À PEINE J’OUVRE LES YEUX, DE LEYLA BOUZID : SCÈNES DE LA VIE FAMILIALE

Par : N. Torchani – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 26-11-2015

Farah, 18 ans, toute la vie devant elle. Dit ainsi, ce personnage a un horizon de possibilités infinies qui s’offre à lui. Puis, il suffit de fixer le cadre spatio-temporel pour que cet horizon se rétrecisse. Farah a 18 ans en Tunisie en 2010. Dans sa rue, il y a la liberté d’être jeune et la contrainte d’être sous Ben Ali. Dans sa maison, il y a le poids d’une famille aimante. Farah, campé par Baya Medhaffar, est surtout le premier rôle du premier long-métrage de la Tunisienne Leyla Bouzid, À peine j’ouvre les yeux.

En 102 minutes, Farah rit, pleure, chante, se rebelle, chavire, vit… Son histoire a défilé sur les écrans de nombreux festivals internationaux avant de rencontrer le public tunisien aux Journées cinématographiques de Carthage, dans la compétition officielle. La première projection grand public, dimanche dernier au Colisée, a montré combien ce film était attendu. L’équipe au grand complet est montée sur scène afin de le présenter. Un moment convivial, teinté de spontanéité, qui a installé une sorte de contrat de confiance implicite entre le public et l’écran : on est là pour voir le film. Et les premières images d’arriver, montrant l’un des premiers flirts dans la vie de Farah, sans un bruit dans la salle, ni sifflements ni commentaires inappropriés, comme on l’a vu dans d’autres projections.

Écrit après la révolution, «À peine j’ouvre les yeux» se passe en 2010 mais filme une rupture pas tout à fait consommée avec la dictature. Celle-ci prend en effet plusieurs formes, dont la dictature des codes de société, auxquels veut se conformer la mère de Farah (Ghalia Ben Ali) et y résigner sa fille. La jeune femme se rebelle, n’en fait qu’à sa tête, croque la vie à pleines dents et tente de reporter  la confrontation avec sa mère. C’est un personnage qui désire gagner du temps, avant d’être rongé par le mal du conformisme. Dans sa narration, Leyla Bouzid questionne la dictature matriarcale et la transmission de valeurs de mère en fille. Un héritage que l’on reçoit dans la peine.

À la croisée des chemins, Farah doit faire des choix. Son bac en poche, sa famille la voit déjà médecin, alors qu’elle penche pour la musicologie. Son caractère est pétri de sensibilité, de force et de fragilité, que le jeu de la magnifique Baya Medhaffar a bien su transmettre à l’écran. Dans son élan de jeunesse, Farah va découvrir l’amour, l’art, la déception et le danger de déranger la dictature. Au début du film, elle évolue entre amis, dans un Tunis nocturne, sous-terrain. Dans le cadre, elle occupe l’écran, mais laisse une place pour un portrait de la ville en arrière-fond. Plus on avance dans le film, plus les couleurs de la nuit cèdent la place à la lumière du jour, comme des yeux qui s’ouvrent petit à petit après une longue nuit. À peine j’ouvre les yeux est donc un coming of age où le contexte benaliste est un prétexte pour l’évolution du personnage de Farah vers sa vie d’adulte.

À peine j’ouvre les yeux est une première œuvre où Leyla Bouzid ne prend pas beaucoup de risques, sans doute afin de rester dans la  maîtrise de ce premier grand pas dans sa carrière cinématographique. Elle est en effet dans la maîtrise avec un casting réaliste, un jeu d’acteurs naturel et bien dosé et une image où la composition et le cadrage sont en cohérence avec l’affect des personnages. Le tout enveloppé d’une musique originale marquante, grâce aux compositions de Khayam Allami et aux paroles de Ghassan Amami. Un film qui sait séduire, au local comme à l’international.

Auteur : N. Torchani

Ajouté le : 26-11-2015

Source : http://www.lapresse.tn/


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