire, lors du premier jour de l’assemblée générale du bureau provisoire, que les jeunes doivent investir les plateaux de télévision, participer aux débats et à toutes les actions dans le secteur audiovisuel et du cinéma. Leur maturité et leur avidité de libertés, entre autre la liberté d’expression, ne peuvent qu’enrichir les débats.

Justement, est-ce que le bureau provisoire de l’ACT reflète cette orientation vers les jeunes ?

  • Absolument. Sept membres sur neuf du bureau provisoire de l’ACT, présidé par Mounir Baâziz, assistant-réalisateur, sont des jeunes, dont le vice-président, Amine Chiboub, un jeune réalisateur. Tous ces jeunes ont apporté une réflexion fondamentale pour garantir un cinéma de qualité. Que les meilleurs et les plus talentueux s’imposent, loin de toute appartenance politique !

Plusieurs documentaires sont actuellement en train d’être réalisés sur la révolution, qu’en pensez-vous ?

  • J’adhère s’il s’agit de documentaires de création sentis, avec un regard original sur la révolution, mais si ce ne sont que des documentaires d’information comme ceux que montrent les télés, du matin au soir, je n’en vois pas vraiment l’intérêt, car il serait plus judicieux d’avoir un recul pour faire un documentaire marquant et intéressant qui compte, car on le sait, l’opportunisme cinématographique est dangereux. Évitons-le.

Samira Dami

Source : http://www.jetsetmagazine.net/


 

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