HATEM BOURIAL : LA LANGUE TUNISIENNE VIT INTENSÉMENT DANS LE CONTE

Hatem Bouriel JCC 2008

Trois questions à Hatem Bourial — conteur

Entretien conduit par Salem Trabelsi – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 31-12-2015

En marge du festival du Conte qui a eu lieu au club Tahar-Haddad, nous avons posé ces questions à Hatem Bourial, l’un des conteurs qui participent à cet événement depuis ses débuts.

Quel est l’intérêt d’organiser aujourd’hui un festival du Conte en Tunisie ?

  • En fait, il existe au moins trois festivals du Conte en Tunisie. Le plus ancien a été fondé à Sousse il y a une quinzaine d’années sous l’intitulé «Journées du Fdaoui», en référence à ces conteurs professionnels qui hantaient les cafés tunisiens de jadis.
    Le terme «fdaoui» renvoie à celui oriental de «hakawati» ou ouest-africain de griot. En Tunisie, il existe des déclinaisons locales du fdaoui comme le «hajjey» keffois et des traditions connexes comme celles du «meddah» ou du «barrah» qui animaient les rues de nos villes.
    Cette parenthèse fermée, il faut mentionner les deux autres rencontres de conteurs en Tunisie. D’abord, le festival des conteurs de Sfax qui table sur la formation des jeunes au conte et le festival des conteurs du club Tahar-Haddad qui donne la priorité aux enfants. Ce qui est remarquable, c’est que ces trois festivals sont complémentaires et rendent à une tradition délaissée ses lettres de noblesse.
    En ce sens, il serait coupable de ne pas mentionner dans ce domaine l’apport de Ezzeddine Gannoun au Théâtre El Hamra où il a organisé plusieurs ateliers de formation au bénéfice des conteurs et celui de François-George Barbier-Wiesser qui, du temps où il dirigeait la médiathèque Charles de Gaulle, offrait au public une Heure du conte hebdomadaire. En réalité, il suffisait d’observer l’extraordinaire affluence du public pour se rendre compte du succès de ce festival et, par conséquent, de son utilité pour à la fois redorer le blason des conteurs et mobiliser le jeune public autour d’un art qu’on croyait enterré.

Aujourd’hui vous participez au festival du Conte du club Tahar-Haddad, mais comment êtes-vous venu à maîtriser l’art du «hakawati» ?

  • J’ai participé à toutes les éditions du festival du Conte au club Tahar-Haddad, ainsi qu’aux festivals de Sousse et Sfax. À chaque fois, je cherche à donner une nouvelle saveur à ma participation. Ainsi, l’an dernier, j’ai proposé des contes andalous recueillis à Testour puis croisés avec des contes espagnols des régions de Valence et Murcie.
    J’ai aussi rendu hommage à notre Laroui national à travers une performance intitulée «Baba Aziz», où je le mettais en scène racontant ses histoires à un magnétophone. J’ai aussi produit une série autour de l’histoire des villes dans «Raconte-moi Tunis, Sousse et Sfax»..
    Je suis venu au conte à travers la performance-théâtre, c’est à dire l’improvisation verbale sur un canevas contraignant. Cette technique du spectacle éphémère me sied absolument car elle me permet de produire mes propres textes et les interpréter aussi bien en arabe qu’en français ou en anglais. C’est avec «Taghriba», une adaptation libre en langue française de la Geste hilalienne que j’ai commencé ce parcours en 2004 sur les planches d’El Hamra. 
Depuis, je n’ai plus arrêté. Rien que ces derniers jours, j’ai présenté à Dar Bouassida «Karol, Hafez et le Muezzin» en hommage au musicien polonais Szymanowski et «Virgile dans l’humus», en hommage à Alain Nadaud.
    Le conte, c’est pareil ! Et au club Tahar-Haddad, c’est littéralement un bain de jouvence, puisqu’il faut s’adapter au public qui est très jeune et très proche de la scène. Il faut savoir interagir, jouer, simplifier. Mes «Histoires de l’Oncle Jan» ont été bien reçues et, mieux, les nombreux enfants ont participé avec leur joie, leur candeur et leur curiosité. 
Un dernier mot : je ne suis pas sur scène par hasard. J’ai commencé le théâtre en 1974, avec la compagnie des «Qoudama du Théâtre arabe» puis avec Jean-Alain Hiver et la Troupe Apulée puis avec le groupe Hannibal à la maison Ibn-Rachiq. Je reste toutefois un amateur absolu, un dilettante au sens noble du terme. C’est du moins mon souhait.

Dans un monde de plus en plus dominé par Internet et les nouvelles technologies, le conteur, qui transmet le patrimoine oral par la magie de sa présence physique et par sa voix naturelle, a-t-il des chances de survivre ?

  • Il existe en Tunisie de nombreux conteurs et parmi eux beaucoup cultivent un style particulier. Avec sa chéchia stambouli, Mourad Karrout renvoie à une tradition urbaine, alors qu’avec son bendir, Laroussi Zbidi fait revivre des traditions plus rurales. Ceux qui viennent du théâtre comme Kamel Alaoui ou le regretté Ahmed Snoussi ont une présence différente des conteurs qui se contentent d’une narration diachronique qui ne tient pas toujours compte de la notion de spectacle.
    Car, dans notre contexte, le conte est devenu un spectacle vivant, une valeur-refuge et une manière de se ressourcer pour les comédiens. C’est aussi un art que le public actuel découvre alors que le virtuel domine notre communication.
    Voir un homme ou une femme seul(e) en scène pour un peu plus ou un peu moins d’une heure peut fasciner. Surtout lorsque le comédien – car le conteur est un comédien – sait faire naître la magie avec de simples mots et sait trouver un chemin vers la sève, le sang et la chair des mots. 
Lorsque j’entends des enfants répéter en chœur la litanie de Ommi Sissi, je me retrouve projeté dans un processus de transmission invisible qui préserve intact ce volet de notre patrimoine oral.
    À ce titre, les animatrices des jardins d’enfants ont toujours fait un travail remarquable. Pour avoir animé des ateliers de formation de puéricultrices, surtout au Cap Bon, j’ai pu ressentir combien leur rôle est important et leur engagement vital.
    Il y a, bien sûr, le legs des anciens : Mhamed Marzouki, André Louis ou Ahmed Harzallah et, plus près de nous Ali Saïdane, ont fait un travail remarquable de recensement et de préservation du patrimoine oral. J’aime me situer modestement dans ce sillage, tout en cultivant la langue de Douagi, Khraïef et Laroui. Parce que le conte, c’est aussi et d’abord la langue ! Et la langue tunisienne vit intensément dans le conte.
    D’ailleurs, vous l’aurez constaté, les Mohamed Driss, Taoufik Jebali, Raja Ben Ammar ou Leila Toubel fascinent le public par leur extraordinaire capacité à sublimer notre langue de tous les jours. C’est ce que font les conteurs dans un style différent, qui ouvre une échappée belle, loin du monde des nouvelles technologies, au creux de l’imaginaire et du désir!

Auteur : Entretien conduit par Salem Trabelsi

Ajouté le : 31-12-2015

Source : http://www.lapresse.tn/


 

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