MOKHTAR LADJIMI : «UN CONSEIL, FORGEZ VOTRE EXPÉRIENCE EN TANT QU’ASSISTANT-RÉALISTAEUR !»

Par Hamza Marzouk – www.magazineletudiant.com – Publié le 31 mai 2012.

En entrant dans le bureau de Mokhtar Ladjimi, jonché de matériel cinématographique et d’affiches de films, j’ai immédiatement ressenti ce que pouvait être l’atmosphère d’un plateau de tournage… Malgré un emploi du temps surchargé, le réalisateur tunisien a eu la gentillesse de nous accorder cette interview exclusive.

L’Étudiant : Qui est Mokhtar Ladjimi ?

  • Mokhtar Ladjimi : Je suis avant tout cinéaste et réalisateur de films documentaires. J’ai eu la chance d’avoir étudié le cinéma à l’Institut des Hautes Études Cinématographiques rebaptisé depuis en FEMIS (Fondation Européenne des Métiers de l’Image et du Son), l’une des meilleures formations sur les métiers du cinéma en Europe, voire dans le monde.
    Plusieurs réalisateurs de renommée internationale en sont d’ailleurs issus : Costa Gavras, Alain Resnais mais aussi, Moufida Tlatli, Abdellatif Ben Ammar ou, dernièrement, Raja Amari.

Quels sont les thèmes de votre filmographie ?

  • Les thèmes récurrents de mes films reposent sur les libertés individuelles, les rapports de pouvoir, la famille, le contexte social et psychodramatique. Je traite aussi bien des aspects positifs dans les rapports humains que de leur dégradation.

A vous entendre, vous semblez éviter certains clichés du cinéma tunisien, comme la séduction ou l’utilisation du corps en dehors de tout objectif cinématographique…

  • Franchement, je n’aime pas ce discours ; cette problématique a été ruminée maintes fois. Je peux vous affirmer qu’il n’y a pas de clichés dans le cinéma tunisien. Ce qui s’est passé, c’est qu’à un certain moment plusieurs réalisateurs avaient la même sensibilité. En ce qui concerne le corps, il fait souvent partie de la dramaturgie et son utilisation dans le film répond à un objectif esthétique et cinématographique. Je n’ai aucun problème avec le corps à partir du moment où il a sa propre fonction bien définie dans le film. Je m’oppose à la nudité dans un film, juste pour des commerciales : j’engage toujours des bras du fer avec les producteurs qui veulent glisser des scènes osées gratuitement. C’est de toute façon un faux problème, car le cinéma tunisien n’est pas commercial : c’est du cinéma d’auteur ! Et l’exhibition des corps ou la nudité remplissait, pour les trois-quarts des films tunisiens, un rôle fonctionnel. Je ne nie pas l’existence de quelques excès, mais il ne faut pas en faire l’objet d’une critique cinématographique ! Laquelle critique cinématographique doit viser principalement la qualité du scénario et de l’intrigue, l’interprétation des acteurs, etc. Je pense qu’il y a une certaine hypocrisie : d’une part, on exige de censurer les scènes osées des films tunisiens et d’autre part, le spectateur tunisien a accès à plus de 500 chaînes satellitaires dont certaines diffusent des programmes pornographiques…

Vous venez d’évoquer le rôle de la critique au cinéma. A-t-on vraiment des critiques cinématographiques en Tunisie ?

  • Plus vraiment… Si la critique cinématographique se fait de plus en plus rare, c’est parce que le nombre de films tunisiens est limité. Comment parler alors de critique cinématographique ? J’appelle toutes les parties prenantes – cinéastes confirmés et jeunes cinéastes – à redoubler d’efforts pour atteindre un volume de quinze ou vingt films par an, afin d’en extraire deux ou trois très bons. La critique cinématographique doit être constructive, proposée sur des arguments solides et respectables. Malheureusement, comme dans tout autre domaine, de pseudo-citriques de cinéma sévissent en Tunisie. Il faut parvenir à distinguer entre le véritable critique cinématographique, objectif et doté de références, qui a fait un cursus universitaire, et qui n’a qu’une vague idée de l’écriture et de la réalisation et qui ignore même les chefs-d’œuvre du cinéma mondial.  

Quels conseils donnez-vous aux (futurs) étudiants en cinéma ?

  • Je suis enseignant à l’ESAC (École  Supérieure  de l’Audiovisuel et du Cinéma), où je forme les jeunes à ce qu’on appelle le documentaire de création. Je leur recommande vivement et avant tout de s’imprégner des classiques de l’histoire du cinéma, en visionnant plusieurs fois les films de David Lynch, de Visconti, de Fellini et d’autres…  Ils doivent bien sûr suivre les actualités liées au cinéma et, plus généralement, développer leur culture générale afin de choisir leur spécialité en connaissance de cause.

La formation tunisienne en cinéma produit-elle de bons techniciens et assistants auxquels le réalisateur tunisien peut faire appel ?

  • En ce qui concerne l’ESAC, un certain équilibre a pu être trouvé et, d’ici quelques années, les réalisateurs tunisiens pourront trouver des techniciens compétents. C’est vrai que la rareté des assistants-réalisateurs est un problème récurrent en Tunisie. Malheureusement, les jeunes cinéastes, après avoir tourné leur premier court-métrage, refusent de porter la casquette d’assistant-réalisateur. Je les invite pourtant à ne pas commettre cette erreur commise par l’ancienne génération, dont je fais partie. Bref, il ne faut pas griller les étapes : n’oublions pas que l’expérience est primordiale dans notre domaine. J’espère que les écoles de cinéma se focaliseront à l’avenir sur deux spécialités cruciales : directeur-photo et assistant-réalisateur.

Le FIFAK (Festival International du Film Amateur de Kélibia) demeure-t-il encore une référence ? Encouragez-vous les jeunes cinéastes à y participer ?

  • Oui bien sûr ! Vous savez, alors que j’étais un jeune lycéen de 16 ans, j’avais réalisé mon premier court-métrage de 22 minutes et il a remporté un prix au FIFAK de 1975. Cette première réussite m’a vraiment encouragé à passer le concours de l’Institut des Hautes Études Cinématographiques par la suite. Le festival de Kélibia reste une plaque tournante incontournable pour les jeunes.

Par quels autres moyens un jeune réalisateur peut-il commercialiser son court-métrage ?

  • Il faut avant tout construire son film sur un très bon scénario. Quant à la commercialisation du court-métrage, rien n’est clair pour le moment. J’espère que les chaînes de télévision tunisiennes qui verront bientôt le jour considèreront cette question et accorderont un espace pour la diffusion des courts-métrages.

Reste-t-il une chance pour les réalisateurs autodidactes d’éclore, sans passer par la case «diplôme» ?

  • C’est toujours possible, à partir du moment où le talent existe réellement et que l’apprentissage se fait en continu sur les plateaux. Cependant, il ne faut pas se faire trop d’illusions : les réalisateurs talentueux et autodidactes sont une exception…

Source : http://www.magazineletudiant.com/


 

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