
La reconquête de l’Amérique… par l’image
Par Rachida ENNAIFER – La Presse Week-end du 13 août 1988
L’idée est plus que séduisante. Reconquérir l’Amérique Latine, cela s’entend – par l’image. Et pas n’importe laquelle ! Celle du jeune cinéma arabe.
«Ahlem El Medina» de Mohamed Malass, «Noces en Galilée» de Michel Khleifi, «Kafr Kacem» de Borhane Alaoui, «Alexandrie pourquoi ?», de Youssef Chahine, «Les Baliseurs du désert» de Naceur Khemir, «L’Homme de cendres» de Nouri Bouzid, «Poupée de roseaux» de Jilali Farhati, «La Mer cruelle» de Khaled Essedik… et bien d’autres petits chefs-d’œuvre seront vus, pour la première fois, par les publics chilien, argentin, brésilien et peut-être mexicain.
Entreprise colossale que de faire transporter des dizaines de bobines de films qui, à quelques exceptions près, n’ont jamais quitté les frontières de leur pays d’origine.
Rares en effet sont les films qui ont pu être distribués dans les autres pays arabes. Quant à l’Europe, si elle s’ouvre à un film le temps d’un festival, c’est pour mieux fermer ses frontières tout de suite après.
Et ce n’est pas toujours à cause d’un manque d’intérêt pour le sujet ou d’une faiblesse de l’écriture cinématographique.
La distribution d’un film est une technique et un art que les jeunes cinématographies sont loin de maîtriser. C’est aussi une affaire de marché. Et qui dit marché, dit gros sous. Or ce jeune cinéma trouve déjà assez de difficultés financières pour être produit. Que dire de la distribution !
Il était temps alors de réfléchir de manière concrète à cette question. Après les réalisateurs, c’est au tour des producteurs de chercher des solutions nouvelles. Le projet de l’organisation d’une semaine du film arabe en Amérique Latine (cf «La Presse» du 4 août 1988) en est une. Prospecter le marché latino-américain en y organisant une manifestation culturelle est une idée de Mardian Film International.
La première est une entreprise de distribution et de promotion du film en Amérique latine et en Europe. Tunisia Film International est une entreprise groupant les producteurs tunisiens d’envergure et œuvrant pour la promotion et la vente de films tunisiens.
Pour les deux prompteurs, cette semaine sera le coup d’envoi d’une campagne de sensibilisation des distributeurs cinéma et vidéo, des organisations non gouvernementales, des télévisions également, en vue de la programmation du film arabe.
«Un marché potentiel existe, nous déclare M. Ahmed Attia, président de Tunisia Film International. Mais il faut travailler pour le conquérir. Jusqu’ici et en dehors de l’Égypte, il n’y a pas de politique structurée et réfléchie de commercialisation des films arabes à l’étranger. Quant aux gouvernements de nos pays, ils sont encore loin de considérer le cinéma comme un produit exportable et économiquement rentable. Nous ne bénéficions d’aucune aide, car nous ne sommes pas considérés comme des opérateurs sérieux au même titre que les industriels dans différents domaines économiques. Le C.E.P.E.X, à titre d’exemple, ne nous accorde aucune aide spéciale pour soutenir notre présence sur les marchés internationaux… Nous venons de créer Tunisia Film International qui regroupe les principaux producteurs tunisiens, dont la SATPEC, pour contourner ces difficultés».
Mais au-delà des difficultés propres à chaque pays arabe, le public latino-américain accueillerait-il favorablement ce type de cinéma ?
«II est vrai que nous sommes soumis au régime de la production nord-américaine, nous confie Mme Marcia Ouarrubias, présidente de Mardian Film International – Latin America.
Seulement je suis persuadée que si nous donnons au public l’occasion de voir le jeune cinéma arabe, il serait interpellé par la problématique et la démarche. Ceci en plus du fait de l’existence d’une importante communauté, certes tout-à-fait intégrée à son environnement latino-américain, mais également très attachée à ses origines et assoiffée de tout ce qui peut la rapprocher du monde arabe d’aujourd’hui. Rien qu’au Chili, on peut dénombrer 450.000 Palestiniens…
Un nouvel espace à explorer, ou plutôt à reconquérir. Mais avec quels moyens ? Jusque-là, seule la Ligue des États arabes a assuré les organisateurs de cette importante manifestation de son soutien moral et financier. On attend la suite.
Rachida ENNAIFER
La Presse week-end du 13 août 1988
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