
Par Mona BEN GAMRA – Le Temps du 4 janvier 2025
Une fresque humaine et historique, «Borj Roumi» le film de Moncef Dhouib, un long-métrage de 93 minutes offre une plongée captivante dans une période tumultueuse de la Tunisie des années 1970, marquées par un affrontement intense entre les autorités et les militants de gauche, communistes et syndicaux. À travers une narration à la fois intime et collective, le film donne vie à ces voix trop souvent étouffées, celles des opposants politiques emprisonnés et torturés dans la tristement célèbre prison de Borj Roumi, à Bizerte.
Le titre, lourd de symbolisme, évoque un lieu devenu le théâtre de drames humains, de résistances héroïques et d’effondrements silencieux. Dans cette œuvre, Dhouib explore non seulement le climat politique oppressant de l’époque, mais aussi les vies intérieures de ceux qui ont enduré l’injustice et la répression, offrant un portrait nuancé de leur lutte, de leurs failles et de leur résilience. Soutenu par l’interprétation magistrale d’une distribution talentueuse, une mise en scène audacieuse et une bande sonore envoûtante, Borj Roumi s’impose comme une œuvre incontournable du cinéma tunisien contemporain.
C’est un appel, un poème, et surtout un miroir tendu à une société qui doit se confronter à ses ombres pour mieux avancer.
Pour donner vie à cette fresque historique, Dhouib s’est entouré d’un casting talentueux réunissant entre autres Chawki Khouja, Fatma Ben Saidane, Hélène Catzaras et Jamel Madani. Chaque interprète apporte une profondeur saisissante aux personnages, créant une alchimie rare qui transcende l’écran. Moncef Dhouib, maître conteur et visionnaire, tisse une toile où chaque personnage devient une voix, chaque scène un fragment de vérité. À travers l’enfermement, la souffrance et l’espoir, «Borj Roumi» révèle des histoires de vies brisées et de résilience qui transcendent le cadre carcéral pour toucher à l’universel.
Le film se déploie comme un cri à la fois intime et collectif. Dhouib ne se contente pas de raconter : il fait vivre. Chaque cadre, chaque silence et chaque éclat de lumière semble vibrer d’une intensité palpable, comme si l’âme des lieux imprégnait l’écran. Les murs de Borj Roumi ne sont pas que des pierres : ils sont des témoins silencieux, des gardiens de secrets, des échos de luttes et de rêves avortés.
Une réflexion sur la condition humaine
Bien plus qu’un simple film historique, «Borj Roumi» est une réflexion sur la condition humaine, la lutte pour la liberté et les cicatrices laissées par l’oppression.
Moncef Dhouib, fidèle à son talent pour mêler l’art et l’engagement, invite le spectateur à une immersion sensorielle et émotionnelle dans l’univers carcéral. Il ne se limite pas à exposer les faits, mais creuse les contradictions et les dilemmes qui agitent ses personnages : certains fléchissent sous la pression, d’autres voient leur foi en leurs idéaux se renforcer.
Moncef Dhouib confirme avec «Borj Roumi» son statut de conteur engagé. Réalisateur de films mémorables tels que «Soltane el Médina» (1992) ou «Hammam Dhhab» (1986), Dhouib transcende une fois encore les frontières du cinéma pour proposer une œuvre à la croisée de l’art et de l’histoire. Son approche visionnaire fait de «Borj Roumi» non seulement un hommage aux générations sacrifiées, mais aussi un cri intemporel pour la liberté et la justice. Ce film est une invitation à revisiter le passé pour mieux comprendre le présent, un appel à honorer les sacrifices et à ne jamais oublier les leçons de l’histoire.
Mais «Borj Roumi» n’est pas qu’un récit sombre. C’est aussi une célébration de l’esprit humain, de sa capacité à résister, à espérer et à se reconstruire. Dans cette œuvre, Moncef Dhouib transcende les limites du cinéma pour offrir une véritable leçon de vie, un hommage vibrant à ceux qui, même dans l’obscurité la plus profonde, trouvent encore la force de rêver à la lumière. Moncef Dhouib signe ici bien plus qu’un film : il offre une œuvre d’art totale, où la douleur et la beauté se rencontrent dans une danse inoubliable. Le cinéma devient une catharsis, une voix pour les sans-voix, et une invitation à croire en la possibilité de renaître, même des décombres.
Mona BEN GAMRA
Le Temps du 4 janvier 2025
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