FRANCE — CANNES : UN CERTAIN REGARD – LE TIERS-MONDE ENTRE EN LICE

Après des débuts remarquables (« Faits divers », « La Bête lumineuse »), la section parallèle officielle «Un certain regard» a perdu une bonne partie de son élan avec des films du tiers-monde qui n’apportent rien de neuf.

La meilleure des trois œuvres est un moyen-métrage sénégalais de Moussa Yoro Bathily, « Le Certificat d’indigence », produit par le ministère de la Culture sénégalais en 1980 et dont toute ressemblance avec des faits réels, nous précise un carton, ne pourrait être qu’accidentelle.

Une jeune femme essaie vainement de faire hospitaliser son enfant malade à l’hôpital, pendant trente-cinq minutes. Elle ne rencontre partout que l’indolence, l’indifférence d’une bureaucratie tâtillonne. Quand elle arrive à frapper à la bonne porte, l’enfant ne respire plus. Moussa Yoro Bathily décrit un chemin de croix, si l’on peut se permettre cette comparaison, qui possède, hélas, toutes les apparences de la vérité. Son dénouement même, s’il est prévisible dès les premières images, n’est que la conclusion logique de ce parcours. Il y a bientôt vingt ans, Sembène Ousmane avait dit les mêmes choses avec beaucoup plus de force et de poésie, dans « Borom Sarret ». II est tragique en regardant ce document «officiel», de constater que rien ne change.

Avec « Caméra d’Afrique », du Tunisien Férid Boughedir, c’est le destin particulièrement contrarié et toujours aussi profondément motivé des cinéastes d’Afrique noire qui nous est raconté. Parmi les trois auteurs qui interviennent, on retrouve en première ligne Sembène Ousmane, qui, dès 1963, avec ce même « Borom Sarret », frappe les trois coups du cinéma indépendant purement africain et sera vite suivi par Med Hondo en Mauritanie (même s’il travaille à Paris) et aujourd’hui Souleymane Cissé au Mali, dont « Le Vent » a défrayé la chronique l’an passé, tant à Cannes qu’au Festival de Carthage ou à celui de Ouagadougou.

Pendant deux heures, un peu dans le style d’une bonne émission de télévision, Férid Boughedir, cinéaste éclectique, universitaire, ami d’Alain Robbe-Grillet dont il fut l’assistant, rappelle les étapes d’un combat toujours recommencé. Pas d’infrastructure véritable, un travail au coup par coup, la nécessité de se protéger contre l’étranger prêt à imposer ses méthodes et sa pénétration. Le cinéaste a recueilli un document presque pathétique en son genre, où Jean-Charles Edeline, défenseur avant l’heure du câblage de l’Afrique par la vidéo, vient, dès 1974, proposer ses services à un congrès de la FePaCI, la Fédération panafricaine des cinéastes indépendants. Sembène Ousmane rappelle sa préoccupation de toujours, la censure de fait que peuvent instaurer des fonctionnaires contre l’aide nécessaire de l’Etat.

Il manque à Férid Boughedir d’avoir creusé davantage son sujet, analysé avec plus de précision les délicats rapports de l’Afrique francophone, par exemple, avec la France comme avec les anciens trusts cinématographiques jamais vraiment démantelés. On regrettera aussi qu’il ait complètement esquivé l’apport des techniques de tournage léger dans des pays aux possibilités financières très limitées. Férid Boughedir a su, malgré tout, rappeler la préoccupation réelle des cinéastes de là-bas : dire inlassablement leur patrie et son histoire, son espoir.

Rien de particulièrement original dans le film vénézuélien « Caballo salvaje », de Joaquin Cortes, qui nous conduit d’un bouge de Caracas chez un riche propriétaire foncier. Son héros, Alberto, rêve d’indépendance, de liberté. Il se rebelle un jour et trouve la mort. L’ouvrage a le mérite d’inviter à dépasser le misérabilisme, de montrer un monde obsédé par les valeurs de la société de consommation américaine. Mais il est en partie desservi par une esthétique proche de la publicité des cigarettes Malboro : beau mec inscrit dans l’espace nu, cow-boy tranquille et sûr de son bon droit, qui saura un jour, avec flegme, redresser les torts. Estimable et pâlot.

LOUIS MARCORELLES

LE MONDE – Samedi 14 mai 1983


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