FÉDÉRATION TUNISIENNE DES CINÉASTES AMATEURS (FTCA) : 6O ANS DE DYNAMISME ET DE CRÉATIVITÉ (1)

Par Mouldi FEHRI – cinematunisien.com – Paris, le : 11.08.2022

Préambule :

Née en avril 1962, la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA), connue au départ et jusqu’en 1968 sous le nom d’Association des Jeunes Cinéastes Tunisiens (AJCT), fête aujourd’hui son 60ème anniversaire. Et cela coïncide avec la tenue du 35ème Festival International du Film Amateur de Kélibia qui sera organisé donc au sein de cette belle et accueillante ville du 13 au 20 Août 2022.

Nous saisissons cette (double) occasion pour saluer tous ceux et celles (et ils sont nombreux) qui, tout au long de ces années, ont participé activement, par leur production mais aussi par leurs idées et leurs luttes, à faire de ce mouvement, encore unique au monde, un noyau assez dynamique sur le plan cinématographique national et bénéficiant d’une grande renommée sur le plan international.

Nous pensons en ce moment d’abord à tous ceux et celles qui nous ont quitté. Mais, nous voudrions également nous adresser à ceux et celles qui, aujourd’hui, ont la lourde charge (et non moins excitante) de conserver, voire de consolider les acquis de cette Fédération, pour qu’ils (et elles) fassent de la 35ème édition du FIFAK celle de la réflexion, de l’unité et du renouveau de cette organisation.

  • Naissance d’un mouvement cinématographique inédit

Remontant au début des années 60, la naissance du cinéma amateur en Tunisie a eu lieu à une époque où le septième art était considéré par la plupart des gens comme un simple moyen de distraction importé de l’étranger. L’idée même d’une production nationale était pratiquement inenvisageable (du moins dans l’immédiat) aussi bien pour le public que pour les autorités.

Bien évidemment, au lendemain de l’indépendance, les premières préoccupations du pouvoir politique tunisien concernaient essentiellement la mise en place des structures de base de l’état, en privilégiant l’administration publique, la santé, l’éducation nationale et en partie l’urbanisme. La culture en général et le cinéma en particulier étaient bien loin de constituer une priorité. Le budget du «Ministère des affaires culturelles» de l’époque ne dépassait guère les 0.5% du budget global de l’état. Dans ces conditions, le cinéma n’avait pratiquement aucune chance de pouvoir compter sur le soutien financier des autorités publiques. Quant au secteur privé, il était en fait très mal organisé et loin de trouver un quelconque intérêt à investir dans un domaine culturel quel qu’il soit.

Une 100ne de salles de cinéma, implantées essentiellement dans les grandes villes et héritées de la période coloniale, offraient toutefois au public la possibilité de voir pas mal de films étrangers (français, italiens, américains, soviétiques, égyptiens…). Et malgré une certaine réserve de la part des familles conservatrices, la fréquentation de ces salles, considérées à la base comme un simple lieu de loisir et de divertissement, permettait surtout à un grand nombre de jeunes lycéens de se doter d’une culture cinématographique générale et de profiter d’un espace de communication, de sociabilité et d’ouverture sur le monde.

Cet intérêt pour le cinéma sera d’ailleurs très vite renforcé par l’action de la FTCC (créée en 1950 et dirigée par feu Tahar CHERIAA) dont les clubs, répartis un peu partout dans le pays, allaient réussir à attirer une grande partie de ce public de cinéphiles et surtout la jeune génération instruite.

C’est dans ce contexte général qu’un mouvement de cinéastes amateurs va naître en Tunisie. Ce qui constituera un cas unique aussi bien en Afrique que dans le monde arabe.

A noter qu’à cette époque, où la Tunisie n’avait pas encore réalisé son premier long métrage, cette jeune structure réussissait progressivement à attirer un bon nombre de jeunes et à jouer indirectement et efficacement le rôle d’un véritable centre de formation (qui ne disait pas son nom) pour plusieurs générations de cinéastes.

Regroupant (selon les périodes et depuis le milieu des années 1960) près de 200 adhérents inscrits dans 15 à 20 clubs répartis sur tout le territoire national, la fédération a toujours assuré leur formation, leur encadrement, et mis à leur disposition les moyens nécessaires à la réalisation de leurs films.

Depuis sa création, la FTCA a ainsi produit une moyenne de 20 films par an et conserve (sous réserve de confirmation) dans des conditions précaires entre 500 et 700 films (16mm, super 8 et vidéo) dont certains ont été signés par des réalisateurs qui sont aujourd’hui parmi les cinéastes tunisiens les plus célèbres, comme : Férid Boughedir, Omar Khlifi, Ahmed Khéchine, Ridha Béhi, Selma Baccar , Taieb Louhichi, ou encore Abdelhafid Bouassida.

A noter aussi qu’à partir des années 1970, cette jeune organisation s’est lancée également dans une étroite collaboration avec les associations similaires (à savoir l’ACT et la FTCC) pour arriver ensemble à l’édification d’une culture nationale et démocratique, grâce à la vulgarisation des techniques cinématographiques et la mémorisation audiovisuelle du patrimoine, mais aussi à apporter un appui régulier aux mouvements de libération, à travers l’organisation de manifestations de soutien et la diffusion de documents filmiques lors des différents festivals.

I – 1960-1970 : de l’AJCT à la FTCA

  • Contexte historique général :

Pour mieux comprendre et apprécier les conditions de démarrage de ce mouvement, il ne serait pas inutile de replacer sa naissance dans son contexte général, en rappelant brièvement les aspects historiques et politiques de l’époque à la fois en Tunisie et dans le monde.

Nous sommes, en effet, au début des années 1960, période pendant laquelle les mouvements d’indépendance se multipliaient et où plusieurs pays, anciennement colonisés, allaient pouvoir accéder à leur indépendance. C’était la consécration progressive du principe du «droit des nations à disposer d’elles-mêmes», de la dislocation des anciens empires coloniaux et de l’apparition sur le concert des nations de nouveaux pays, devenant par la même occasion membres à part entière de l’Organisation des Nations Unies. Mais, leurs situations respectives restaient tout de même assez fragiles, notamment sur le plan économique.

  • Naissance de l’AJCT :

C’est dans ces conditions générales qu’en 1961, un jeune homme de 22 ans, passionné d’images et de cinéma, feu Hassan BOUZRIBA, prenait l’initiative de créer l’Association des Jeunes Cinéastes Tunisiens (renommée par la suite FTCA). Il en deviendra le 1er Président-fondateur.

En 1958, il avait déjà acheté une caméra 8 mm qu’il utilisait essentiellement pour filmer les membres de sa famille, leurs fêtes, vacances et autres voyages ou cérémonies. En même temps, il suivait de près et avec beaucoup d’intérêt le travail de Omar KHLIFI qui avait à l’époque une Association à Kheireddine (Banlieue Nord de Tunis) et qui venait de faire un film amateur appelé «HALIMA».

H.BOUZRIBA décidait alors, avec quelques amis, de créer sa propre Association qu’il a appelée «AJCT», avec un 1er club ou simple local à HALFAOUIN, dans une petite ruelle de Tunis. Il s’agissait, en fait, d’un ancien petit dépôt de marchandises où il y avait juste une table et quelques chaises.

Les membres-fondateurs étaient :

  • Hassan BOUZRIBA : Président
  • Ezzeddine MADANI : Vice-Président
  • Taoufik BEN ROMDHANE : Secrétaire Général (parti en France par la suite)
  • Ridha EZNEIDI : Trésorier
  • Mohamed Moncef EL MITOUI : Membre

Pour lancer l’activité de cette nouvelle association, il a fallu attendre le «Visa» ou «Autorisation d’existence légale», obtenu finalement en avril 1962.

A partir de là, ils ont commencé à établir des liens avec plusieurs partenaires susceptibles de leur apporter une aide en termes de formation et d’encadrement (comme Mr Salem SAYADI, 1er réalisateur tunisien diplômé de l’IDHEC, ou Mr Noureddine BEN AMOR également diplômé de l’IDHEC).

1ère activité importante : une conférence à la «Maison de culture Ibn Khaldoun» faite par Mr Hamadi BEN MABROUK sur le thème du «Montage, comme axe principal d’un film». Ont suivi d’autres conférences sur le même thème à Sousse, puis à Sfax.

De là est venue l’idée de créer des clubs dans les différentes régions du pays.

Entre temps, le groupe des fondateurs s’est enrichi par l’arrivée d’Ahmed HARZALLAH, qui revenait d’Italie où il a fait ses études et qui venait d’intégrer la Radio nationale comme animateur. Ahmed HARZALLAH rejoint donc le groupe, pas comme amateur, mais comme formateur pour l’encadrement des amateurs.

En même temps et par coïncidence, le président de la FTCC (Fédération Tunisienne des Cinés Clubs), feu Tahar CHERIAA a été nommé au Ministère de la culture comme «Chef de la division cinéma» où il a été très vite rejoint par feu Nouri ZANZOURI. Ces nominations allaient vite s’avérer très bénéfiques pour la nouvelle association AJCT.

Ensuite plusieurs autres personnes ont rejoint l’AJCT, comme Abdelkader BEN ROMDHANE, Habib CHEBIL…

Le vrai point de départ : allait avoir lieu après une rencontre que les membres fondateurs ont réussi à avoir avec le Président Habib BOURGUIBA le 06.09.1963 (au Kef) : intéressé par l’initiative de ces jeunes, il décidait alors de les aider d’abord financièrement, mais aussi en demandant à la Municipalité de Tunis de leur donner un local (Celui du N°3, rue de Grèce à Tunis). C’est cette première aide qui allait permettre l’acquisition d’une 1ère caméra Beaulieu 16 mm ainsi que de la pellicule, pour commencer réellement le travail de production.

En parallèle et pour développer l’activité, des clubs ont été créés à Sousse, Sfax et Kairouan.

La 1ère production a été une série de documentaires dont un sur la «Raffinerie de Bizerte». Puis, d’autres films ont suivi, dont on peut citer : «l’ennui» de Habib CHBIL et «Sabra» de Ahmed KHECHINE (Kairouan).

Dans la foulée, c’est le club d’Hammam-Lif (Banlieue sud de Tunis) qui a été créé et son activité a été lancée grâce à ces premiers adhérents, Moncef BEN MRAD, Ridha BACCAR, Salma Baccar, Raouf BEN MOUSLY : parmi ces premiers films «Réalités» de Raouf BEN MOSLY et «Réveil» de Salma BACCAR.

A partir de là, une confrontation d’idées allait avoir lieu entre deux écoles : celle qui défendait «l’art pour l’art» (Habib CHBIL) et celle qui défendait «le cinéma engagé» (Moncef BEN MRAD).

C’est d’ailleurs dans ces conditions, qu’est née l’idée du Festival qui devait, au départ avoir lieu à Hammamet en 1964. Finalement c’est Kélibia qui a été choisie et retenue avec l’aide de certaines personnes comme Mr Abdelhak LASSOUED, un homme connu pour être très ouvert et qui voulait réellement encourager l’AJCT.

En 1965, 2ème session de ce festival, le Ministère a donné 100 Dinars Tunisiens comme aide à l’organisation. Ce qui était bien sûr insignifiant, mais le festival a eu lieu malgré toutes les difficultés.

En 1965 aussi, l’AJCT a organisé son Congrès à Gabes et en a profité pour changer de structure et de nom, passant d’une association à une Fédération regroupant tous les clubs et appelée FTCA (Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs).

En 1966, la FTCA devenait membre de l’UNICA et donc le seul des pays arabes et africains (à part l’Afrique du Sud) à être membre de cette organisation internationale.

En janvier 1970, le Congrès de l’UNICA s’est déroulé à Sousse en Tunisie. Ahmed BEN SALAH était alors le Président d’honneur de la FTCA et les congressistes de l’UNICA ont été reçus par BOURGUIBA.

Ceci étant, Il faut signaler que plusieurs artistes tunisiens bien connus sont passés dans un premier temps par la FTCA, comme Taoufik JEBALI, Samir AYADI, Mohamed DRISS et d’autres encore. C’était un peu «leur école». Ils participaient aux séances de formation au «Centre d’Initiation Cinématographique» sans pour autant être adhérents. La porte de ce centre créé par la FTCA était, en fait, ouverte à tous ceux qui voulaient se former.

En 1968, la FTCA rencontrait ses premières difficultés internes, puisqu’elle allait connaitre un mouvement de contestation général, portant sur les méthodes de direction, de formation et de production. Ce qui débouchera plus tard sur le fameux texte de la «Réforme».

C’est en fait Abdelwaheb BOUDEN, cinéaste amateur du club de Kairouan, qui a été à l’origine de ce mouvement, après de longues discussions contradictoires avec d’autres cinéastes amateurs, comme Moncef BEN MRAD du club d’Hammam-Lif. Mais il a été très vite rejoint par un grand nombre de clubs qui ont décidé de soutenir ses propres thèses et de l’aider à atteindre les objectifs de cette réforme, à commencer par le changement de la direction nationale et l’instauration à sa place d’une «direction collégiale» avec de nouveaux principes de base, plus rationnels pour la formation et la production.

La même chose sera par la suite et progressivement généralisée et appliquée au niveau de tous les clubs de la fédération.

II – 1970-1980 : entrée en application de «La Réforme»

  • Contexte général

1 – Sur le plan historique : au début des années 1970, la planète entière faisait face à une propagation des effets du mouvement contestataire de mai 1968 en France. La notion d’«autorité», sous toutes ses formes, était ainsi mise en cause et de plus en plus de jeunes, notamment dans les pays développés, exprimaient leur opposition à la société de consommation, dénonçaient l’impérialisme américain (surtout avec sa présence au Viêt-Nam) et manifestaient leur soutien aux différents mouvements révolutionnaires et / ou de libération dans le monde.

En Tunisie, et sans être en lien direct avec ces phénomènes contestataires des pays occidentaux, des organisations de jeunes se mobilisaient pour revendiquer plus de droits, de libertés, de justice et de démocratie. Le mouvement estudiantin s’illustrait à ce niveau par ce fameux congrès de l’Union Générale des Etudiants de Tunisie (UGET) tenu à Korba en 1971. Tandis que le mouvement culturel qui commençait, dans ses différents secteurs, à connaitre quelques mouvements de réflexion, allait de son côté se lancer progressivement, dans un long processus de restructuration, d’émancipation et de clarification de ses objectifs à venir.

2 – Sur le plan culturel national : c’est, à l’époque, la Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs (FTCC), qui était alors traversée par un vent de contestation de l’«ordre établi» et notamment de la forme élitiste qui dominait l’ensemble du circuit des ciné-clubs. Dès 1970, la direction nationale a été confiée à une nouvelle génération de lycéens, d’étudiants et de jeunes enseignants tunisiens. Déterminée à tout bouleverser, cette jeune direction nationale se donnait comme premier objectif de mettre fin à l’hégémonie des coopérants français sur l’ensemble des structures locales de la Fédération et notamment au monopole qu’ils avaient sur le choix des films et l’animation des débats. Il faut dire, au passage, que cette situation perdurait depuis l’époque coloniale et qu’il était donc tout-à-fait normal de tourner cette page.

En opérant cette prise en main de leur Fédération, les jeunes cinéphiles tunisiens ont transformé en même temps la forme et le contenu des débats qui n’étaient jusque-là que de simples discussions formalistes entre quelques initiés adultes et intellectuels. En lieu et place de ces débats élitistes et parfois intimidants pour le public, ont été mises en place de réelles séances de libres échanges, utilisant un langage simple et accessible à tous les participants. Ainsi (et surtout à partir de 1972), les ciné-clubs n’étaient plus ni le privilège d’une quelconque élite, ni le lieu de discussions intellectuelles parfois sans intérêt évident pour le public. Ils s’ouvraient, dorénavant, aux jeunes et à toutes les couches sociales et leur permettaient, par la même occasion, de débattre des problèmes réels et concrets évoqués par certains films, en essayant de les rapprocher de ceux de leur propre vie quotidienne.

Très rapidement, ce nouveau courant «réaliste et attaché à l’identité nationale» réussissait à gagner la sympathie et l’appui du public et des adhérents et finissait, sans grande surprise, par remplacer définitivement le courant « formaliste et nostalgique de la période coloniale».

A – La FTCA valide sa grande «Réforme»

C’est dans ces conditions que les cinéastes amateurs allaient se lancer, entre 1971 et 1973, dans une mutation progressive et radicale des structures et des objectifs de leur Fédération. Les changements envisagés et entrepris ne laissaient rien au hasard et concernaient à la fois l’organisation de la Fédération (la FTCA), son mode de fonctionnement et de direction, ainsi que ses objectifs culturels et sa pratique de la formation et de la production. Ce processus global, longuement réfléchi, muri et préparé (depuis la fin des années 1968-69) essentiellement par un des cinéastes amateurs du club de Kairouan, Abdelwaheb BOUDEN, prendra le nom de « La Grande Réforme du Cinéma Amateur » et comptera dès le départ sur une large adhésion des différents clubs de l’époque. Du coup, d’une Fédération dominée et dirigée en toute opacité par quelques notables locaux, ayant comme seule production l’enregistrement de leurs souvenirs personnels et familiaux, ou des reportages sur les déplacements des responsables politiques, ou encore sur quelques festivités occasionnelles de quartiers, la FTCA allait se métamorphoser et connaitre une véritable transformation radicale. Cette grande «Réforme » du cinéma amateur tunisien, qui devenait le texte fondamental de toute la structure, mettra en avant trois principes fondamentaux, à savoir :

  • 1 – Pour une direction collégiale : ce premier principe tend à responsabiliser les cinéastes amateurs, à mettre fin aux privilèges de leurs anciens dirigeants auto-désignés et à instaurer un esprit de collégialité et de démocratie dans toute prise de décision. Il est vrai, toutefois, qu’appliqué dans un pays dirigé d’une main ferme par un parti unique, ne tolérant aucune contestation, ce principe était non seulement en avance par rapport à son temps, mais avait toute chance d’être rejeté par les pouvoirs publics et considéré comme utopique par pas mal de gens.

 

  • 2 – Pour une formation-production progressive : le deuxième principe insiste sur la nécessité de rationnaliser la formation et la production à travers l’instauration d’une progression par étapes successives, à la fois au niveau de la formation que de la production. En même temps, un passage obligatoire par la formation photographique devait permettre à tout nouvel adhérent de s’initier à cette technique, avant de pouvoir accéder à la formation-production cinématographique. Le but, de tout cela, étant de préparer le futur cinéaste amateur à une réelle maîtrise de l’écriture par l’image et plus particulièrement à une expression cinématographique correcte, lisible et appréciable.

 

  • 3 – Pour un cinéma de qualité ouvert à la société : le troisième principe est conditionné par une bonne application du deuxième. Il permet, en fait, au cinéaste qui a maitrisé les étapes successives de formation, de pouvoir présenter au public une production suffisamment correcte (donc de qualité), et lui faciliter ainsi la lecture et la compréhension du message transmis. Cette exigence de qualité ne doit en aucun cas être interprétée comme une défense de ce qu’on pourrait appeler «l’art pour l’art». Au contraire, son seul objectif n’est autre que d’être au service du thème traité et de sa clarté, surtout que le principe met en avant la nécessité de produire «un cinéma ouvert à la société». Autrement-dit, «La Réforme» incite les cinéastes amateurs à produire des œuvres ancrées dans la réalité du pays, traitant des sujets de la vie quotidienne des gens, mais dans un langage soigné et facilement accessible aux spectateurs.

B – Elle se distingue aussi par certaines spécificités

La raison d’être de la FTCA est évidemment de produire des films. Mais, c’est en même temps de démystifier l’outil cinématographique et de permettre au maximum de gens de se familiariser avec cette technique, longtemps considérée comme inaccessible, mystérieuse et que seule une élite de professionnels pouvait maîtriser.

Dans une société arabo-musulmane, telle que la Tunisie, où la tradition orale ne souffre d’aucune concurrence et où le verbe reste malgré tout le moyen d’expression le plus courant, il n’est pas toujours possible de réussir dans une tâche pareille. Et cela est d’autant plus difficile que l’expression par l’image nécessite des moyens financiers tels qu’ils peuvent constituer une lourde charge pour un pays dont les richesses sont plutôt limitées et encore plus pour un simple particulier.

Pour toutes ces raisons, l’œuvre accomplie par la FTCA, dans ce but et dans des conditions généralement difficiles, est loin d’être négligeable. Elle constitue, à notre sens, un travail certainement perfectible et assez souvent controversé, mais qui mérite toujours d’être encouragé. Parmi ses principales spécificités on peut rappeler le fait que :

  • C’est un mouvement ouvert à tous les tunisiens et surtout aux plus jeunes d’entre eux.
  • Ses clubs sont implantés dans différentes régions du pays.
  • Sa production est quantitativement très importante : près de 20 films par an (en moyenne).
  • Malgré quelques insuffisances sur les plans technique et thématique, les films qu’il produit ne manquent certainement pas d’intérêt.
  • Les sujets traités par ses films (surtout depuis 1971 et la mise en place de la «Réforme») sont généralement enracinés dans la réalité nationale et essaient (tant bien que mal) de refléter les préoccupations de la population, dans sa diversité.
  • L’absence de moyens financiers suffisants (du moins jusqu’en 1980), l’empêche de procéder à un tirage de copies de l’ensemble de ses films et de disposer des conditions nécessaires à la conservation et à l’archivage des négatifs.

C – Et enracine sa production dans la réalité tunisienne

L’intention du mouvement et de sa réforme était bien de rapprocher le cinéma amateur de la société tunisienne et de lui donner une mission culturelle, sociale et politique au service du peuple tunisien. Pour y parvenir, il se fixait aussi, comme autre mission principale, de combattre le cinéma commerçant (qui dominait le marché national), d’en être l’antithèse et de faire prendre conscience au public de son identité socio-culturelle.

Sans s’opposer au fait que le cinéma puisse être aussi un moyen de divertissement et de loisir, cette nouvelle tendance envisagée par «La Réforme» rejetait, cependant, toute utilisation de la production cinématographique comme un moyen d’évasion face aux difficultés ou de détournement de l’attention du public de sa réalité quotidienne.

Conformément à cette nouvelle conception relative à la fonction et au rôle du cinéma amateur, la FTCA décidait de contribuer à produire un cinéma national, progressiste et indépendant, qui soit surtout le reflet des réalités nationales tunisiennes. C’est dans ce sens que s’explique, d’ailleurs, son étroite et permanente collaboration avec l’Association des Cinéastes Tunisiens (professionnels) et la Fédération Tunisienne des Ciné-Clubs (FTCC).

Ensemble et pendant de longues années, ces trois organisations avaient multiplié les actions communes pour dénoncer la monopolisation du marché national par un cinéma commerçant des plus aliénants, et favoriser l’émergence et le développement d’un véritable cinéma national, sans pour autant tomber dans une quelconque forme de nationalisme ou d’un rejet catégorique de l’ensemble du cinéma occidental.  

C’est dans ce cadre et à ce propos, que ABdelwaheb Bouden écrivait que : «Nationaliser ne doit pas signifier uniquement en finir avec la domination administrative et économique des grandes firmes cinématographiques étrangères mais aussi et surtout en finir avec leur système économique de production et leur modèle culturel de cinéma. […] Nationaliser doit signifier produire un cinéma national et non reproduire le cinéma occidental dans une structure nationale».

D – Le FIFAK devient la véritable vitrine de la FTCA 

La cinématographie tunisienne qui connait depuis toujours et notamment à ses débuts d’énormes difficultés, peut toutefois se réjouir de quelques réalisations uniques dans le monde arabo-africain.

Dans ce sens, et à côté des JCC, le FIFAK créé en 1964 par la FTCA et organisé par elle jusqu’en 1973, constitue sans aucun doute un acquis assez remarquable pour toutes les forces démocratiques nationales et plus particulièrement aux organisations et aux individus qui ont fait du cinéma leur arme préférée dans la lutte pour l’avènement d’une culture nationale et progressiste en Tunisie.

Seulement, le FIFAK, comme tout autre acquis important, n’a pu rester longtemps à l’abri des manœuvres des autorités publiques, tendant tout simplement à son étouffement. Tout a été fait, notamment au milieu des années 1970, pour que cette manifestation culturelle internationale soit récupérée par le parti détenant (à l’époque) le pouvoir en Tunisie. Et cela ne pouvait être étonnant, quand on connait les décisions du congrès de ce parti (le PSD) tenu à Monastir en 1975 et qui marquaient bien la ferme détermination de ses dirigeants à monopoliser tous les secteurs de la vie publique. Rien, en effet, ne pouvait être fait en dehors des structures du PSD, sans son consentement et surtout contre sa propre politique

Dès lors, le FIFAK devenait progressivement une manifestation culturelle tout-à-fait particulière, suscitant beaucoup d’intérêt et de convoitise et se transformait par la même occasion en une sorte de «thermomètre» permettant (à chaque session) de mesurer l’état de santé de la FTCA, aussi bien sur le plan interne que sur le plan externe.

III – 1973 : une session exemplaire

C’est en 1973, en effet, que la FTCA a organisé la meilleure session de ce festival. Et cette réussite n’était pas le fruit du hasard. Elle était, au contraire, le résultat de deux années d’activités intenses que la Fédération a connues à partir de 1971, date à laquelle «La Réforme», a été adoptée et mise en application. Ce texte qui a restructuré le mouvement des cinéastes amateurs d’une façon radicale par rapport à ce qu’il était et lui a fixé, pour la première fois, des principes fondamentaux, n’a donc pas été étranger au bon déroulement du Festival de 1973.

C’est ainsi qu’au niveau de l’organisation d’abord, un mode de fonctionnement démocratique décidé et mis en pratique sur place avait permis aux participants d’élire, parmi eux, un ensemble de commissions chargées chacune d’une mission précise et dont les décisions étaient prises de façon collective. De la même façon, les résultats au niveau de la production, étaient tout-à-fait encourageants, positifs et remarquables.

IV – 1975 : le grand tournant

L’ensemble des cinéastes amateurs présents au Festival de Kélibia de 1975, ainsi que la grande majorité des journalistes qui ont assuré sa couverture étaient unanimes pour considérer cette session comme un échec total : échec aussi bien au niveau organisationnel qu’au niveau de l’intérêt culturel et artistique des films participants. Mais, échec également dans la mesure où c’était un recul assez net par rapport aux aspects démocratiques et progressistes pris par le Festival lors de sa session précédente.

Quant aux raisons de cet échec, on peut dire qu’elles étaient essentiellement au nombre de deux :

  • 1 – L’offensive du Ministère des Affaires Culturelles : en effet, suivant les directives du Parti Socialiste Destourien, ledit Ministère a pris en main la direction effective du Festival. C’est lui qui invitait les pays étrangers de son choix et qui sélectionnait les films sur la base de critères absolument arbitraires. De plus, les représentants de la Fédération au Comité Directeur, qui n’avaient d’ailleurs que des postes d’adjoints, ne pouvaient avoir aucun poids réel et leurs avis étaient, sans doute, les derniers à être pris en considération. Les vrais maîtres du Festival étaient en fait des administrateurs du Ministère qui n’avaient aucune relation avec le domaine cinématographique. C’est donc là l’élément négatif qui a été le plus déterminant. Mais, il en existe bien un deuxième qu’il ne faudrait pas ignorer.

 

  • 2 – L’évolution interne de la Fédération entre 1973 et 1975 : 

a – Une formation-production en régression : en effet, juste après la session de 1973, un bon nombre de cinéastes amateurs, qui ont acquis une formation valable et qui étaient à l’origine du changement qui a donné lieu au texte de «La Réforme», ayant terminé leurs études secondaires, ont quitté leurs villes natales pour entamer des études supérieures à l’université de Tunis ou à l’étranger. Ce qui a créé progressivement un vide très difficile à combler (et de façon rapide) dans les différents clubs de la Fédération. Il faut noter que cet élément avait une grande importance, puisque la majorité des cinéastes amateurs de l’époque étaient des lycéens.

L’essentiel dans tout cela est que la production cinématographique nationale présentée au Festival de 1975 était l’œuvre de nouveaux adhérents dont la formation était encore balbutiante et certainement trop insuffisante. Par conséquent, le niveau technique et thématique de l’ensemble des films tunisiens était tout simplement médiocre.

b – Une compréhension sommaire et une application fausse de «La Réforme» : à ce niveau, également, une situation nouvelle a été créée par le départ des anciens cinéastes amateurs et l’arrivée d’un grand nombre de nouveaux adhérents. Ce qui n’était pas négatif en soi, au contraire. Mais, là où le bât blesse, c’est que ces derniers ont été dès le début assez mal encadrées et l’explication qui leur a été donnée du texte de «La Réforme», de son esprit général et de ses principes fondamentaux, a été trop insuffisante et sans aucune clarté évidente. Le résultat inévitable d’une telle situation ne pouvait être qu’une fausse application de ce texte fondamental, illustrée par des improvisations à tous les niveaux et des interprétations des principes de «La Réforme» allant dans tous les sens. Ce qui n’a pas manqué de créer une situation de plus en plus périlleuse pour l’avenir de la Fédération.  

V – 1979 : beaucoup d’erreurs, mais un succès quand même.

Une fois la session de 1975 terminée et son échec constaté, le plus grand débat qui s’est instauré entre les cinéastes amateurs était alors de trouver les moyens adéquats d’une lutte devant aboutir à la reprise en main de l’organisation du Festival par la Fédération pour en faire de nouveau le lieu et l’occasion de la promotion d’une culture nationale et progressiste.

Evidemment, un tel débat, survenant dans les conditions internes de la Fédération, auxquelles nous avions déjà fait allusion, ne pouvait pas ne pas susciter des difficultés et des divergences entre les adhérents, pouvant être déterminantes, voire réellement dangereuses pour l’avenir de ce mouvement cinématographique lui-même.

Bref, la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs n’a pas pu (ou su) rester longtemps, éloignée des différents bouleversements que connaissait le pays dans sa globalité ; et cela pour trois raisons essentielles :

Elle est une organisation nationale qui regroupe à la fois des élèves, des étudiants, et des fonctionnaires. Par conséquent, les problèmes de l’université ainsi que ceux portant sur les nouvelles options économique et politique du pays se retrouvaient automatiquement transposés en son sein.

  • Voulant généraliser et imposer leurs nouvelles orientations, les pouvoirs publics, n’ont pas hésité, notamment suite au fameux congrès du PSD de Monastir (1975), à entamer une véritable offensive au niveau du champ culturel.
    Ainsi donc, la FTCA qui était encore préoccupée par ses problèmes d’application de «La Réforme» s’est retrouvée, en plus, dans l’obligation d’affronter une nouvelle donne, à savoir une politisation rapide, inattendue et plus ou moins anarchique du débat culturel qui était le sien. Or, cela était totalement incompatible avec sa réalité interne et les objectifs pour lesquels elle a été créée. Il est vrai, en outre, qu’à l’image de la plupart des tunisiens, la plus grande majorité des cinéastes amateurs étaient alors très peu (ou pas du tout) politisés. Ce qui fait que le débat (dans sa forme nouvelle) a été complétement faussé dès le départ.
  • En plus de tous ces éléments, il a fallu que la FTCA attende quatre ans pour que le ministère des Affaires Culturelles finisse par céder devant la résistance des cinéastes amateurs. La 9ème session du Festival qui devait normalement se tenir en 1977, n’a pu avoir lieu que deux ans plus tard. C’est, en effet, du 07 au 14 juillet 1979, que la ville de Kélibia a retrouvé le Festival International du Film Amateur.

Voilà donc, dans quelles conditions a été préparé la 9ème session du Festival International du Film Amateur de Kélibia (1979). Et c’est à partir de là que les faits suivants peuvent être expliqués :

1 – La plus grande partie des films tunisiens présentés lors de la 9ème session ont été d’une médiocrité technique telle qu’on ne pouvait s’empêcher de voir avec pessimisme l’avenir de ce mouvement, qui, sans s’en rendre compte, était en train de s’éloigner de plus en plus de l’essence même de son existence, à savoir, une formation cinématographique méthodique, en vue d’une production au moins acceptable et techniquement lisible. En effet, même si un film porte un message important (voire engagé pour une cause donnée), il peut facilement perdre sa valeur et son intérêt aux yeux du public si son écriture cinématographique est très peu ou pas du tout soignée. Or, c’était malheureusement le cas avec les films tunisiens de cette session.

Voilà pourquoi, à ce niveau et pendant cette période difficile, la Fédération avait besoin d’un nouveau souffle, afin d’être réellement en capacité de jouer un rôle important dans l’émergence d’un cinéma national, indépendant et progressiste.

2 – L’organisation du Festival (entre le 07 et le 14 juillet 1979) a été loin d’être démocratique. L’exemple assez positif de 1973 n’a pu se reproduire, malgré l’insistance de plusieurs participants. Au contraire, les membres du bureau fédéral et représentants de la FTCA au Comité directeur du Festival auraient monopolisé toutes les charges en se faisant aider par des adhérents choisis arbitrairement avant le Festival. Ce qui a créé chez le reste des participants une sorte de frustration et les a poussé à se comporter d’une façon marginale.

3 – Malgré l’adoption d’un nouveau règlement, qui redonnait à la FTCA une plus grande place que celle qu’elle avait eue en 1975, on a pu remarquer que le Ministère des Affaires Culturelles n’avait trouvé aucune difficulté pour imposer certaines mesures répressives et de nature à perturber le bon déroulement de cette manifestation. A ce titre, on peut citer l’exemple de la censure de deux films tunisiens : «Les invalides» et «Duel». ce qui a eu pour effet immédiat, de diviser les cinéastes amateurs sur la manière et la tactique à suivre pour empêcher l’application de cette mesure qui risquait de constituer plus tard un très grave précédent. D’ailleurs, cela a poussé 10 clubs à retirer leurs films (une douzaine) de la compétition.

On voit donc que le pouvoir a pu et su garder pour lui-même, une certaine marge de manœuvre qui lui permettait d’intervenir d’une façon assez déterminante mais très subtile.

4 – Profitant de toutes les erreurs commises au cours du Festival (1979), le Ministère des Affaires Culturelles n’a pas hésité à créer un incident lors de la cérémonie de clôture, espérant, à partir de là, trouver une excuse pour écraser cette manifestation jugée trop indépendante. En effet, la lecture du rapport du jury international a été interrompue par le ministre qui a déclaré que ce rapport était « un manifeste politique sans rapport avec la manifestation en question ». Les membres du jury ont, de leur côté, insisté sur la nécessité d’achever la lecture de leur rapport, avant la proclamation du palmarès. Devant l’insistance des uns et le refus de l’autre, une atmosphère de mésentente radicale s’est emparée de la séance de clôture qui a dû être interrompue, sans que les résultats ne soient proclamés et les prix distribués.

M.F

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