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Une première tunisienne et arabe
Depuis 20 ans, Zouheïr Mahjoub règne sur le cinéma d’animation en Tunisie, avec des courts-métrages uniquement, primés dans plusieurs festivals internationaux. Il y a plus d’une année, il dépose à la commission d’aide à la production un projet des plus ambitieux : un long-métrage en dessins animés intitulé «Le Sous-marin de Carthage». À la surprise générale, le scénario est retenu par ladite commission qui lui octroie une aide de 200 000 dinars.
Aujourd’hui, dans son atelier, entouré d’une équipe de choc de cinq jeunes diplômés des beaux-arts, il a confectionné en cinq mois quelque 350 décors. Sur les 50 000 dessins que comprendra ce long-métrage de 70 minutes, 2.000 ont déjà été réalisés. «On est en train de faire une folie» constate non sans joie Zouheïr Mahjoub à qui nous avons donné la parole pour nous raconter son audacieuse aventure.
Pourquoi vous êtes vous spécialisé dans le dessin animé ?
Le dessin animé, comme toute autre expression, me permet d’approfondir ma réflexion en images, d’analyser des situations, des scènes et des éléments qu’on ne peut capter à l’état de fiction. Il me donne l’occasion d’être en contact direct avec les jeunes en leur adressant des messages. Il permet à ces jeunes de s’exprimer à leur tour à partir des éléments que je leur fournis. Le dessin animé est un monde plein d’images, de rêverie et d’imagination qui donne aux jeunes la possibilité de vivre des moments exaltants. C’est à travers lui qu’ils peuvent s’éclater.
Vous vous adressez donc aux jeunes, non à un public d’adultes ?
- En premier lieu, c’est le public des jeunes qui m’intéresse. Les adultes viennent en seconde position. Ils ont eux aussi le droit d’apprécier ce genre assez particulier de cinéma d’animation.
Pouvez-vous nous citer les courts-métrages que vous avez réalisés à ce jour et nous expliquer pourquoi vous avez décidé de faire un long-métrage ?
- Après des études de cinéma et une spécialisation dans le dessin animé dans plusieurs pays européens, j’ai entamé ma première expérience avec une adaptation de «Kalila wa dimna» intitulée «Les Deux souris blanches». Ensuite, j’ai entrepris un stage de recyclage en Tchécoslovaquie qui a duré deux ans. C’est là que, dans les écoles de cinéma d’animation et les studios professionnels, j’ai pu découvrir les secrets de fabrication de la poupée animée.
Cette expérience m’a permis la réalisation de «Garbagi» un court-métrage en poupées animées qui a représenté en 1989 la Tunisie à Annecy, en France, un des plus importants festivals de film d’animation. Grâce à cette participation, la Tunisie est devenue membre de la SIFA (Association Internationale des Cinémas d’Animation). C’est un grand honneur qui échoit aussi bien à la Tunisie qu’à moi-même. Par la suite, j’ai réalisé un autre court-métrage inspiré de «Kalila wa dimna» intitulé «Un Bougre de bœuf dans un bouic bouic» et enfin un dernier court-métrage, «Fleurs de pierre», adapté d’une nouvelle. Maintenant, j’aborde avec beaucoup d’assurance le long-métrage. Ce qui m’a incité à entreprendre une telle opération, c’est l’existence de possibilités technologiques intéressantes et la chance d’avoir trouvé une équipe solide qui me soutient dans cette œuvre grandiose. Ce film donne à la Tunisie la position privilégiée d’un pays toujours à l’avant-garde, capable de gagner des paris que notre Président Ben Ali a déjà pris en engageant le pays dans une ère nouvelle. C’est cette nouvelle donne qui me permet aujourd’hui de produire le premier long-métrage de dessin animé, un film qui fera la fierté des jeunes puisqu’il évoque une partie de l’histoire de la Tunisie : Carthage.
Comment vous est venue l’idée du film ?
- Je pars d’une base. Carthage, notre berceau, notre point de départ en tant que civilisation ancienne ayant précédé toutes celles qui se sont succédées en Tunisie.
Quels nouveaux procédés utilisez-vous dans ce film ?
- On accède ici à une nouvelle technologie, l’utilisation de l’ordinateur dont on maîtrise les mécanismes au même niveau que d’autres pays producteurs de dessins animés. Il est vrai qu’il nous manque un peu d’expérience mais non de savoir-faire. Le film relate d’ailleurs l’esprit du savoir-faire et la manipulation de la technologie pour nos propres besoins.
Parlez-nous de votre société de production.
- Azza Production a vu le jour en 1982. Elle a aujourd’hui 12 ans d’existence. Elle est très sollicitée en tant que société se spécialisant dans le cinéma d’animation et les effets spéciaux.
Après la production de six courts-métrages, elle entame son premier long-métrage. Elle va permettre l’installation d’une première structure de production informatique industrialisée pour la production du cinéma d’animation. Notre objectif est d’arriver à produire cinq minutes par mois. Mais vu qu’elle est évolutive, elle pourra atteindre de 15 à 60 minutes par mois. On pourrait ainsi avoir une production nationale qui rivaliserait avec la production étrangère.
Quels sont les créneaux de diffusion du dessin animé ?
- Le cinéma d’animation est très sollicité par les distributeurs. La production annuelle mondiale a 15 000 heures par an. Actuellement on produit dans les 11 000 heures. Donc, il y a encore 4 000 heures à réaliser. C’est un marché porteur. En ce qui concerne «Le Sous-marin de Carthage», l’étape de distribution est sans aucun doute importante. Toutefois, l’installation de la première structure de production est dans un premier temps nécessaire. À partir de cet acquis la production irait d’elle-même. Il s’agit également de faire savoir qu’il existe en Tunisie une production permanente.
Quel avenir pour vos collaborateurs ?
- Ils sont expérimentés et diplômés. Il y a lieu de les sécuriser en leur donnant les outils de production nécessaires pour qu’ils puissent s’exprimer. Nous avons en Tunisie énormément de potentialités parmi les jeunes, il reste aux décideurs de placer leur confiance en eux et de leur donner leur chance.
Quels sont les problèmes inhérents à ce secteur de dessin animé ?
- Les problèmes que rencontre toute production cinématographique. Si la volonté de faire existe, les difficultés peuvent être minimisées. Le problème financier est le plus épineux, mais il peut s’aplanir avec le temps. Il s’agit d’être optimiste. Je le suis car je crois que les problèmes sont à la base de tout projet ambitieux.
Quelles sont les perspectives ?
- Les perspectives sont excellentes. Ne serait-ce que sur le plan national. L’avenir est radieux.
Vous venez de participer au 2° FIFEJ de Sousse, comment évaluez-vous votre participation ?
- Avant cela, j’ai encadré des jeunes dans un stage à Grenoble en France organisé par le ministère français de la Jeunesse et des Sports. Cette expérience m’a permis de voir le comportement des jeunes Français venus de différentes régions à l’égard du dessin animé. À Sousse, j’ai été agréablement surpris de constater que les jeunes Tunisiens réagissaient de la même manière, peut être encore plus spontanés et plus rapides que les Français. Ma participation consiste à mettre à la disposition de ces jeunes mon expérience, ainsi que mon savoir faire, dans ce domaine. Pour ce qui me concerne, cet atelier a été une riche expérience. Une expérience à renouveler. D’autant plus qu’une association de cinéma d’animation verra bientôt le jour, son objectif essentiel étant d’implanter des structures de formation et d’expérimentation dans tous les gouvernorats de la Tunisie, afin que le dessin animé soit à la portée de tous.
Et le FIFEJ ?
- Le FIFEJ est une excellente initiation à laquelle j’ai apporté mon soutien dès la première session. Il y a lieu de multiplier ce genre de festival qui, en dépit de quelques défaillances soulevées par certains au niveau de son organisation, demeure une réussite. C’est très positif. J’encourage le FIFEJ et je dis à ses organisateurs que je suis toujours de leur côté.
Propos recueillis par Amira Ben Youssef
Le Renouveau du dimanche 8 janvier 1995
Le Sous-marin de Carthage
- En cours de réalisation, sortie prévue sur les écrans tunisiens fin 1995.
- Genre : dessin animé 35mm, couleur
- Durée : 70 minutes
- D’après une idée originale de Zouheïr Mahjoub
- Scénario et réalisation : Zouheïr Mahjoub
À la veille de la seconde guerre punique, dans Carthage à son apogée, un jeune savant surdoué, Mindar, s’éprend d’une pêcheuse de murex, Maha. Pour lui éviter de risquer inutilement sa vie dans les profondeurs de la mer, Mindar conçoit pour elle un sous-marin… qui ne passera pas inaperçu à cette période où Carthage se doit de gagner, et peut-être d’inventer l’arme secrète…
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