
Par Taoufik Yakoubi – La Presse de Tunisie du 19 mars 1975
Le court-métrage d’animation «Petite histoire d’œufs» projeté lundi dernier à la cinémathèque vient nous rappeler, s’il en est besoin, qu’en dépit des structures cinématographiques le plus souvent déficientes, certains cinéastes ne désarment pas, se démènent tant bien que mal et parviennent à réaliser des films.
Mohamed Charbagi est un de ceux-là : ancien cinéaste amateur, il a entrepris en France, de 1968 à 1970, des études cinématographiques a l’Institut français du Cinéma et de 1971 à 1973 des études sanctionnées par un diplôme au département d’études cinématographiques et audiovisuelles de la Sorbonne. En 1970-71, il effectue un stage à l’ORTF où il est assistant de Claude Goretta dans «Le Vertige» et de P. Jouliat dans «Légion». C’est d’ailleurs l’ORTF qui a coproduit le film à raison de 40%, le reste étant à la charge du réalisateur. D’une durée de 10 minutes 30 secondes, le film à couté 7200 dinars.
Le sujet du film pourrait être le suivant : un personnage vivant dans un pays démuni et n’arrivant pas à survivre dans son milieu, décide d’émigrer et gagne une contrée de Blancs. Il est d’abord empêché d’y entrer, puis après quelques tentatives il parvient à y pénétrer. Animé par les charmes d’une femme de cette nouvelle civilisation, il veut devenir Blanc.
N’y arrivant que partiellement, l’émigré continue à être repoussé par ce milieu où il n’est qu’un intrus. De retour dans son pays, il est rejeté également par les siens, n’étant plus lui-même. Après quelques tentatives infructueuses, il se suicide.
En quoi a consisté le procédé d’animation utilisé par le réalisateur ? Tout simplement à remplacer les personnages par des œufs noirs et blancs, se déplaçant sur du sable ou du gravier. Du polystyrène a été utilisé pour la construction de la ville.
«J’ai opté, fait remarquer M. Charbagi, pour cette technique d’animation parce qu’elle est la plus adaptée à mon scénario qui n’est qu’une parabole sur l’émigration et une de ses conséquences, l’aliénation culturelle. Cette technique permet également au cinéaste d’exercer son talent de créateur dans toutes les étapes de réalisation du film, ainsi que de rompre l’impression de réalité qu’on trouve le cinéma d’animation classique.
Dans le cinéma habituel, le réalisateur fait un choix entre les divers éléments existant déjà (acteurs, décors…). La principale difficulté consiste en ce qu’un film d’animation exige trois fois plus de travail et le coût peut dépasser le double d’un film de fiction».
Le choix de l’émigration pour sujet de son premier film n’est pas fortuit. M. Mohamed Charbagi, qui vit en France depuis plus de six ans, a eu maintes fois l’occasion de connaître de près des émigrés, ouvriers ou autres, aux prises avec de nombreux problèmes dont le moindre n’est pas celui de l’aliénation culturelle.
«L’émigré, dit Charbagi, est un individu dominé dans le pays où il vit, aussi bien par la culture que par le nombre. Deux cas peuvent se présenter : l’émigré ne tient pas le coup et regagne son pays, ou bien il tente de s’intégrer dans une société qui lui est – tel qu’il est – hostile. Il accepte des compromis, voire des compromissions, sans réussir toutefois à devenir l’autre. Cette nouvelle situation ne lui permet pas de s’insérer dans le pays d’accueil et lorsqu’il retourne chez lui, il se trouve confronté à d’énormes contradictions.
C’est pour cela que je casse l’œuf noir à la fin du film, parce que la solution ne se trouve pas au niveau individuel mais au niveau de tout ce groupe. Les implications sont donc beaucoup plus graves que celles prévalant pendant la période coloniale, dans la mesure où l’individu est en mesure de mieux se défendre en groupe contre l’aliénation culturelle. Ce film est un simple constat, il ne prétend pas apporter de solution».
Pour le réalisateur de «Petite histoire d’œufs» qui a exigé six mois de travail et est sorti des laboratoires il y a cinq semaines environ, les difficultés ne sont pas finies, on serait même tenté de dire qu’elles commencent. D’abord un problème de nationalité, car bien que ce film soit réalisé et cofinancé par un Tunisien, il a fallu faire appel à une société française pour gérer les fonds et le film se trouve sur le plan juridique de nationalité française. Des pourparlers sont actuellement engagés avec une société cinématographique pour lui conférer la nationalité tunisienne.
Quant à la distribution, si l’ORTF se charge du secteur télévisé en France, il reste à le distribuer dans tous les autres pays, aussi bien pour le cinéma que pour la télévision. En ce qui concerne la Tunisie, les droits de distribution ne sont pas encore vendus.
Des projets, comme tout cinéaste Mohamed Charbagi en a, mais il ne veut pas en parler avant qu’ils soient à un stade très avancé.
Cependant il espère trouver tous les encouragements de la part des autorités concernées pour entamer son second film.
Taoufik Yakoubi
La Presse de Tunisie du 19 mars 1975
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