MOHAMED ZRAN : «J’AIME LES GENS SIMPLES, JE SUIS UN HOMME DU PEUPLE»

Cartes sur table avec Mohamed Zran, réalisateur de «Zarzis, vivre»

Par Hanène Zbiss – réalités.com

A cours de l’avant-première du film, organisée à Zarzis dans une ambiance de liesse et de fierté de la part des habitants et des autorités de la ville, et en présence des protagonistes du documentaire, nous avons rencontré Mohamed Zran, son réalisateur, qui nous a parlé de cette belle expérience cinématographique et des messages qu’elle cherche à révéler au public.

Pourquoi un film sur Zarzis aujourd’hui ?

  • Pour dire la vérité, je n’ai pas voulu spécialement parler de ma ville natale. Mais il est arrivé un moment où j’ai eu envie de faire un arrêt dans ma vie après tous mes voyages et films. Et puis, face à toutes ces crises mondiales et ces conflits régionaux et guerres d’images, j’avais besoin de savoir où j’étais. Je suis donc revenu à Zarzis, avec dans la tête des personnages. Elle est devenu pour moi le monde. Je me suis tout de suite lancé dans le projet et j’ai eu l’énergie nécessaire pour le réaliser. Il y avait comme une magie qui s’est créée à l’intérieur de moi. À travers ce film, je voulais dire des choses universelles à partir d’une petite ville dont personne n’a entendu parler dans le monde.

Mais cette Zarzis que vous avez filmée est une ville qui, malgré sa beauté, fait fuir ses enfants. Comment avez-vous traité cela ?

  • Ma vocation en tant que cinéaste est justement de montrer les choses graves. Zarzis, pour certains, est un paradis, notamment pour les étrangers qui veulent s’y installer et qui la regardent avec un œil plus ouvert car ils voyagent et comparent. Pour ceux qui l’habitent, le paradis est ailleurs car ils ne sont pas dans la même logique. Ils veulent fuir au péril de leur vie. D’où la contradiction entre deux mondes : celui qui nous regarde avec un œil ouvert et celui où nous vivons et dans lequel nous restons enfermés sur nous-mêmes. Le film est nécessaire dans le sens où il cherche à casser ces tabous.

Justement, vous avez schématisé la relation entre le Nord et le Sud dans le rapport entre Fakhri, le cavalier, et Yota, la touriste étrangère…

  • Yota représente l’Europe qui vieillit et Fakhri symbolise la jeunesse et l’énergie. Yota est riche mais elle n’a plus de place chez elle car elle n’est plus jeune et, quelque part, elle est devenue comme “un chiffon”. Toutefois, elle peut trouver son bonheur ailleurs, grâce au pouvoir de l’argent. C’est un peu triste pour elle, mais aussi pour Fakhri qui cherche à monnayer sa jeunesse, sa beauté et son corps afin de réaliser son rêve de partir. C’est terrible ! Vous voyez un peu l’effet néfaste de la mondialisation ! À quoi on est réduit à cause des frontières fermées ! En barrant ces frontières, on a empêché le contact entre les civilisations. Du coup, l’homme du Sud est obligé de vendre son corps afin de réaliser son rêve.

Pourquoi avez-vous choisi de concentrer toute votre histoire sur le personnage de Simon, qui est à la fois le droguiste, le guérisseur et la mémoire de la ville ?

  • La boutique de Simon est comme une bibliothèque locale dans laquelle on trouve tout ce dont on a besoin de savoir sur la ville. Symboliquement et cinématographiquement, c’est fort ! Pour cela, j’ai choisi de partir de cet endroit et de tisser tous les liens entre les protagonistes. La boutique de Simon est le lieu où tout le monde se rend, achète et part, alors que lui est toujours là, comme le dernier personnage chez lequel il faut aller se ressourcer de quelque chose d’essentiel avant qu’il ne meure. Simon est un habitant de Zarzis, il est Tunisien. Sa religion ne m’intéresse pas. Mais son petit commerce symbolise pour moi l’humanité entière.

Vos personnages, qui sont véridiques, ressemblent plus à des personnages de fiction, non ?

  • Les personnages sont véridiques mais moi j’ai pu les utiliser pour créer une histoire. Il y a un regard derrière le film qui est celui du cinéaste faisant en sorte que les protagonistes soient sublimés et attachants par leurs caractères, leurs forces intérieures et leurs parcours. J’ai écrit une fiction tout en utilisant les éléments du réel, grâce à la façon de filmer et au montage. Je n’ai pas fait un film documentaire tout court mais un doc de création où la fiction est bien présente. C’est une démarche nouvelle qui est fascinante pour moi !

Est-ce que la vision de vos personnages sur Zarzis est la leur, ou les avez-vous poussés à adopter la vôtre ?

  • Non, je les ai présentés comme ils sont avec leur vision des choses. Je n’ai rien inventé ni fabriqué. J’ai juste montré ce qui me touche chez eux et qui m’aide à faire passer mon message, pour aboutir à la fin à une construction, à une toile.

Comment avez-vous construit l’histoire de ce film ? L’avez-vous écrite avant de tourner ou tout en tournant ?

  • Vous savez, il y a l’écriture mécanique dans la peinture. J’ai procédé un peu de la même manière avec ma caméra. Chaque jour je filmais et chaque touche en appelait une autre. J’ai construit mon histoire par l’accumulation quotidienne de choses. J’ai eu pleins de bonnes surprises pendant le tournage, de sorte que je changeais régulièrement ma façon d’orienter ma caméra vers tel endroit, tel côté ou tel geste du personnage. J’ai écrit ce film lettre par lettre, phrase par phrase, comme un puzzle, pour faire un ensemble.

Ce film montre que la cohabitation entre les religions est possible, est-ce là le message essentiel que vous avez voulu véhiculer ?

  • J’ai voulu montrer que les conflits entre les religions sont dus à des manipulations intellectuelles, à des fins politiques ou économiques, alors que dans la réalité les gens veulent vivre ensemble, et ils coexistent réellement. Les hommes s’aiment naturellement et mutuellement et il y a chez eux un besoin vital de cohabitation.

Pourquoi vous occupez-vous toujours dans vos films, qu’ils soient des fictions ou des documentaires, de gens ordinaires, marginaux ?

  • D’abord, moi je fais partie de ces gens-là. Je suis un homme du peuple. Et puis, ces gens disent des choses vraies, authentiques. Ils sont expressifs et émotionnels. Ils dégagent quelque chose parce qu’ils ne sont pas cassés par la vie, le pouvoir ou l’administration. Ils sont libres dans leurs actes et s’expriment sans réserves. Par contre, les gens qui réfléchissent, ceux qui ont le pouvoir quand ils parlent, ils ne sont pas sincères. Car ils pensent d’abord à leurs postes et à leurs supérieurs. Pour moi, ils ne dégagent rien. Ils ne m’intéressent pas. La vie se passe ailleurs, chez les personnes simples et ordinaires, qui travaillent, souffrent et rigolent. Je serais toujours de leur côté. Les autres, je les zappe.

Cette migration, chez vous, de la fiction vers le documentaire, peut-elle s’inscrire dans une démarche de recherche de sens, d’authenticité en collant plus au réel ?

  • Absolument. Il y a aussi une volonté de voir le monde autrement et de l’écrire d’une façon différente, en réaction à la diffusion massive des images manipulées et formatées. Beaucoup de cinéastes aujourd’hui ont délaissé la fiction pour aller puiser dans la réalité, dans un quotidien fort, afin de montrer au monde une richesse oubliée. Pour ma part, et
    face à une faillite de la télévision et du cinéma, je cherche un genre singulier qui interpelle la fiction mais aussi le réel.

Vous avez parlé d’une filiation entre vos anciens films et ce documentaire sur Zarzis, comment se manifeste-t-elle?

  • La filiation vient de mon intérêt envers les gens simples, la vie quotidienne et les choses normales qu’on ne voit pas. Comme je l’ai dit auparavant, j’aime filmer l’existence des personnes ordinaires, qui sont pour moi extraordinaires.

Pourquoi avez-vous intitulé le film «Zarzis, vivre ici» ?

  • «Vivre ici», je l’ai ajouté pour le marché francophone. Car lire seulement «Zarzis» pourrait ne rien dire à un public européen. Par ailleurs, «ici» ne définit pas un lieu particulier. Cela pourrait être n’importe où. Mais pour moi, là où on se sent bien, on est «ici».

Où le film a-t-il été projeté jusqu’ici ?

  • Il a été présenté à Abou Dhabi où il a obtenu le prix du meilleur réalisateur au Festival cinématographique international du Moyen-Orient. Il a été projeté à Florence où il a été bien accueilli, et en France. J’ai eu beaucoup de demandes des États-Unis et de l’Espagne pour le présenter. Là, il va partir en une tournée dans les festivals qui débute par le Maroc.

Source : http://41.226.15.227/realites/home/


 

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