«Pour un cinéma qui brise les tabous»
Auteur : Karray BRADAI – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 21-11-2018
Réalisatrice douée et sensible, Nada Mezni Hfaïedh a réussi en un laps de temps à faire parler d’elle, grâce à son cinéma poétique et sensible aux thématiques féminines et masculines. Avec son statut de grande cinéaste, Nada a réussi à briser les tabous qui concernent les femmes et les hommes.
Les JCC 2017 restent pour vous un souvenir inoubliable après avoir été primée pour votre film «Au-delà de l’ombre» !
- Ce fut un engouement sans précédent. Le public a réservé au film un accueil enthousiaste. Je ne m’attendais pas à un tel succès, surtout que mon film était explicite sur la situation de la communauté LGBT dans le pays et où l’homosexualité est un crime. Il y a ceux qui n’ont pas aimé. Mais je veux un cinéma qui met en exergue nos problèmes sans se cacher derrière des masques. Ce documentaire a reçu le Tanit de bronze aux Journées cinématographiques de Carthage 2017. Pour être franche et sans détour, je méritais le Tanit d’or pour mon travail, mais il y a eu une personne du jury qui a été contre. Mais l’essentiel est que mon film a choqué plusieurs personnes. Il ne faut pas oublier que j’ai vécu en Arabie Saoudite et je connais fort bien le mal de ces pays du Golfe, à savoir l’homosexualité. Avec mon film, j’ai réussi à «casser» ce tabou qui dérange pas mal dans les pays arabes.
Vous montrez l’homosexualité sans tabou et sans pudeur. Comment avez-vous trouvé la distance juste ?
- Je crois avoir trouvé la bonne distance en trouvant la bonne forme visuelle du film. Quand j’ai décidé d’utiliser les codes du documentaire, la règle la plus importante à suivre était la suivante : toute chose n’avait lieu qu’une seule fois et nous étions là — bien sûr nous avons fait plusieurs prises, mais c’était le principal —, il me semblait logique, voire honnête de ne pas chercher à cacher certaines choses. Nous sommes là et nous filmons ce qui est en train de se passer, donc nous filmons aussi ce qui est le plus confus, choquant ou malsain. Nous n’essayons pas de mettre en avant ces choses-là, mais nous ne nous efforçons pas non plus de les cacher. J’ai filmé des expériences vivantes et choquantes, sans hypocrisie.
Après votre succès avec «Au-delà de l’ombre», vous aviez tourné un long-métrage, «Histoires tunisiennes». Encore une fois, un film qui dérange…
- J’ai pris ma place naturellement en effectuant un choix effectif et politique : celui de collaborer avec des gens de ma génération. Cela fait bouger les lignes. Je conçois le romanesque au féminin. Avec «Histoires tunisiennes», j’ai mis les problèmes de notre société à visage découvert. Il est bon de souligner que ce film a reçu plusieurs prix et a été sélectionné dans plusieurs festivals.
Il y a eu un casting fort intéressant avec la présence de Taoufik El Ayeb, Maram Ben Aziza, Yasmine Azouz, Nadia Boussetta et autres Ali Bennour et Khaled Houissa.
Le film raconte les histoires de plusieurs personnages habitant dans une même ville, avec leurs défauts et leurs préoccupations.
Malgré la réussite de ce film, la série télévisée «Hykayet Tounsya» a été un échec d’après les critiques ! Avez-vous des justifications à donner ?
- J’ai écrit et réalisé cette série télévisée tirée de mon film «Histoires tunisiennes», pour la chaîne El Hiwar El Tounsi, pendant le mois de Ramadan. À mon avis, l’échec est venu du côté humain. Je pense que les acteurs de cette série étaient injustes avec moi, surtout que j’ai été loyale avec eux pendant tout le tournage en déployant beaucoup d’efforts. À la TV, je crois que le côté humain fait défaut.
La révolution a-t-elle changé quelque chose dans votre manière de faire des films?
- J’ai le sentiment de parler à un public libéré, plus audacieux. Quand on a goûté à la liberté, quand on a vécu les événements du 14 janvier, cette euphorie incroyable, il en reste toujours quelque chose. Quelque part, mon cinéma vise à retrouver cette joie, cette jouissance et cette intensité dans toutes les choses de la vie.
Ces dernières années ont été marquées par le nombre croissant de femmes cinéastes. Qu’en pensez-vous ?
- Nul ne peut remplacer les deux grandes réalisatrices Selma Baccar et Moufida Tlatli. Elles ne cessent de nous encourager à travailler et à donner une autre image du cinéma féminin. Mes collègues cinéastes Hiba Dhaouadi, Lilia Bouzid, Nidhal Guiga et moi-même sommes ambitieuses et compétentes. Nous avons présenté un cinéma esthétique, sensible et généreux, certains réalisateurs veulent nous faire croire qu’on n’a pas conquis une place parce qu’on la mérite, mais juste parce qu’on est une femme. On doit travailler deux fois plus pour faire ses preuves.
Lors des JCC 2018, vous avez présenté le film «Girl of the Moon» comme productrice et non comme réalisatrice?
- La réalisatrice Hiba Dhaouadi a travaillé sur le projet depuis six ans, sur le quotidien et le défi des enfants connus sous le nom d’enfants de la lune. C’est une histoire de vie, de partage et de détermination dans ce documentaire. Bien sûr, j’étais emballée par le scénario, alors j’ai décidé de la produire. Où est le problème? Le film est une œuvre émouvante.
Quels sont vos prochains projets ?
- Le cinéma tunisien passe actuellement par une période faste. L’essentiel est de persévérer. Mais je persiste à croire que notre cinéma doit avoir une conception commerciale. Il faut faire des films commerciaux comme en Égypte, parce qu’il n’est pas souhaitable de bombarder les cinéastes de films à réflexion. C’en est trop.
À cette occasion, je prépare deux longs-métrages. Le tournage aura lieu en Tunisie avec des acteurs inconnus. Je précise que je m’intéresse davantage aux potentiels des histoires qu’à leurs problématiques.
Auteur : Karray Bradai
Ajouté le : 21-11-2018
Source : http://www.lapresse.tn/
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