Par Hatem Bourial – Le Temps – Jeudi 5 novembre 2020
Pour son premier court-métrage, Slim Belhiba double son exercice de style par une fable éloquente et accroche le regard du public des festivals de Louvain et Rabat.
Slim Belhiba a fait ses premiers pas dans le monde du cinéma avec la co-écriture du film «Mélodies» de Marwa Rekik en 2014. Enseignant d’art graphique et spécialiste de l’audiovisuel, Belhiba est designer de formation et a toujours été aimanté par le monde du cinéma.
Un remarquable accueil international
Avec «Au pays de l’oncle Salem», il réalise sa première œuvre en tant que réalisateur et marque des points. Produit en 2019, ce film est techniquement accompli et très attachant au niveau du récit.
Sélectionnée par plusieurs festivals, cette première œuvre vient d’être distinguée par le Prix du Public au Festival international du Cinéma d’auteur à Rabat. C’est le second Prix du Public qu’obtient le film de Belhiba, après celui remporté à Louvain en Belgique à l’occasion de la vingt-cinquième édition de l’Afrika Film Festival. Depuis sa sortie en 2019, «Au pays de l’oncle Salem» a été vu aux Vues d’Afrique à Montréal et dans d’autres manifestations, notamment en Albanie. Le film de Belhiba participera prochainement au Bahreïn Film Festival, ainsi qu’aux Rencontres du Film court au Rwanda et à Madagascar.
Ces multiples participations et leur diversité géographique soulignent deux choses. En premier lieu, l’accueil de cette première œuvre est prometteur. Ensuite, l’universalité de la fable que raconte le film fait mouche auprès de publics très différents. Ce dernier point est essentiel dans le succès annoncé de ce court-métrage porté par une grande intensité. Trois atouts se conjuguent pour donner au film de Belhiba toute son étoffe.
Une fable des plus révélatrices
La fable que raconte l’auteur vous parle sans difficulté ni ambiguïté. Le récit est en effet linéaire et basé sur l’empathie avec le personnage principal. Quinze jours avant la rentrée des classes, le concierge d’une école rurale remet un peu d’ordre et rafraîchit les bâtiments. Remarquant l’état du drapeau national qui trône au milieu de la cour, il décide de le remplacer. Pour cela, il se rend à Tunis pour y acheter un nouveau pavillon. Ceci fait, il se trouve pris dans une manifestation de rue et doit courir pour éviter les lacrymogènes et les coups de matraque. Arrêté, il se trouve embarqué dans une histoire qui le dépasse, alors que son drapeau neuf devenait une pièce à conviction contre lui. Après cette mésaventure qui lui coûtera plusieurs jours de prison, l’oncle Salem, désabusé et triste mais toujours positif, revient à son école. Belhiba situe l’action de son film en 2013, laissant entendre que le film est un clin d’œil aux manifestations qui ont ouvert la voie au Dialogue national. Bien sûr, le récit s’appuie sur plusieurs ressorts pour captiver le public et, indice d’universalité, la métaphore du drapeau, de l’école rurale et de l’injustice policière parle à tous les publics de la planète.
La performance de Sharif Mabrouk
Le second atout du film de Belhiba est la superbe performance d’acteur de Sharif Mabrouk. Impeccable du début à la fin, ce comédien signe une composition digne des meilleurs. Il alterne les moments forts avec d’autres plus intimistes, tout en rendant des émotions changeantes. De plus, il parvient à donner une profondeur palpable au personnage qu’il incarne. Sans l’oncle Salem, le film n’aurait pas de raison d’être.
Personnage axial, pivot de la narration, il est au centre de toutes les péripéties et il fallait lui donner du volume en conséquence. Belhiba y réussit et en termes de direction d’acteur, parvient à négocier un cap important dans sa jeune carrière cinématographique.
Troisième atout du film, l’image est une réussite absolue. À chaque moment, le réalisateur arrive à trouver l’angle qu’il faut, la profondeur de champ et l’approche originale. Certains plans portent également une charge émotionnelle qui renforce le discours de l’auteur, met ses idées en mouvement. En ce sens, malgré des moyens réduits, le film est d’une bonne tenue technique et augure d’une belle continuité pour Belhiba. Salah Zrig (image) est à distinguer pour son travail bien léché alors que Wassim Trabelsi (son) et Mounir Zehi (décor) tirent leur épingle du jeu.
Nous reviendrons pour une lecture critique de ce film qui, soit dit en passant, à obtenu le soutien du ministère des Affaires culturelles. Quant à Slim Belhiba, il ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et envisage d’ores et déjà de nouveaux projets. Son film «Au pays de l’oncle Salem» est une parabole sur les révolutions trahies et sur l’impossibilité d’être pleinement citoyen quand l’oppression guette et rend caducs les gestes civiques.
Un drapeau devient la parabole de l’incurie
Car au fond, le message lancinant du film de Belhiba se résume en deux questions-constatations. On peut se retrouver en prison pour des faits anodins et être écrasé par la mécanique d’une justice aveugle.
D’autre part, et c’est peut-être la leçon à retirer de ce film, un drapeau déchiré peut devenir une fatalité pour une école oubliée, abandonnée. À ce titre, la dernière image du film est d’une grande puissance car elle induit que les efforts d’un individu vertueux peuvent être anéantis par un système fondamentalement injuste. C’est cette dernière image qui remue le spectateur lorsqu’il voit que les enfants de l’école de l’oncle Salem font leur rentrée avec un drapeau ratatiné, étiolé et en guenilles, qui pendouille au mât de la cour de l’école. Image cruelle et saisissante qui, sur l’incurie et le délitement de l’école, en dit plus long que mille discours.
H. B.
Le Temps – Jeudi 5 novembre 2020
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