ABDELLATIF KECHICHE PARLE DE LA GRAINE ET LE MULET

La Graine et le mulet : un film de Abdellatif Kechiche

Avec : Habib Boufarès, Hafsia Herzi, Farida Benkhetache et Abdelhamid Atouche.

Sortie le 12 décembre

Monsieur Beiji, la soixantaine fatiguée, se traîne sur le chantier naval du port dans un emploi devenu pénible au fil des années. Père de famille divorcé, s’attachant à rester proche des siens malgré une histoire familiale de ruptures et de tensions que l’on sent prêtes à se raviver et que les difficultés financières ne font qu’exacerber, il traverse une période délicate de sa vie où tout semble continuer à lui faire éprouver un sentiment d’inutilité.
Une impression d’échec qui lui pèse depuis quelque temps, et dont il ne songe qu’à sortir en créant sa propre affaire : un restaurant.
Seulement rien n’est moins sûr, car son salaire, insuffisant et irrégulier, est loin de lui offrir les moyens de son ambition. Ce qui ne l’empêche pas d’en rêver, d’en parler, en famille notamment. Une famille qui va peu à peu se souder autour d’un projet, devenu pour tous les symboles d’une quête de vie meilleure. Grâce à leur sens de la débrouille, et aux efforts déployés, leur rêve va bientôt voir le jour… Ou, presque…

Entretien avec Abdellatif Kechiche

«La Graine et le mulet» est le film que vous vouliez tourner après «La Faute à Voltaire». Comment le projet a-t-il fini par se monter et a-t-il évolué entre-temps ?

  • En fait, j’espérais le faire avant «La Faute à Voltaire», puisque la première mouture du scénario existait déjà. À cette époque, entre 1995 et 1997, mon envie de réalisation était très grande, mais je n’arrivais pas à obtenir de financement pour les films que j’essayais de monter, dont «L’Esquive». Je me disais qu’il fallait trouver une solution pour faire un film rapidement, avec peu de moyens. L’idée de «La Graine et le mulet» m’est venue en allant dans ma famille : j’ai eu envie de parler d’eux, dans les lieux où ils habitent, c’est-à-dire Nice dont je suis originaire, et de mettre en valeur mon père, qui aurait tenu le rôle principal.
    Dans l’histoire, cet homme qui récupère un vieux bateau pour le transformer en restaurant, c’est un peu moi tentant de réaliser un film sans financement mais avec des trouvailles : j’avais récupéré une caméra super-16, je pensais tourner dans les appartements familiaux et sur un bateau que j’avais déniché dans le port de Saint-Laurent. Plus tard, j’ai compris que ça n’était pas si facile de faire un film sans rien, ou alors que l’énergie dépensée coûtait plus cher que tout l’or du monde !
    Finalement, l’aide pour «La Faute à Voltaire» est arrivée et le film est sorti. Quand je repensais à La Graine et le mulet, je savais qu’il y aurait moins de membres de ma famille impliqués, parce que chacun avait évolué dans sa vie, mais je tenais plus que jamais à faire jouer mon père. Le hasard a voulu qu’en rencontrant Jacques Ouaniche, qui voulait produire mon second film, cela soit «L’Esquive» qui retienne son attention. C’est pendant le montage de «L’Esquive» que mon père est décédé

Est-ce que le projet en a soudain perdu toute sa raison d’être ?

  • Je n’avais plus très envie de le concrétiser. Quand j’ai rencontré Claude Berri, il m’a demandé de lui montrer plusieurs de mes projets, et c’est «La Graine et le mulet» qui l’a accroché. Il n’était plus question de tourner à Nice, je ne l’aurais pas supporté ; je ne pouvais plus le tourner avec ma famille, car dix ans s’étaient écoulés et je devais trouver un acteur pour le rôle de mon père. J’ai repensé à Mustapha Adouani, qui jouait dans la première scène de “La Faute à Voltaire” et qui ressemblait énormément à mon père ; j’ai fini par trouver mon port, celui de Sète, une ville pour laquelle j’ai eu un véritable coup de foudre, et le désir d’accomplir ce film est revenu. On a commencé les répétitions, mais au bout de quelques mois, Mustapha est tombé malade. Il est aujourd’hui décédé…
    À ce stade-là, j’avais envie de renoncer, mais Claude Berri a tenu bon, il ne voulait pas que j’arrête. Et puis, je sentais que je trahirais les autres comédiens qui avaient beaucoup travaillé jusque-là. Je suis reparti pour un casting, même si j’avais déjà vu tous les acteurs d’origine maghrébine susceptibles d’incarner ce personnage. Il me restait deux mois pour trouver quelqu’un. C’est en remontant, un jour, la pente de Belleville que j’ai repensé à mon père, et à son ami Habib qui avait travaillé avec lui sur des chantiers. Tout à coup, c’était une évidence.

Lorsqu’on découvre Slimane à l’écran, on est d’ailleurs frappé par sa ressemblance avec l’image qu’on aurait de vous plus âgé !

  • C’est étonnant… je n’ai pas vraiment été marqué par la ressemblance physique. Par contre, il y a chez Habib une attitude, une façon de s’exprimer, de bouger qui m’évoque mon père. C’est peut-être aussi le poids qu’il porte sur son visage, celui de sa vie, qui me parle beaucoup.

Ce qui revient dans les mots de tous les acteurs du film, à commencer par Habib, c’est leur dévouement sans faille envers vous. Comment arrivez-vous à instaurer un lien de confiance avec chacun d’entre eux et à initier une dynamique de groupe ?

  • C’est difficile d’en parler… Le cinéma et le travail avec les acteurs, c’est ma passion, presque le sens de ma vie. C’est aussi la quête d’un accomplissement : trouver dans le jeu des acteurs le degré de vérité le plus fort. Si j’ai eu envie d’être réalisateur, c’est aussi parce que je sentais qu’on pouvait les aider à atteindre cette authenticité. Mais il n’y a pas de secret : c’est une question de travail. J’ai été très marqué, en tant qu’acteur, par mes expériences au théâtre : j’adorais ce temps des répétitions, et ça m’a toujours manqué quand j’ai fait du cinéma, cet esprit de troupe.

Est-ce en réaction à la manière dont les réalisateurs vous ont dirigé que vous avez adopté cette méthode de travail ?

  • Pas en réaction, non, mais au cinéma le temps c’est beaucoup d’argent, et les réalisateurs n’ont pas souvent l’occasion de répéter longuement. Moi, j’ai toujours été prêt à sacrifier beaucoup de choses en terme de production pour avoir ces répétitions. Cela ne m’empêche pas, lors du tournage, de laisser aux acteurs une marge de liberté, de m’adapter aux imprévus, mais il y a peu de place à l’improvisation, contrairement à ce qu’on pourrait croire. L’essentiel est expérimenté et bien établi lors des répétitions. J’y ai fait travaillé les acteurs, surtout les jeunes, sur des textes de théâtre, sans qu’il y ait forcément un lien avec l’histoire du film. Ils avaient tous des cours de danse, pour la liberté corporelle, pour être ensemble surtout. Les masques tombent, les personnes se laissent aller et la dynamique de groupe s’installe.

Le titre du film est une référence culinaire au couscous, mais est-ce qu’on peut y voir aussi un parallèle avec les générations, la jeune pour la graine, et celle de Slimane, intérieur et déterminé, pour le mulet ?

  • C’est le premier titre qui m’est venu à l’esprit et je n’en ai jamais changé. Je n’avais pas d’explication sur la graine, mais sur le mulet, vous avez raison. C’est un poisson auquel je pourrais presque m’identifier : il est têtu, il a cette capacité extraordinaire d’adaptation ; il peut vivre dans toutes les mers et se contenter de peu. Les pêcheurs ont du mal à l’attraper parce qu’il saute à des hauteurs incroyables au dessus du filet. En somme, il ne se laisse pas faire ! Ça n’est que plus tard que j’ai pensé à un autre sens pour la graine : c’est le symbole même de l’idée, de quelque chose en germe qui est destiné à évoluer.

La nourriture est l’un des fils rouges du film, et la manière dont vous la filmez, notamment lors de la scène du repas en famille, est d’une sensualité incroyable…

  • Il y a une dimension contemplative dans le film, parce que je voulais prendre le temps de capter cette sensualité dans des gestes quotidiens : préparer la cuisine, se mettre à table, manger, rire, s’aimer, se disputer, etc. Il fallait assumer un rythme de narration singulier parce qu’en règle générale, l’action qui court ne permet pas de s’attarder, alors qu’un repas ou la naissance d’une émotion sur un visage demandent du temps à l’image. Et c’est en fin de compte cette dimension-là qui m’intéresse le plus, je crois. M’approcher de cet univers qui m’est familier, de ces personnages qui sont les miens, pour décrire tout simplement les petites choses de la vie courante. La vie, en tant que sensualité, énergie vitale, force de vie. J’espère toujours arriver à rendre perceptibles ces instants qui me fascinent.
    C’est mon vœu cinématographique le plus cher. Rendre la vie, la faire jaillir malgré l’artifice.

Est-ce qu’on peut vous dire que «La Graine et le mulet» est un film épicurien, gourmand des autres ?

  • Je peux vous laisser le dire (rires). En tous cas, j’ai toujours un regard affectif et tendre sur mes personnages, et pas uniquement parce qu’ils évoquent des gens que j’aime.

Est-ce que, dans ce film, vous êtes là, quelque part à la croisée de certains personnages ?

  • Si je suis là, c’est plutôt dans le regard que je leur porte. Ce qui est certain, c’est que j’ai beaucoup plus parlé de moi à travers ce film que dans les précédents. Dans “La Faute à Voltaire” et dans “L’Esquive”, il n’y avait pas la même référence à ma vie, à mon parcours, alors qu’ici ma façon de dévoiler les personnages me révèle forcément. Je me suis beaucoup inspiré de ma famille, même si l’histoire est une pure fiction.

Ce qui frappe en premier, lorsqu’on compare vos trois films, c’est le thème de la transmission, en l’occurrence ici, celle d’un patrimoine que Slimane veut laisser à ses enfants.

  • Peut-être, mais ça n’est pas mûrement réfléchi. Ce qui m’apparait flagrant, c’est que mes personnages n’arrivent pas à se réaliser dans une société qui leur paraît, ou qui leur est, hostile. Dans «L’Esquive», Krimo échoue à jouer son rôle d’Arlequin jusqu’au bout, et Jallel, dans «La Faute à Voltaire», est expulsé.

Est-ce du pessimisme ou du réalisme ?

  • Plutôt du réalisme, j’ai moi-même le sentiment de n’avoir jamais été véritablement adopté, il y a toujours un malaise…

Pourtant, Krimo réussit à s’exprimer, il est en devenir, et dans «La Graine et le mulet», Rym rayonne de vitalité et d’obstination, comme si l’espoir appartenait finalement à la nouvelle génération…

  • C’est vrai que je voulais que ces jeunes soient beaux, porteurs d’une énergie, peut-être d’un espoir.
    Mais dans “La Graine et le mulet”, j’avais surtout envie de parler d’une communauté, d’une classe sociale aussi… Je ressens toujours la nécessité de montrer autrement ces Français d’origine arabe. J’ai besoin d’aller à l’encontre de ces discriminations insidieuses, comme je le montre dans les scènes où Slimane et Rym démarchent les administrations.
    À travers le personnage du père, je rends aussi hommage à ceux qu’on appelle «les immigrés de la première génération». C’est davantage un film sur eux, pour eux, que sur la nouvelle génération.
    Pour moi, ce sont des héros qui ont eu un courage immense : celui de quitter leur pays d’origine, de trimer et subir toutes les humiliations, avec le seul espoir que leurs enfants aient une vie meilleure.
    Il y a chez eux, comme je l’ai vu chez mon père, un sens très fort du sacrifice, et j’avais envie d’en témoigner, et de soigner leur image qui a si souvent été malmenée. Je trouve très injuste la représentation qu’on en donne en général. Dans le film, je montre l’affection et l’amour que les jeunes, et surtout les filles, portent à Slimane. La danse de Rym est l’expression poussée à son extrême de cet amour.
    Je voulais créer un lien très fort, allant à l’encontre des schémas souvent véhiculés de domination paternelle. J’avais envie d’un rapport de solidarité entre différentes générations. Quelque part, malgré les années qui les séparent, ils ont à surmonter les mêmes vexations, les mêmes humiliations, ça crée des liens, forcément.
    Je devrais, en tant qu’artiste, me sentir complètement libre de raconter une histoire romanesque, une saga familiale avec du suspense, des rebondissements, etc. J’espère un jour finir par faire des films ayant dépassé ces problématiques, ces revendications d’égalité, pour m’exprimer plus librement, mais elles ne sont tellement pas dépassées dans la société que je me sens moralement obligé d’y revenir.
    Cela dit, j’essaie toujours de faire en sorte que le discours ne prenne pas le pas sur mon plaisir cinématographique.

Justement, oublier le contexte des cités pour ne voir, dans «L’Esquive», que la maladresse touchante des premières amours ; s’attacher ici à une famille, à des êtres, au-delà de leurs origines : est-ce que ça pourrait être le cœur de votre démarche de cinéaste ?

  • Oui, c’est comme ça que je vois les choses. Dans La Graine et le mulet, c’est une famille de Français ordinaires, davantage déterminée par sa condition sociale que par son origine.

Vous leur revendiquez tout simplement le droit à la «banalité»…

  • Complètement ! Souvent, on commet l’erreur de croire qu’on va mieux défendre une cause en dénonçant, en accusant ou en démontrant, alors qu’il suffit parfois de regarder et d’aimer ceux qu’on représente. Pour moi, le coup de force risque de susciter la victimisation et donc une distance avec les personnages. L’ordinaire est bien plus fort pour l’identification.
    Mais tout ça n’est pas calculé, c’est de l’ordre de l’inconscient : j’ai eu envie de filmer mon père, puis Mustapha et enfin Habib, parce que leur visage, leurs expressions me touchaient. Je ne me suis pas dit une seconde que ce visage servirait un quelconque discours, et c’est pareil pour les autres personnages… On a parlé de ce droit à la banalité mais il y a aussi le droit au romanesque, notamment à travers ce qui arrive à Slimane. Il n’est pas qu’une force de travail ou un symbole, c’est un personnage de fiction, confronté à un destin.

L’une des autres récurrences dans vos films, c’est l’amour des figures féminines flamboyantes. Aure Atika dans «La Faute à Voltaire», Sarah Forestier et Sabrina Ouazani dans «L’Esquive», aujourd’hui Hafsia Herzi et beaucoup d’autres dans «La Graine et le mulet» : ce sont elles qui mènent la danse, au propre comme au figuré !

  • Je m’identifie davantage aux personnages masculins, mais j’ai choisi d’en faire des personnages plus discrets, moins extravagants que les femmes : ils guident l’idée du film mais ils sont moins spectaculaires cinématographiquement, peut-être parce que j’ai été entouré de femmes très fortes ; ma mère, mes soeurs, mes grand-mères, mes tantes… (rires). Mais je suis tout aussi attentif à dépeindre mes personnages masculins, plus retenus, plus tourmentés, pour lesquels j’éprouve autant de tendresse que pour mes personnages féminins. Je me sens complètement asexué dans mon rapport à mes personnages.

Cet amour «asexué» des êtres est flagrant à travers les deux scènes que vous montez en parallèle, dans la dernière partie du film : le marathon dansant pour Rym, et celui tout aussi éprouvant de Slimane.

  • Ce montage parallèle obéit à la nécessité du suspense, donc à une forme de narration plutôt classique. C’est un exercice auquel je me suis essayé et qui pouvait complètement tomber à l’eau. Cette idée m’a surtout été dictée par l’intuition et relève plus de l’artifice dramatique. Il me fallait du temps pour atteindre l’intensité de ces deux scènes : j’ai littéralement essoufflé Hafsia et Habib, et je ne sais pas comment j’aurais pu faire autrement.
    D’un point de vue esthétique, je voulais de beaux plans, mais, finalement, ces scènes n’étaient pas les plus difficiles à tourner, c’était plus technique. J’ai eu beaucoup plus de mal, par exemple, pour la scène avec Slimane, sa fille et sa petite fille, que sa mère oblige à aller sur le pot : la direction d’une enfant est toujours délicate et son comportement, imprévisible. Dans ces moments-là, je n’ai pas vraiment peur, je suis plutôt fébrile !

 À l’instar de «L’Esquive», le langage est au cœur du film, notamment à travers un flot de répliques drôles et percutantes…

  • Je ne sais jamais quand une réplique est drôle. Ou alors je peux rire à certaines comme «Je n’ai rien dit. C’est par respect pour toi et pour le couscous», mais ça ne concerne peut-être que moi ! Surtout, c’est l’acteur qui apporte sa note aux mots, sa dimension dramatique ou comique : sa liberté dans ce domaine-là est importante. Le fait d’être comédien m’aide peut-être à être juste, et puis je retravaille les dialogues avec Ghalya Lacroix, qui est aussi comédienne. Il faut que je les sente traversés de vie, c’est fondamental…

Et si on vous cite Claude Sautet, pour la quête de vérité humaine ?

  • C’est quelqu’un dont j’ai beaucoup observé le travail. Je suis admiratif de sa maîtrise technique. Sautet a été une grande découverte pour moi, à la fin des années 70 : à l’époque, j’étais déjà intéressé par le métier d’acteur et je les trouvais formidables chez Sautet… Plus tard, je me suis rendu compte de sa rigueur de réalisateur, de la justesse et de la clarté de son découpage. J’ai rarement vu autant d’osmose entre tous les paramètres d’un film. Je ne sais pas si il est reconnu aujourd’hui à sa juste valeur…

À propos de reconnaissance, on a le sentiment que les César pour «L’Esquive» n’ont en rien infléchi votre démarche de cinéaste…

  • Dieu merci, vous imaginez si j’arrivais sur un plateau en ne pensant qu’à ça (rires). En tous cas, je n’ai constaté aucune incidence sur la mise en place de projets, car les entrées restent le nerf de la guerre.
    Pour “La Graine et le mulet”, Claude Berri s’était engagé bien avant le résultat des César. Ça fait plaisir que des gens du métier que j’estime apprécient mon travail, mais ceux-là m’en avaient déjà parlé avant.
    Et puis, il y a eu des remous, souvent de la part de gens qui n’ont aucune connaissance de la fabrication, technique et artistique, d’un film et qui, sous prétexte qu’on aurait dû récompenser un film grand public, ont un peu tapé sur ces récompenses. Il y avait même parfois une vraie agressivité : chez certains financiers qui s’énervaient de voir des films montés pour si peu d’argent, ou chez d’autres qui ont un discours bien pensant, mais hypocrite et à la lisière du racisme.
    Enfin, je trouve injuste d’entendre dire que je néglige la technique cinématographique. Certains croient que je ne soigne pas les plans, parce que mes films donnent l’impression d’être pris sur le vif, alors que tout est calculé, pensé, travaillé.

Est-ce que, loin de toute auto-satisfaction, vous pourriez revendiquer une intégrité artistique ?

  • Plutôt une aspiration à quelque chose que j’ai moi-même du mal à définir… Une liberté, sûrement.
    Le cinéma offre une véritable possibilité de créativité : c’est presque de l’ordre du sacré pour moi.
    Ce métier et ma vie n’auraient plus de sens s’il me manquait cette aspiration. Ce film m’a fait avancer dans la vérité de l’acteur, j’ai encore du chemin à faire, et je ne peux pas dévier de ce chemin, même si ça me coûte, physiquement et moralement…
    Je suis parfois à bout d’énergie, quand je suis confronté à cette hostilité latente que je ressens : je devrais pouvoir dire que j’appartiens à la famille du cinéma français, or j’ai l’impression d’appartenir à une partie de cette famille contre une autre. C’est comme si j’avais toujours à me justifier sur ce que je suis, et, malheureusement, c’est aussi vrai au quotidien, comme une éternelle lamentation qui est là, dans l’atmosphère, les discours, les médias. J’ai envie d’être un réalisateur ordinaire, qu’on critique, qu’on aime ou pas, mais sans lien avec mes origines… J’ai beau me sentir plus Français que Français, ça fait quarante ans que cette problématique existe, et c’est beaucoup de vitalité dépensée, là où ça ne devrait pas être nécessaire. Quand vous êtes enfermé dans une représentation, soit vous vous braquez, et ça conforte l’autre dans son intolérance, soit vous vous battez, mais il faut savoir comment.

Et c’est tout aussi insupportable que les gens attendent de vous un cinéma ostensiblement contestataire ?

  • Absolument. Et quand je parle de quête de liberté, je pense qu’on pourrait aller beaucoup plus loin : la France a côtoyé tellement de cultures que la richesse est là, à portée de créativité.

Est-ce que vous ne concevez votre évolution de cinéaste qu’à travers une perpétuelle quête de vérité ?

  • En ce qui concerne la vérité dans le jeu des acteurs, j’ai le sentiment d’avoir avec “La Graine et le mulet” consolidé un peu plus ma méthode de travail. En tout cas, je suis conforté dans l’idée que cette méthode correspond à mes objectifs. Maintenant, j’ai envie de réaliser un film en rupture avec ce que j’ai fait jusqu’ici. J’ai un grand besoin d’expérimenter autre chose, et, surtout, de ne pas devenir une marque de fabrique ou de tomber dans la routine.

Filmographie :

2006 – La Graine et le mulet

  • Mostra de Venise, 2007 (Prix du Meilleur Jeune Espoir, Prix Spécial du Jury, Prix de la Critique Internationale)

2003 – L’Esquive

  • César 2005
  • (Meilleur Film, Meilleur Réalisateur, Meilleur Espoir Féminin, Meilleur Scénario)
  • Lumières de la Presse Étrangère 2005
  • (Prix du Meilleur Scénario)
  • Festival de Turin, 2004
  • (Prix du Meilleur Réalisateur, Prix du Meilleur Scénario, Prix du Cinéma Avenir)
  • Festival de Stockholm, 2004
  • (Mention Spéciale du Jury)

2001 – La Faute à Voltaire

  • Mostra de Venise, 2000
  • (Lion d’Or de la Première Œuvre, Prix de la Jeunesse)
  • Festival du Film Francophone de Namur, 2000
  • (Prix Spécial du Jury, Prix de la Jeunesse)
  • Festival Premiers Plans d’Angers, 2001
  • (Prix Spécial du Jury, Prix d’interprétation à l’ensemble des acteurs)
  • Festival de Stuttgart, 2001
  • (Prix du Jury, Prix d’interprétation masculine)
  • Festival de Cologne, 2001
  • (Prix d’interprétation masculine)

Source : Dossier de presse du film.


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