ALA EDDINE SLIM – «SORTILÈGE»

Par Enrique Seknadje – www.culturopoing.com – 21 fév 2020.

Ala Eddine Slim est un cinéaste tunisien de 37 ans – il est né en novembre 1982. Après avoir fait des études d’audiovisuel à Tunis, il cofonde en 2005 un collectif nommé Exit Productions. Il réalise trois courts-métrages entre 2007 et 2010. L’un d’eux l’a été dans le cadre d’une résidence d’été à la F.E.M.I.S., en 2008. Son premier long-métrage date de 2009. C’est un documentaire intitulé «En compagnie d’Hamlet». Il est suivi par un autre documentaire, coréalisé en 2012 avec Youssef et Ismaël Chebbi : «Babylon». Dans celui-ci sont filmés des réfugiés d’un camp situé à la frontière tuniso-libyenne. Pendant la «révolution de jasmin», à partir de décembre 2010, Ala Eddine Slim réalise un journal lié aux événements vécus dans son pays, sous forme de vidéos mises en ligne sur le web (1). Son premier long-métrage de fiction est «The Last of Us». Il date de 2016 et a été plusieurs fois primé.

Arrive maintenant «Sortilège». Un coup de maître. Une expérience sensorielle, un voyage lyrique et dépaysant comparables à ceux que propose Apichatpong Weerasethakul dans beaucoup de ses films, mais aussi, pour prendre quelques autres exemples me venant spontanément à l’esprit, Ali Abbasi avec «Border» (2018), ou Jonathan Glazer avec «Under The Skin» (2014).

Le titre original, «Tlamess», signifie en dialecte tunisien : «Lancer une malédiction».

De la même manière qu’il avait expliqué que «The Last of Us» découlait de ses réalisations antérieures, notamment «Babylon» – avec la question des migrants -, Ala Eddine Slim reconnaît des liens thématiques et formels étroits entre «The Last of Us» et «Sortilège». La structuration en diptyque – même si l’on pourrait parler de triptyque à propos de ces deux œuvres. L’opposition forte entre l’obscurité et la lumière – permettant des effets visuels tranchants. L’absence ou la réduction au minimum des dialogues. Ala Eddine Slim admet créer consciemment, ou imaginer des connexions entre des personnages, des lieux, des objets de ses différents films, passés, présents, ou à venir. Il déclare ainsi que l’«immigrant échoué dans Sortilège» [une simple silhouette dans le décor] c’est peut-être le personnage principal de «The Last of Us» (2). Celui-ci perd une boussole dans une forêt. La protagoniste féminine de «Sortilège» trouve une boussole – cette boussole ? – dans une forêt. La source d’une rivière que l’on voit dans les deux films – notamment à la fin de chacun d’eux – est exactement la même. Me vient à ce propos à l’esprit l’image du décor naturel au sein duquel s’accouplent la princesse et le poisson-chat dans «Oncle Boonmee» de Apichatpong Weerasethakul (2010).

© Potemkine Films

Au début de «Sortilège», des soldats cherchent des terroristes à travers moult bleds. Ils ont parfois l’air sidéré. L’un d’eux se dit épuisé, juge sa mission absurde : «Terrorisme. Mon cul, oui ! Il se passe rien du tout. On affame les gens, et on les tue pour rien !». Un autre se suicide une nuit dans les toilettes de la caserne.

Le protagoniste masculin – présenté dans les crédits comme s’appelant S -, est autorisé à retourner quelques jours chez lui, car sa mère est décédée. Manifestement, sans que cela soit dit ou clairement signifié – pratiquement rien ne l’est en ce film non plus qu’en celui qui l’a précédé – il ne rentre pas à la caserne, il déserte. Il ne répond pas aux appels sur son téléphone portable. Il sème les policiers militaires venus le chercher.

Ala Eddine Slim a présenté «Sortilège» comme un «patchwork» de diverses sources d’inspiration. Comme l’expression d’un «vécu mélangé à des fantasmes, à des désirs ». Il a également déclaré : «La source principale du film, c’est suite à un événement personnel que j’ai vécu en 2017… que je ne peux pas raconter (…)» (3).

La situation sociopolitique de son pays semble avoir joué – aussi – son rôle. Le réalisateur a affirmé que les événements présentés au début du récit sont un «alibi», une «excuse» pour «partir ailleurs» et «délirer un peu». Pas sûr. Dans son entretien avec Julien Gester, dans Libération, Ala Eddine Slim parle du poids écrasant de la police qui sert le Pouvoir tunisien, de la monstruosité cachée de l’armée (4). De son sentiment que la menace terroriste est bien un prétexte permettant d’opprimer la population. J’ai par ailleurs trouvé un témoignage filmé du cinéaste significativement intitulé : «À cause des forces antiterroristes, j’ai perdu 33 jours de ma vie» (5).

S mène une vie de fugitif dans Tunis, dormant à la belle étoile, traversant des terrains vagues qui se révéleront êtres des espaces intermédiaires, squattant un appartement vide. Il est repris, mais réussit à nouveau à s’enfuir. Il brûle ses vaisseaux, en l’occurrence ses affaires militaires, sa carte d’identité. Il abandonne son existence de citoyen. Le monde qu’il a connu jusqu’alors et qui n’est que déchets puants et violences. Une vie irrespirable.

Un magnifique plan-séquence nocturne, un travelling arrière tourné avec un drone, représente la dérobade, le détachement, le rejet. Il part d’un minaret lumineux comme un phare – la célèbre mosquée Zitouna -, survole une avenue en dépassant un établissement bancaire – une succursale de la banque Zitouna, spécialisée dans la «finance islamique» -, passe aux abords une cité-dortoir et finit devant un brasier représentant la rage destructrice, mais aussi la purification, la possibilité d’une renaissance.

S se dessaisit progressivement de tout. Il renonce à tout. Il se dépouille des oripeaux d’une civilisation honnie. Lors de sa fuite définitive hors de Tunis, il se retrouve en tenue d’Adam.

Abdullah Miniawy incarne le soldat déserteur dans «Tlamess» du réalisateur tunisien Ala Eddine Slim

Un second plan-séquence, tout aussi impressionnant que l’autre, suit longuement S, au son d’une musique métallique, stridente – créée par le quatuor de post-rock Oiseaux-Tempête. S traverse un cimetière – espace hétérotopique transitionnel -, rejoint une forêt. Il est donc nu. Il a été blessé par balle, appuie constamment sa main contre sa plaie, parce qu’il souffre et pour tenter d’empêcher le sang de trop couler. Diverses images peuvent traverser l’esprit : Jacob blessé à la hanche ; Adam se tenant une côte… Il se trouve que le plan qui apparaît brusquement à la fin de ce travelling est celui d’une femme, présentée au générique comme s’appelant F.

F appartient à ce qu’on pourrait appeler la bourgeoisie tunisienne. Au moment où la caméra la suit, elle emménage dans une luxueuse villa de style moderne située aux abords de la forêt évoquée plus haut, avec son homme d’affaires de mari. On sent une distance entre les deux époux. F est enceinte, mais n’en éprouve aucune joie. Il est question d’une «insémination» qu’elle aurait subie. Quelque chose est dit de l’artificialité, du matérialisme froid qui prévaut de nos jours.

On remarque qu’Ala Eddine Slim travaille beaucoup sur les reflets dans les vitres quand il filme ces personnages et les objets décorant leur habitat. Il veut montrer que ce monde n’est qu’apparence, illusion. «Le Désert rouge» de Michelangelo Antonioni – LE cinéaste de l’incommunicabilité – peut venir à l’esprit.

On ne manquera pas de remarquer qu’à un moment, F croque une pomme. Comme Ève, donc. Les symboles religieux et mythologiques sont nombreux et hétéroclites dans «Sortilège». Chez les bourgeois, il y a une tête de Bouddha, une statue de Ganesh… Cela traduit à la fois l’exotisme snob du couple et la volonté du metteur en scène de piocher dans toutes les cultures, dans tous les patrimoines – d’où son idée d’assemblage d’éléments disparates.

© Potemkine Films

Désœuvrée en l’absence momentanée de son mari, F part se promener en forêt. Elle y rencontre, médusée, un inconnu. C’est S, qui est devenu un homme sauvage. Ève rencontre Adam. Celui-ci est aussi un oracle, souvent encapuchonné. Avec son bâton, il est Moïse. Progressivement, F accepte de rester avec lui. S explique vouloir la protéger, elle et son enfant, la mettre à l’abri. À l’abri, donc, de cette société que lui même a quittée. F, qui a trouvé la boussole de N, le héros de «The Last of Us», la laisse tomber… la perd à son tour. Effacement involontaire et volontaire des repères. S’égarer dans la nature. Couper les amarres.
S vit comme M, le vieil homme primitif de «The Last of Us», et comme N, l’immigrant subsaharien lorsqu’il rencontre M, puis lorsqu’il lui survit. L’abri de S n’est cependant pas une cabane, c’est une maison-caverne située en sous-sol. Comme un ventre creusé dans la terre. La pluie y pénètre. S et F marchent constamment dans l’eau stagnante. Celle-ci évoque le liquide amniotique.

S et F ne parlent pas, ils dialoguent à travers leurs regards, les yeux. Ala Eddine Slim a trouvé un moyen magnifiquement hypnotique pour symboliser ce qu’ils se disent.

Ala Eddine Slim s’est exprimé sur le fait que ses films ou une partie de ses films sont dénués de dialogues. Que ses personnages, s’ils communiquent, le font parfois sans les mots, via le langage infra-verbal.

Dans Cinémascope, une émission de radio tunisienne consacrée au septième art, il a déclaré : «Je trouve des difficultés dans l’écriture des dialogues. Et, aussi, je pense qu’on parle beaucoup dans le cinéma et dans la vraie vie [sous-entendu : pour ne rien dire] (…) J’ai voulu essayer ce moyen de communication non verbal entre mes personnages. Et après, pour moi, le cinéma c’est une expérimentation (…) Pourquoi ne pas essayer de raconter les histoires ou de véhiculer les sentiments à travers les premiers moyens… les moyens primitifs du cinéma que sont l’image, le montage, le son – mais pas le dialogue (…)» (6).

Dans la forêt, il y a un monolithe noir. Comme celui – ceux – que montre Stanley Kubrick dans «2001, L’Odyssée de l’espace» (1968). Les critiques évoquant cette référence expliquent qu’un rapprochement peut également être fait avec la Kaaba, le cube noir se trouvant dans la Mosquée sacrée de La Mecque. Depuis longtemps, en fait, le monolithe kubrickien a été associé à la Kaaba. Des textes ont même été écrits sur les rapports entre le chef d’œuvre du réalisateur anglais et l’Islam.

Difficile de dire ce que représente ce parallélépipède. Sa présence est énigmatique, mais aussi la représentation de l’idée du Mystère. Ala Eddine Slim a, lui, dit son sentiment : «Le mur, pour moi, c’est la porte qui t’amène ailleurs. Derrière la porte, tout se passe, tout se dévoile. D’ailleurs, c’est près du mur que le serpent apparaît qui est pour moi le personnage essentiel du film» (7).

À un moment, malgré les mises en garde de S, F sort seule dans la forêt. Elle voit le monolithe et s’en approche. Elle se retrouve face à face avec un serpent cyclopéen. Celui-ci la touche. La caméra montre l’extrémité de la queue de l’animal sortant du champ sous le regard de F.

Dans une scène ultérieure, S soutient F – figure de Pietà – qui a manifestement de la fièvre. S sort pour ramener un «antidote». Il vient devant le monolithe, mais on ne sait s’il trouve ce qu’il recherche. Peut-être, puisque plus tard, F semble aller mieux. On remarque cependant que le serpent n’a pas mordu F. Sa langue bifide lui a plutôt caressé le ventre. De plus, c’est un Anaconda. Ce type de reptile n’est pas venimeux. L’animal de «Sortilège» pourrait être une figure protectrice plutôt qu’agressive.

Ala Eddine Slim joue tout au long du film avec la figure du serpent, sa présence concrète ou symbolisée, les connotations qui lui ont été ou lui sont associées. Lorsqu’il était arrivé devant la maison de sa mère, S avait écarté un serpent mort – non pas fantastique, mais réel. Le cinéaste a comparé le travelling arrière effectué avec un drone à la silhouette d’un serpent. J’ai parlé de Moïse et de son bâton. Le bâton de ce prophète n’avait-il pas à voir avec cet être ophidien ?…

Qu’il s’agisse du serpent, de la pomme que mange F – on avait vu subrepticement S en manger une, lui aussi, lorsqu’il se cachait à Tunis -, des statues de divinités, Ala Eddine Slim me semble les utiliser non pas dans leur sens originel, celui qui est inscrit dans le marbre des livres, mais en tant que signes d’une religiosité, d’une spiritualité vivante et singulière dans laquelle baignent ses personnages et lui-même. Il effectue un travail de détournement créatif, de polysémisation et de régénération politique et esthétique. De mise en résonance productive. Il crée des rimes formelles et thématiques.

Que l’on pense au monolithe – après avoir évoqué le serpent. Ala Eddine Slim l’associe tout au long de la première partie avec des formes géométriques qui lui ressemblent. Devant les toilettes de la caserne, il y a un panneau rectangulaire blanc – à un moment, S s’en trouve à proximité, comme si quelque chose le reliait au suicidé. Dans la chambrée des soldats, un téléviseur plat forme un rectangle noir. On pourrait donner d’autres exemples : les embrasures de portes, l’aquarium se trouvant dans la maison de F. C’est concret : sur-cadrages créant des ouvertures et des symboles de l’enfermement. Mais c’est aussi abstrait. On en viendrait presque à penser aux carrés de Malevitch, aux carrés et aux rectangles de Hans Richter (Rythme 21, 1921-1923).

Beaucoup de commentateurs évoquent la dimension expérimentale du cinéma d’Ala Eddine Slim. Avec raison, celui-ci affirme : «C’est loin du cinéma expérimental, ce que je fais. Moi j’expérimente (…) dans le récit, dans la mise en scène (…) On est loin de Stan Brakhage, ou de Michael Snow. Je ne suis pas dans ces territoires-là» (8). Mais, en parlant des écarts importants entre les grosseurs de plans, des «plans macros» sur les yeux des personnages – inspirés selon lui par le cinéma de Sergio Leone -, des cuts brutaux, il explique : «[Dans] tout le film j’essaie d’expérimenter, de voir ce que ça peut donner, de voir ce que ça peut provoquer chez moi et chez le spectateur» (9).

F accouche avec l’immense empathie de S. Celui-ci nourrit le bébé (10). Mais l’homme et la femme ne peuvent manifestement s’en occuper correctement, de façon adaptée. Ils ne veulent pas le garder. L’enfant sera abandonné pour le mari qui, ayant recherché sa femme pendant des mois, avec l’aide de policiers, de villageois, le trouve à la source.

On ne saura ce que sont devenus S et F. Ils se sont évaporés, évanouis dans la nature comme N dans «The Last of Us» – même si c’est de façon filmiquement différente : les protagonistes de «Sortilège» disparaissent brusquement hors du champ diégétique, ou plutôt n’apparaissent plus en cet espace, alors que N s’effaçait, se dissolvait dans le champ, par fondu. Peut-être ont-ils embarqué sur la barque que S a construit sur une plage, parfois devant une mer démontée.

© Potemkine Films

Les personnages principaux d’Ala Eddine Slim sont en quête de liberté, sont à la recherche de terres inconnues, vierges. Ils les trouvent donc, en laissant derrière eux la Civilisation, la société des Hommes, l’Institution religieuse, le Marché, les lieux de pouvoir et d’obéissance. Ils les trouvent dans la Nature, dans leur for intérieur : là où prennent forme les rêves, où s’épanouit l’imaginaire… Dans des mondes où les codes, les catégories, les genres – au sens sexuel -, les identités peuvent et sont remis en question, annihilés.

C’est aussi ce que fait le metteur en scène dans son existence, à travers son art. Il veut créer librement, hors des sentiers battus, quitte à provoquer, à déranger. Il entend exprimer ce qu’il ressent profondément en lui et qui transcende la réalité, met à mal la logique. Il n’a pas le souci du sens et de la cohérence à tout prix. Il veut, en tant qu’auteur, perdre le «contrôle», s’ouvrir aux forces qui en lui le dépassent. Dans «Sortilège», il y a une référence à l’un des fleurons du surréalisme, «Un Chien andalou» (Luis Buñuel et Salvador Dali, 1929) : l’oeil d’un personnage filmé en gros plan est comme fendu, grâce à une surimpression, par un avion et la fumée qu’il laisse dans son sillage.

Ala Eddine Slim veut retrouver l’essence du cinéma, perdue, détruite par son industrialisation et sa commercialisation à outrance – et par ce qu’elles impliquent. Il a lancé à ce propos : «Le scénario n’est pas important, l’histoire n’est pas importante (…) D’ailleurs, à la veille du premier jour de tournage de «Tlamess», j’ai brûlé le scénario (…) et j’ai dit à l’équipe : «Voilà, ça on oublie… On va ailleurs» (11). Luc Chessel, dans Libération, y voit un «geste symbolique et [une] opération de sorcellerie, pour initier et encourager la transformation des formules en actes, et des mots en images et en sons» (12). Il établit à partir de là un lien entre le cinéaste et son protagoniste masculin – S est l’initiale du nom Slim… Je pense pour ma part à la formule de Pier Paolo Pasolini, ce citoyen primitif, ce corsaire iconoclaste, quand il parlait du scénario comme d’une « structure renvoyant à une autre structure», le film sur pellicule : «Faire du cinéma, c’est écrire sur du papier qui brûle» (13).

Ala Eddine Slim ne craint pas de raconter que pour atteindre ses objectifs, procéder comme il le souhaite, oublier les contraintes du réel, il consomme des produits hallucinogènes comme l’alcool ou le cannabis. Il s’inscrit ainsi dans une lignée d’artistes qui avaient besoin des paradis artificiels, les choisissaient volontairement, pour des raisons multiples… Parmi ces artistes, Henri Michaux. Ala Eddine Slim fait probablement l’expérience d’un infini turbulent.
On sent chez lui un besoin vital, quasi désespéré de s’évader… De s’évader de tout. De fuir l’État policier tunisien, mais aussi, peut-être, ceux qui le combattent et qui appartiennent, qu’ils le veuillent ou non, au même Système : «J’essaie de trouver un autre ailleurs plus accueillant que la Cité. Moi, avant 2011, j’étais un cinéaste très urbain (…) Après que les citoyens tunisiens ont repris la rue et la ville, je me suis senti un peu étranger à ce monde-là. Du coup, j’ai cherché à aller ailleurs (…)» (14).

Bien qu’aspirant à la solitude, Ala Eddine Slim fait des films, dirige des équipes de tournage. Il travaille dans un collectif en aidant d’autres cinéastes à produire leurs œuvres. Il promeut les siennes. Il rencontre des gens du métier, certain de ses spectateurs. En cet univers, il cherche bien sûr une forme de tranquillité, mais se veut aussi un boutefeu, une «tache dans le paysage» (15), un «parasite» (16).

En guise de conclusion, je livrerai cette impression mienne que les personnages qui importent à Ala Eddine Slim, dans «Sortilège», mais aussi dans «The Last of Us», naviguent étrangement entre la vie et la mort… Ils espèrent une humanité meilleure, une existence plus harmonieuse et paisible, et cherchent à réussir leur métamorphose positive. Ils sont aussi pris dans un mouvement entropique, se sentent happés par les trous noirs, flirtent avec le néant. Ils vivent peut-être l’équivalent d’un deuil.

Le réalisateur a expliqué que, à ses yeux, S et F sont maudits par le sort, qu’ils ratent ce qu’ils ont entrepris : «C’est un film sur l’échec… tous les deux, ils échouent [dans] la protection de l’enfant» (17).

Cela dit, et revient alors ce que j’ai évoqué à propos des connexions qu’il établit ou imagine entre ses œuvres passées, présentes et à venir, Ala Eddine Slim affirme : «Ce qui est sûr, c’est que le bébé va réapparaître dans une prochaine histoire» (18).

The Cinema must go on !

Notes :

  • 6) «Ala Eddine Slim nous parle des son film Tlamess», Cinémascope, 1er février 2020.

  • 7) «Tlamess», la planète de l’imaginaire du Tunisien Ala Eddine Slim», Entretien avec Siegfried Forster, RFI, 25 mai 05 2019. http://www.rfi.fr/fr/culture/20190525-tlamess-ala-eddine-slim-tunisie-planete-imaginaire
  • 8) Cinémascope [déjà cité].
  • 9) Cineuropa [déjà cité].
  • 10) «À la même époque, mon ex-femme était enceinte de notre deuxième fille. Je ne comprenais pas pourquoi c’est toujours la femme à qui on donne tout le bénéfice de la grossesse. Durant ces 9 mois, le père souffre autrement. Faire allaiter le bébé par le soldat était une façon de prendre ma revanche !». Dossier de presse [déjà cité].
  • Ala Eddine Slim a raconté que sa source d’inspiration pour la scène d’allaitement a été un tableau vu dans la série de Paolo Sorrentino The Young Pope (2016) : La Femme à barbe de Jusepe de Ribera (1631). Cf. «Ala Eddine Slim : «On parle trop dans la vie, et dans le cinéma aussi», propos recueillis par Jacques Mandelbaum, Le Monde, 19 février 2020.
  • https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/02/19/ala-eddine-slim-on-parle-trop-dans-la-vie-et-dans-le-cinema-aussi_6030046_3246.html
  • 11) Cinémascope [déjà cité].
  • 12) Luc Chessel, «Sortilège, l’appel au bois dormant», Libération, 18 février 2020. 
  • 13) Pier Paolo Pasolini, «Être est-il naturel» (1967), in L’Expérience hérétique,  Payot, Paris, 1976, p. 216
  • 14) Cinémascope [déjà cité].
  • 15) Sarah Ismand, «Black Movie | Rencontre avec Ala Eddine Slim pour The Last of Us», Le Billet, 17 février 2017. https://next.liberation.fr/cinema/2020/02/18/sortilege-l-appel-au-bois-dormant_1778820
  • 16) Dossier de presse [déjà cité].
  • 17) Cineuropa [déjà cité].
  • 18) Dossier de presse [déjà cité].

Source : https://www.culturopoing.com/


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire