FÉDÉRATION TUNISIENNE DES CINÉASTES AMATEURS (FTCA) : 6O ANS DE DYNAMISME ET DE CRÉATIVITÉ (2)

Par Mouldi FEHRI – cinematunisien.com – Paris, le : 11.08.2022

Suite et fin…

A partir des années 1980, la FTCA n’est plus ce qu’elle était avant cette date. Beaucoup de changements sont intervenus et pratiquement à tous les niveaux. Faut-il s’en réjouir, ou y voir un risque de perte d’identité ?

La réponse se trouve probablement entre les deux. Mais, ce qui est sûr c’est que toute organisation est appelée à évoluer dans le temps, à s’adapter aux nouvelles conditions de son environnement et au contraire toute stagnation la condamnerait à la disparition.

Ceci étant et n’ayant pas vécu (ou connu) cette dernière période de près, l’objectivité et l’honnêteté intellectuelle voudraient qu’on se limite dans cette présentation à faire de simples constats et surtout à poser (ou se poser) quelques questions, pour mieux comprendre ce qui s’est passé, au lieu de se lancer dans d’éventuels jugements qui risqueraient d’être hasardeux, voire complétement erronés.

Parmi les premières constatations qu’on peut faire, c’est que :

  • 1 – Ce mouvement a connu, lors de son congrès de Mjaz El Bab en 1981, un nouveau tournant dans son histoire, avec l’adoption d’un texte fondamental appelé «la Plateforme culturelle». Et ce texte, de l’avis de plusieurs observateurs et cinéastes amateurs, constituait une véritable radicalisation de la fédération, faite et décidée en réaction aux incidents qui se sont produits en 1979 lors du festival de Kélibia avec le ministre de la Culture, dont l’attitude, pour le moins, autoritaire et irresponsable, avait complétement perturbé la séance de clôture du Festival.
    Et ce qui ressort de cette «Plateforme» c’est qu’elle prônait, non seulement, un cinéma militant, (ce qui n’apportait rien de nouveau par rapport à ce qui se faisait déjà), mais surtout qu’elle imposait pratiquement aux cinéastes amateurs de ne traiter que des thèmes liés à des causes sociales et d’essayer de les refléter le plus fidèlement possible, quitte à ce que la forme technique et artistique soit passable, voire même médiocre. De ce point de vue, l’important dans la production devenait ainsi le thème traité par le cinéaste amateur et certainement pas la qualité esthétique de son film. Evidemment, une telle conception de la production cinématographique est difficilement acceptable et tout-à-fait indéfendable. Cela ressemble à une simple méconnaissance des règles de base de toute forme d’écriture. Et c’est un peu comme une lettre écrite avec des mots mal orthographiés et donc totalement illisible et incompréhensible pour son destinataire. Sans rentrer, donc, dans une polémique qui serait totalement inutile à ce sujet, disons simplement qu’il est toujours raisonnable (comme on dit) de ne négliger ni le fond, ni la forme. Servir les causes sociales est tout-à-fait juste, noble et nécessaire, mais ne devrait pas pousser le cinéaste à oublier qu’il fait aussi une œuvre artistique répondant à des règles qu’il ne peut et ne doit négliger.
  • 2 – La FTCA dispose aujourd’hui (et on ne peut que s’en réjouir) de moyens financiers qui n’ont absolument rien avoir avec ceux dont elle disposait au cours des années 1962 à 1980. Et cette augmentation significative du budget est aussi bien valable pour la Fédération que pour le FIFAK. Par conséquent, on pourrait logiquement estimer que la Fédération comme le Festival sont désormais en capacité de développer leurs activités avec moins de difficultés qu’auparavant. Mais, comme on sait aussi que les besoins et charges d’aujourd’hui sont de loin beaucoup plus importants que ceux de la période précédente, on ne peut qu’espérer une poursuite du renforcement de ces moyens financiers et une diversification de leurs sources.
    Ceci étant, on pourrait, toutefois, formuler à la fois une crainte et un souhait : 1. Une crainte de voir la FTCA et le FIFAK développer ce qu’on pourrait appeler des «liaisons dangereuses avec l’argent» et aller vers des formes de dépenses répondant à des critères soit commerciaux, soit populistes et s’éloigner ainsi consciemment ou inconsciemment de l’identité militante qui a toujours caractérisé ce mouvement et surtout de son attachement à la simplicité. 2. Un souhait pour qu’une part importante du budget soit orientée, chaque année, vers toujours plus de formation pour les adhérents et plus de nouveaux matériels acquis en nombre suffisant pour qu’aucun club (et aucun projet de film) ne soit bloqué ou gêné dans sa production.
    En disant cela, nous restons confiants et optimistes, car nous n’avons aucune raison de mettre en doute la bonne gestion assurée par les directions successives de la FTCA.,
  • 3 – Les nouvelles technologies du numérique et les différents moyens de production, dont disposent les cinéastes amateurs d’aujourd’hui sont tellement développés, précis et perfectionnés que la «réalisation d’un film» ne présente plus aucune sérieuse difficulté. Bien entendu, cela n’est pas aussi facile qu’on le pense, mais par rapport aux conditions de travail qu’on pouvait avoir avec une caméra 8 mm, 16 mm ou de la vidéo, …, cela devient presque un jeu d’enfant. Et à partir de là, la question qui se pose est, bien sûr, de savoir comment définir le cinéma amateur d’aujourd’hui, après tous ces changements et toutes ces innovations technologiques ? Et où se situe réellement la ligne de démarcation avec le cinéma professionnel, si on exclue le seul fait que contrairement au professionnel, l’amateur ne vit pas des films qu’il produit ?
  • 4 – Tous ces nouveaux équipements audiovisuels sont désormais vendus à des prix de plus en plus abordables, à tel point que chaque cinéaste amateur (ayant des revenus corrects) peut pratiquement disposer de son propre matériel. Et tant mieux, puisqu’il s’agit d’une réelle démocratisation de l’accès à ces outils de production.
    Mais, là aussi, la question qui se pose est de savoir comment doit se passer, par exemple, la formation dans ces nouvelles conditions ? Qu’en est-il du respect de la nécessaire progressivité dans la formation et du passage de la photo au cinéma ? Y-a-t-il un contrôle à ce niveau ? Par qui et comment est-il exercé ? Ou, est-ce que chacun se débrouille comme il peut et sera jugé par la suite sur le produit fini qu’il présentera pour une éventuelle participation au Festival ? Et si oui, quel serait donc le nouveau rôle de la Fédération dans la conception et la pratique de la formation ? N’y a-t-il pas aussi un risque de voir la FTCA se transformer progressivement en une sorte de coquille vide, avec des clubs où il y aurait de moins en moins d’adhérents, au profit d’un nombre toujours plus grand de cinéastes amateurs indépendants ? Quel droit aurait alors la FTCA d’empêcher ces derniers de vouloir travailler en toute indépendance et en dehors de toute structure ? Ne risque-t-on pas de nous retrouver, à la longue, avec un Bureau Fédéral de la FTCA transformé en un «Comité de préparation et de direction du FIFAK», sans aucune autre activité significative en cours d’année ?

Toutes ces questions et d’autres encore se posent et nécessitent une sérieuse réflexion collective, des réponses concrètes et une stratégie à long terme, pour que le mouvement des cinéastes amateurs tunisiens ne perde ni son identité, ni son avenir. Il en va probablement aussi de l’avenir de notre cinéma national.

Et pour finir, posons ensemble la question qui fâche :

A qui profite l’abandon de la «direction collégiale» ?

Au début des années 1980, soit dix ans après l’instauration de «La Réforme» (entrée en application en 1971), nous apprenions, avec beaucoup de stupéfaction, que la FTCA a de nouveau un président, un vice-président, un secrétaire général, etc…Bref, qu’elle retrouve une forme de direction hiérarchique, basée, bien entendu, sur un pouvoir de décision individuel. L’événement était incontestablement de taille et constituait, à notre sens, un revirement très dangereux et un tournant décisif dans l’histoire de ce mouvement. Il apparaissait même inconcevable que cette Fédération puisse renoncer d’un seul coup au principe de la direction collégiale qu’elle a mis en application et défendu avec tant d’acharnement, tout au long des années 1970.

Que s’est-il donc passé ? Qui avait pris cette décision ? Dans quelles conditions ? Et avec quelles intentions ?

C’est là un certain nombre de questions que nous nous posons et que tout cinéaste amateur tunisien a (aura toujours) le droit sinon le devoir de se poser. Car enfin, le principe de la direction collégiale, tel qu’il a été défini par «La Réforme» n’était pas un slogan ou une simple expression creuse et vide de tout sens. Tout au contraire, «c’est l’exercice du pouvoir de décision par l’ensemble des cinéastes amateurs adhérents, exercice direct et en tout moment voulu. La décision finale est celle de la majorité. Elle est l’exercice sans intermédiaire de la totalité du pouvoir de décision par l’ensemble des cinéastes. Ainsi, ils exercent réellement leur pouvoir.

La direction individuelle crée une hiérarchie entre les cinéastes, en les scindant en cinéastes responsables (ou administrateurs) et en cinéastes non-responsables dépendants des premiers. Cette division engendre une inégalité entre ceux qui décident et ceux qui se soumettent. Elle fausse les relations entre les cinéastes et crée une atmosphère bureaucratique défavorable à l’esprit démocratique, seule condition de réussite d’une activité de groupe.

Avec la direction collégiale plus de division et plus de hiérarchie. Tout accaparement du privilège de la décision est éliminé et les amateurs en même temps «responsables et cinéastes» décident collectivement. Le système de direction collective conçoit la responsabilité comme un droit-devoir partagé d’une façon égale entre tous les cinéastes. Plus de galons. Plus de privilèges. Plus d’honneurs. La direction collective est un remède à une conduite sociale très néfaste : décider seul. Travailler seul. Abuser. Profiter. La direction collective supprime l’individualisme et développe l’esprit d’équipe et la sociabilité». Elle est, en outre, une direction organisée et seule une application déviante de ce principe tel qu’il a été défini par «La Réforme» peut aboutir à l’anarchie. Enfin, elle est antibureaucratique et remplace la hiérarchie de postes par une hiérarchie d’instances.

Quelques-uns des premiers films amateurs

Notre monde

  • 16 mm – couleurs – 10 mn.
  • Réalisé par : Habib Masrouki
  • Médaille de bronze au 4ème FIFAK-1967.

Traitant un sujet politique d’ordre international, ce film d’animation (le 1er du genre en Tunisie) recourt à un symbolisme sans complication, puisqu’il reste clair au niveau de son discours et très amusant quant à son style. C’est acrobatie de paquets de cigarettes représentant les grandes puissances au-dessus de tous et leur désir de domination et de partage du monde.

L’éveil

  • 16 mm – Noir et blanc – 12 mn.
  • Réalisé par : Salma Baccar Béjaoui.
  • Prix de la première œuvre au 4ème FIFAK-1967.

C’est l’un des premiers et rares films tunisiens réalisés par une femme. Son histoire n’a rien d’extraordinaire, elle est tout simplement réelle car vécue par plusieurs filles tunisiennes encore soumises à la volonté de leurs parents.

Une ombre est passée

  • 16 mm – Noir et blanc – 20 mn.
  • Réalisé par : Moncef Ben M’rad.
  • Médaille d’argent au 4ème FIFAK-1967.

Un petit fleuriste ambulant arrive très difficilement à subvenir aux besoins de sa famille. Ses problèmes, ses difficultés et sa misère contrastent avec l’opulence des milieux qui ne cessent de s’embourgeoiser. Si toute l’intention de ce réalisateur montre son inquiétude devant la réalité sociale de ce pays, l’analyse qu’il fait de cette situation reste plutôt superficielle.

La poupée

  • 16 mm – Noir et blanc – 17 mn.
  • Réalisé par : Ahmed Kéchine.
  • Médaille d’or au 4ème FIFAK-1967.

Deux petites filles d’environ 5 ans chacune sont des amies très intimes. L’une est la fille d’un couple bourgeois. L’autre est celle de la bonne de ce même couple. Les deux enfants passent leurs journées à jouer avec une poupée commune, fabriquée en bois. Mais voilà qu’à l’occasion de son anniversaire, la fille des patrons se voit offrir par son père une vraie et grande poupée. Cet événement va mettre fin à l’amitié des deux enfants, car la fille des patrons veut posséder pour elle seule la grande poupée.

Le film est un essai sur la psychologie des enfants, mais c’est aussi un regard assez critique sur la société en général. Le réalisateur, qui est instituteur de métier, a réussi à nous toucher par la sincérité et la profondeur de son propos ainsi que par la cohérence du récit et l’efficacité de sa technique. Jamais ces qualités n’ont été réunies dans un même film amateur tunisien. La poupée restera pour cela au-dessus de tous les autres.

Le Roi

  • 16 mm – Noir et blanc – 20 mn.
  • Réalisé par : Moncef Ben M’rad.

C’est une vue assez amusante d’un roi des temps passés qui ne voit sa société qu’à travers la foule des serviteurs dont il est entouré. Cette foule ne vit d’ailleurs que pour lui et ne peut avoir aucune autre existence.

Ce film a fait beaucoup de bruit et on s’est demandé si le réalisateur ne s’est pas servi du passé pour décrire le présent. Pourquoi pas, après tout ?

Condamné à vivre

  • 16 mm – Noir et blanc – 15 mn.
  • Réalisé par : Abdelwaheb Bouden.
  • Médaille de bronze au 5ème FIFAK-1969.
  • Diplôme de la mise en scène au 29ème concours de l’UNICA, Sousse (Tunisie), 1970.

Ce film est un essai de réflexion sur la guerre, ses méfaits et ses conséquences néfastes pour l’humanité entière. Il est une dénonciation de la violence et du massacre gratuit, éléments que le personnage principal veut faire régner dans l’univers qu’il rêve de construire autour de lui.

Avec des images très bien soignées, le réalisateur commence par nous montrer cet homme en train d’exercer un groupe d’enfants à l’«art» de la guerre. Pour cela, il utilise un éclairage terne qui ajoute à l’atrocité de cet exercice une dimension assez tragique. La deuxième séquence se déroule à l’intérieur de l’antre de ce «seigneur» de la guerre, une chambre dont les murs sont recouverts de photos et d’inscriptions vantant les mérites de la guerre. Dans ce cadre et cette atmosphère, on assiste à une sorte de chute symbolique de ce héros dont la violence physique et verbale va exploser, entre quatre murs. Au même moment, mais dans la rue, des enfants de 10 à 12 ans, manifestent pour la paix. Cette violence pacifique des enfants aura eu, ainsi, le dernier mot.

Duel

  • 16 mm – Noir et blanc – 30 mn.
  • Réalisé par : Abdelwaheb Bouden.
  • Médaille d’argent au 6ème FIFAK-1971.

L’amour et l’amitié sont-ils possibles quand la guerre est là ? Telle semble être la question sur laquelle un jeune nationaliste arabe est amené à réfléchir à la suite du départ brusque et inattendu de sa jeune amie juive. Celle-ci qui n’a pu, en effet, supporter l’existence dans l’appartement de son amant de photos représentant des militants palestiniens, a préféré la rupture et la fuite. N’arrivant pas à réaliser, ni même à croire ce qui s’est passé, le jeune homme va essayer de se souvenir d’un ensemble de détails qui vont alors lui permettre de reconstruire la scène de fuite de son amie. Le film se termine par un duel, qui prend fin avec l’irruption d’un coup de revolver suivi d’un cri de bébé, sans que l’on puisse voir qui est mort. Duel se base sur une esthétique et sur un montage tels qu’ils font de Abdewaheb Bouden l’un des fins techniciens du cinéma amateur tunisien.

La grande illusion

  • 16 mm – Noir et blanc – 18 mn.
  • Réalisé par : Fathi Kémicha.
  • Médaille d’or au 7ème FIFAK-1973.

Le film met en relief un personnage bien particulier, un ancien combattant tunisien qui, après avoir lutté contre le colonialisme, est aujourd’hui partagé entre les valeurs arabo-musulmanes et occidentales. Tout au long du film, on nous montre une dualité entre l’univers présent de ce personnage (qui n’est plus qu’un gardien de mosquée à Kairouan) et l’univers idéal qui se présente sous forme de souvenirs d’un passé qu’il glorifie en compagnie de ses amis. Cette dualité va finir par déboucher sur une crise qui mènera cet ancien combattant à la folie.

Si la plupart des critiques s’accordent à considérer ce film comme une réussite technique incontestable, certains lui reprochent cependant d’utiliser un montage qui ne facilite pas sa compréhension.

Compte à rebours

  • 16 mm – Noir et blanc – 12 mn.
  • Réalisé par : Mohamed Tlili-Khiri.
  • Médaille de bronze et mention de la FTCC au 7ème FIFAK-1973.

Elle est d’une famille pauvre. Elle quitte son village pour la ville. Ce qu’elle veut, c’est y trouver du travail, mais peine perdue. Seule une chose lui est possible : se lancer dans la prostitution. N’ayant plus de choix, elle n’hésitera pas longtemps avant de suivre cette voie.

Lire la première partie ici


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