MOHAMED DRISS : INTERVIEW

Propos recueillis par Neïla Azouz – Jet Set Magazine | Publié le 08.09.2009.

Jet Set : Parlez-nous de l’évolution du théâtre national et de l’école du cirque depuis notre dernière interview il y a de ça 3 ans ?

Ces dernières saisons sont très indicatives du rôle et de la mission du théâtre national, qui joue le rôle de développeur, de promoteur, de haut lieu de confirmation des jeunes talents. C’est aussi un espace de créativité permanent à travers les corps de métiers, à travers les programmes qui se font en liaison avec les productions. Nous avons réalisé sur ce plan une sorte de symbiose avec les arts comme la danse et le cirque artistique.

C’est un travail de base qui mérite plus d’attention, de moyens et d’ambitions. Nous avons l’ambition et la volonté, mais il nous manque les moyens parce que ce sont des projets à l’échelle nationale.

Il y a des indicateurs encourageants qui sont prouvés par le succès de notre école à travers les deux promotions. La première fait le tour du monde avec le spectacle de fin d’études, qui a d’ailleurs permis de placer le nom de la Tunisie dans cet art nouveau où la possibilité de tricher ou de faire semblant n’est pas possible. Soit on est artiste, soit on ne l’est pas !

Les récompenses prouvent que nos choix ne sont pas éphémères, puisque nous avons remporté, lors de la plus grande manifestation mondiale de cirque à Paris, 4 prix internationaux et une médaille de bronze qui est de la même valeur qu’une médaille olympique.

La notoriété de notre école a été confirmée aussi par des passages réussis à la télé française, notamment dans l’émission de Patrick Sébastien « Le plus grand cabaret du monde ». Nous sommes une grande école, membre de la fédération européenne des écoles de cirque professionnelles.

Mais on ne dort pas sur nos lauriers : le spectacle de la deuxième promotion est très prometteur. C’est un spectacle de haute tenue professionnelle, qui a déjà fait ses preuves lors de l’avant-première.

Nous avons réussi une symbiose très positive avec le théâtre. Dans nos pièces, l’effet du cirque est évident, pas seulement dans la technique ou l’acrobatie, mais dans une sorte d’éthique de solidarité dans le respect des règles de sécurité et la rigueur dans le travail qui ont contaminé ce nouvel art.

On a amélioré notre savoir-faire technique pour construire du matériel de cirque et même des décors de théâtre inspirés justement des toutes les innovations du cirque.

Donc le cirque n’est pas du tout un fardeau pour le théâtre, bien au contraire, puisqu’il y a la danse, le chant et la musique.

Nous sommes sur le chemin de la réconciliation de la théâtralité dans son sens originel, c’est-à-dire la rencontre de tous les arts dans l’expression dramatique.

Jet Set : Parlez-nous de votre vision du théâtre en Tunisie ?

  • L’appauvrissement du théâtre est un phénomène qui doit être rayé de notre pratique, c’est un aspect attardé. Une société n’est complète que quand il y a tout. Le théâtre doit être cette représentation miniaturisée des corps de métiers de la société. Chacun a son rôle et tous les rôles se valent.

Jet Set : Quels sont vos projets ?

Notre projet théâtral progresse en tenant compte des conditions qui s’offrent au théâtre en Tunisie, nous sommes dans une phase transitoire qui est assez critique, il faut décider pour l’avenir, prendre des dispositions fermes pour organiser le métier surtout et le sens du théâtre, sa place dans la société.

C’est à l’artiste de donner au théâtre sa noblesse, de le définir non pas comme une activité complémentaire mais plutôt fondamentale pour le mûrissement de l’expérience sociale.

Il est aussi fondamental pour l’évolution de la langue, parce que les Tunisiens ont perdu beaucoup de savoir, aussi bien dans la langue arabe littéraire que le tunisien parlé. Un peuple qui perd les repères de sa langue est facilement influençable par des modèles et des stéréotypes étrangers.

Il faut défendre la créativité tunisienne et pour ce faire, il faut que le métier s’organise.

Jet Set : C’est un problème de moyens ?

Non, c’est surtout un problème de mentalité. Si c’est urgent et important, comme le sport par exemple, les moyens sont là, donc ce n’est pas une question de moyens.

Nous avons emprunté des modèles culturels qui, dans leur pays, ont été dépassés. Nous sommes au 21° siècle, le virtuel est une donnée capitale, c’est un outil pour la pédagogie, la production… Nous sommes en décalage par rapport aux innovations qui ont bouleversé le monde du spectacle vivant, et particulièrement le théâtre.

Les moyens du théâtre tunisien sont un peu archaïques, le théâtre n’est pas un luxe, c’est l’os et la peau de la société.

Jet Set : Quelles sont les solutions ?

Il n’y a pas vraiment de solution immédiate car, dans toutes les parties concernées par les arts et la culture, il y a un problème de dissolution, il n’y a pas un esprit de corps, c’est désuni.

Il n’y a pas de communication, il y a très peu d’affinités, car on croit que le statut de l’artiste est évident, mais il n’est pas donné à tout le monde d’être poète ou acteur et, surtout, nous n’avons pas le respect de la valeur du travail.

Jet Set : Parlez-nous de vos nouvelles créations ?

On démarre avec une nouvelle création signée Jaafer El Gasmi d’un jeune auteur, Youssef El Bahri, et qui s’intitule «Valises», qui sera présentée pendant les JTC pour sa première.

Nous avons aussi plusieurs créations qui sont en train de tourner comme «Le Malade imaginaire» revisité en plus des autres créations…

L’année prochaine, on va se concentrer davantage sur la diffusion de nos œuvres, comme «La Vie est un songe», qui n’a pas été assez diffusée.

En plus, nous allons nous consacrer aux projets de jeunes auteurs, c’est une saison qui sera marquée par la 14° édition des JTC, qui seront un point de départ du théâtre nouveau, mais aussi un point fort pour la célébration du centenaire du théâtre tunisien.

Nous avons des projets majeurs, notamment le projet présidentiel de la création du Centre national des Arts du cirque et du spectacle vivant. Ce sera une plaque tournante pour tous les arts du spectacle vivant dans une dynamique de formation pratique et de recherche. Il y aura aussi du théâtre, de la danse, du chant, de la musique, les arts plastiques, l’image, la vidéo et aussi la poésie, l’écriture, la dramaturgie, la scénographie, donc stabilisation des corps de métiers.

C’est un projet présidentiel qui a été décidé dans le cadre du 11° plan. Nous attendons un lieu, mais l’argent existe pour créer un centre qui sera un haut lieu de la création et de la formation et qui aidera aussi à consolider une structure dans le pays, dans les différentes disciplines du spectacle vivant, une sorte d’usine qui est nécessaire pour la Cité de la culture.

On va aussi révolutionner le monde de l’événementiel, puisqu’on va avoir des artistes exceptionnels et des techniques innovantes, on va donc pouvoir assurer à la Tunisie une autonomie pour ce qui est du spectacle événementiel grandiose.

Jet Set : Parlez-nous du programme de JTC ?

Nous sommes en train de boucler la programmation qui est finalisée à 99%. On est en train de travailler sur la répartition dans les salles, et une fois que le dossier sera bouclé, nous le communiquerons à la presse. Nous allons sortir le catalogue début octobre.

Le choix des JTC est arabo-africain, mais avec une ouverture sur le théâtre du monde, nous aurons de belles surprises.

L’École du cirque fait partie de la fête bien entendu, mais elle a aussi son spectacle.

Les JTC progressent au niveau de la facture artistique et nous aurons de belles propositions du côté arabe.

Jet Set : Parlez-nous un peu de votre rôle dans Maktoub. Vous n’aviez jamais joué dans un feuilleton, qu’est-ce qui vous a convaincu de le faire ?

  • Je suis comédien avant tout, si les conditions sont réunies et s’il y a une sorte de confiance réciproque, et aussi si j’ai le temps… Car je le dis et le répète : «le théâtre d’abord, la télé et le cinéma après».

Jet Set : Quelle est votre vision sur le rôle de «Abbes» ?

  • J’ai eu une préparation avec le metteur en scène qui m’a fait découvrir son point de vue sur le personnage, sa relation avec les autres et surtout ce qu’il voulait en me proposant ce rôle. C’est une complicité réciproque.

Jet Set : Est-ce que vous avez mis une petite touche personnelle dans ce personnage ?

J’ai servi l’idée du metteur en scène dans le sens noble du terme, avec intelligence, rigueur et sens de la responsabilité.

C’est très agréable de travailler avec un réalisateur moderne, qui est dégagé aussi de beaucoup de choses. La relation était très agréable et stimulante.

Jet Set : Est-ce que le rôle vous a plu ?

Oui, le personnage est mon contraire, ce n’est pas mon tempérament, ni ma façon de voir le monde, ni encore mon éthique et ma morale.

Et c’est justement parce que c’est le jour et la nuit et grâce aussi à la façon dont m’a été proposé le rôle que je me suis dit que le jeu en valait la chandelle. C’était un challenge et c’est au public de voir et de juger.

Jet Set : Quand vous vous regardez à la télé, vous vous critiquez, comment réagissez-vous ?

  • Je n’aime pas me regarder, je n’ai pas de télé donc, je ne sais pas ce qui se passe, mais j’ai dans ma tête les scènes que j’ai tournées. J’ai cette force de faire mon montage personnel d’après les séquences que j’ai jouées ou que j’ai vues, j’ai un disque dur à moi qui fonctionne très bien.

Jet Set : Vous n’aimez pas la télé ?

  • La télé existe, mais pas dans mon champ proche, via les gens que je rencontre et qui m’en parlent; sinon je regarde certains programmes qu’on m’enregistre si c’est important.

Jet Set : Est-ce que vous comptez écrire un scénario pour le cinéma ?

  • C’est mon métier aussi, je suis écrivain, mais il faut sentir l’urgence. Je n’écris pas en attendant que quelqu’un passe, mais plutôt parce qu’il y a urgence. Il faut que je trouve le temps que me laisse le théâtre, et des moyens, humains et autres.

Jet Set : Est-ce que vous allez mettre en scène un spectacle cette année ?

  • Je vais mettre en scène un spectacle particulier avec les jeunes du cirque et des acteurs. Et pour une nouvelle pièce, il faut attendre 2010.

Propos recueillis par Neïla Azouz

Source : http://www.jetsetmagazine.net


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire