PROJECTION DU CHALLAT DE TUNIS À EL MOUGAR

Femme de la légende au cinéma

Par O. HIND – lexpression.dz – Samedi 07 Juin 2014

La nouvelle ministre de la Culture, Nadia Cherabi-Labidi, a donné le «la» mercredi dernier à cet événement qui mettra en compétition plusieurs documentaires, courts et longs-métrages et ce, jusqu’au 11 juin.

Il a ouvert la programmation à l’Acid cette année au Festival de Cannes. On le retrouvera à quelques jours près au Festival du film maghrébin d’Alger. Un bon point donc pour ce dernier. Du flair et de l’audace surtout pour avoir opté, une fois n’est pas coutume, pour un film qui parle de la condition de la femme dans les pays arabes, mais de façon bien audacieuse et maligne. Après Fadhma N’Soumer de Belkacem Hadjadj, qui a inauguré mercredi dernier le Festival, place jeudi dernier à cette production tuniso-franco-canadienne projetée dans le cadre de la sélection des longs-métrages en compétition de cette manifestation qui comprendra, faut-il le rappeler, plusieurs avant-premières cette année, ce qui est en somme une bonne chose aussi.

La femme constitue le cheval de bataille, si ce n’est une des préoccupations majeures, du cinéma tunisien, nous le savons, et le sentions depuis des années. En témoigne une panoplie de films de cinéastes qui se sont penchés sur la question, dont Moufida Tlatli, Nouri Bouzid et Raja Amari pour ne citer que ceux-là. Mais la façon dont la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania aborde la thématique fait de ce film un ovni d’un genre à part. D’abord par sa manière de traiter le sujet comme si c’était un documentaire, en brouillant les pistes et surtout en s’immergeant complètement dans son propre film. Elle prend part de façon très effective à son film. Elle est témoin, observatrice et actrice même des événements qui se déclinent dans son propre film, où l’on ne sait plus à quel moment s’arrête la fiction et où commence le réel, même si on le perçoit pourtant par petites touches éparses et menus détails. Un homme sur une moto, une lame de rasoir à la main, balafre les plus belles paires de fesses des femmes qui arpentent les trottoirs de Tunis. On l’appelle le Challat, (la lame). Après la révolution du Jasmin, une jeune réalisatrice obstinée mène l’enquête pour élucider ce mystère. Un informaticien zélé s’inspire du fait divers du challat, décide d’en faire un jeu vidéo et demande la bénédiction d’un homme religieux qui approuve le choix du contenu de son jeu, à savoir, il faut balafrer les fesses des femmes «jugées provocantes» et épargner les femmes voilées. Mais voilà, une femme débarque au cybercafé où de nombreux jeunes garçons s’adonnent à ce jeu, pour dénoncer cette incitation à la violence contre les femmes. Cette histoire, aussi banale soit-elle, traversée de sautes d’humour imparables, décrit pourtant le tragique dans lequel la société tunisienne et par extenso, arabe, a été ou est encore confrontée.

La montée de l’intégrisme par le prisme de ces regards violents, portés par un certain discours extrémiste et macho envers les femmes, est mise en exergue avec acuité. La particularité de ce film réside dans la justesse désincarnée de ses personnages et leur discours qui colle hélas à la réalité, bien que parfois ça glisse vers le «pathos», la surenchère et le cliché. Tout ceci n’est qu’un scénario de fiction et non pas un documentaire, tient-on à le rappeler à nous-mêmes à chaque fois. Chose nécessaire à se mettre en tête pour ne pas tomber dans le piège de l’alarmisme primaire. Car tout ceci n’est qu’une fiction et pourtant, malgré les rires incessants du public, demeure, au fond, la lie de la conscience tenace qui nous ramène sempiternellement à la réalité. Le Challat de Tunis est rudement plus vrai que nature. Car si la plupart des personnages sont amateurs de leur état, celui dont tourne autour l’histoire et même certaines victimes féminines qui racontent leurs déboires sont bel et bien vrai ! Kaouther Ben Hania a osé mettre en scène dans son propre film le vrai challat ou supposé, car ayant été innocentée par la justice, en fait. Elle pousse la satire jusqu’à organiser un casting pour trouver celui qui jouera au mieux ce rôle. Elle est interrompue lors de ce casting par ce gars lui-même qui lui avoue dans son propre film / écran que c’est lui qui devrait jouer ce rôle…Une sorte de double miroir pour un film qui se joue de nous et du degré du vraisemblable pour conjuguer légende, rumeur, téléphone arabe à la réalité. En cela, ce film est fort. Surtout quand le rapport homme/femme se trouve lié à la politique du gouvernement tunisien d’obédience intégriste. Là on saisit toute la nuance qui s’éclaire comme le jour de cette fable qui prend des allures d’un brûlot satirique, mais sans jamais tomber dans la délation. Le réquisitoire viendra avec intelligence par esprit de contrepoids mettant à plat les absurdités, d’un système ô combien moyenâgeux qui prétend débusquer le bien et le mal qui se cache derrière l’apparence d’une femme et l’image que véhicule cette dernière et la nécessité de la punir ou non, tout comme on brûlait au bûcher les pseudos sorcières jadis. Truculent, Le Challat de Tunis atteint son paroxysme en faisant parler cette femme qui déclare avoir mis au point un appareil pour détecter la «bonne foi» de la femme partant de ses supposées relations sexuelles avec un homme ou pas….

Le film trouble le spectateur qui, par moment, plonge dans le silence quand deux femmes, face à la caméra évoquent avec émotion ce qui leur est arrivé et ce qu’elles endurent dans cette société aliénée, malade et désœuvrée. L’image de cet homme en train de pêcher en plein marécage des plus dégueulasses (eau stagnante) et où nage même le cadavre d’un animal est criante de vérité. Mais là c’est un peu l’œil vindicatif et noir de la réalisatrice, dirions-nous qui a choisi d’emblée de faire confronter le spectateur avec ses propres contradictions en lui «montrant» les choses telles quelles sans prendre le temps de les embellir. Cinéma du réel et de l’instantané, Le Challat de Tunis est une comédie politique qui se plaît à brouiller les pistes de la narration sans perdre le fil conducteur de sa trame, à savoir la gravité de la banalisation de la violence envers les femmes. Phénomène qui trouve racine dans une mentalité passéiste et pourrie qui tarde à faire sa mue et sa révolution, elle aussi…

Source : http://www.lexpressiondz.com/


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