GHALIA BENALI — ENTRETIEN

Suivre la voix intérieure

Auteur-compositeur, chanteuse, danseuse et actrice, Ghalia Benali est une artiste tunisienne qui transforme tout ce qu’elle touche. Elle vit en Belgique, mais elle n’a jamais coupé les ponts avec la Tunisie. Nous l’avons rencontrée après son concert de clôture du Festival international de Hammamet.

Votre concert au Festival international de Hammamet signe votre retour en Tunisie après 10 ans d’absence. Comment évaluez-vous cette soirée ?

C’est la deuxième fois que je participe à ce festival : la première fois c’était en 2008 et la seconde en 2018. En début de soirée, le temps n’était pas clément à Hammamet, mais malgré cela le public a insisté à voir le spectacle et il a attendu jusqu’à minuit. Le public m’a accompagnée tout au long de cette soirée mémorable via les réseaux sociaux et m’a exprimé son soutien et son désir de me voir sur scène. Et je n’avais pas le droit de le décevoir. Et grâce à l’équipe technique du festival, le concert a eu lieu à minuit tapante… C’est très rare de la part du public tunisien d’insister de la sorte et je pense qu’il y a quelque chose de miraculeux dans ce concert qui restera gravé dans ma mémoire… Pour moi, il y a eu un grand changement dans mon rapport avec le public tunisien grâce à ce spectacle à Hammamet…


Comment avez-vous trouvé la Tunisie entre ces deux époques ?

J’ai quitté la Tunisie le 7 novembre 1987 pour la Belgique. J’étais dans l’avion et j’ai appris la nouvelle de la destitution de Bourguiba ou du divorce de la Tunisie et de son nouvel état marital. J’étais  alors partie faire mes études en Belgique. C’étaient des études de publicité et de graphisme. Je suis revenue un an plus tard et j’ai découvert que la télévision tunisienne passe des publicités. Je me suis rendu compte que le pays entrait dans la «modernité» de la société de consommation, chose qui m’a effrayée parce que je savais qu’on entrait dans l’ère de jouer avec l’esprit du consommateur et le contrôler. Je me suis dit : on a trouvé un autre moyen de contrôler la Tunisie et de l’endetter. Je me rappelle, aussi en 2008, ce qui me dérangeait c’était cette agressivité sociale qui existait dans la capitale et cette manière de vivre sous la loi du plus fort ! Je n’ai jamais connu la Tunisie sous cet aspect-là. Aujourd’hui en 2018, je vois qu’il y a une grande blessure, beaucoup de déceptions et d’incertitudes, mais j’ai l’impression que la Tunisie entre dans l’âge adulte, c’est la fin de l’adolescence. C’est l’âge où on commence à travailler et à construire.
Et je reviens au concert de Hammamet, j’ai senti que le public a défendu son droit de voir «son» artiste se reproduire sur scène alors que jusque-là il a pris ce qu’on lui donnait…
Comment avez-vous réussi à avoir ce public de plus en plus large alors que vous n’êtes même pas dans le star système ?
Je pense qu’il n’y a pas d’hiérarchie qui met l’artiste au-dessus du public. En fait, je ressemble assez à ce public tunisien et ma voix à celle de ces gens-là. Je n’ai pas une voix d’opéra, mais ce que je chante, c’est vraiment ce que les gens ont envie d’entendre à l’intérieur d’eux-mêmes.

Pourquoi vous vous reproduisez plus en Egypte qu’en Tunisie ?

C’est un concours de circonstances… Mais le premier pays arabe où j’ai donné un concert, c’est la Tunisie en 2003. Tous les projets importants de ma vie ont été conçus en Tunisie. Après 2008, je me suis produite en Egypte. Après les révolutions, j’ai découvert qu’il y a un grand public arabe qui écoute mes chansons. Je n’ai pas non plus été programmée parce que je ne suis pas dans la grosse machine qui fabrique des vedettes.

C’est aussi le choix des programmateurs car ce que je chante est très ancré dans la culture arabe même si je suis une Phénicienne et une Amazigh…

Très tôt, vous avez été très marquée par Om Kalthoum…

Quand j’avais 4 ans, j’empruntais la robe de ma mère et à l’époque dans les années 70, c’était la mini-jupe, mais pour moi cela faisait une robe longue. Cette robe était une copie conforme de celle d’Om Kalthoum. Je prenais un mouchoir, collais du papier sur mes oreilles pour imiter les impressionnantes boucles d’oreilles d’Om Kalthoum et je montais sur une caisse en bois et je chantais «Al Atlel» devant ma famille. Les voix d’Om Kalthoum et Abdelbasset Abdessamad ont profondément marqué mon enfance.

Que représente le chant pour vous ? Est-ce un art à part entière ou une manière de communiquer avec le divin, puisque vous avez chanté le soufi également…

Je dirais que c’est la deuxième option… Quand j’ai commencé à chanter en Belgique ou au Portugal, c’était devant un public qui ne comprenait rien à ce que je disais et j’ai eu le sentiment que je connaissais ce public qui venait partager ce qu’il a senti lui aussi après le spectacle. On se parlait au-delà des mots en quelque sorte… Et puis, le chant est devenu pour moi comme la pratique d’une prière, d’un art comme le yoga ou comme une recherche spirituelle : d’où vient cette Ghalia qui chante en moi ? C’est une question qui m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses. Parce qu’il y a des choses que je n’ai apprises nulle part dans cette vie, des choses que je n’ai même pas étudiées. Et tout d’un coup, il y a eu une prise de conscience qui a ouvert toutes les portes devant moi : je me suis trouvée en train d’écrire des textes en arabe et de les composer. D’autre part, 90% de mes chansons je les ai senties du premier coup en lisant le texte en diagonale. Une expérience assez incroyable qui fait que je suis en train de suivre une voix intérieure pour le choix des textes. Au-delà de l’auteur, qu’il soit un débutant ou un poète confirmé, tout correspond à ma faculté de comprendre le texte à cet instant-là. Je ne me fais pas d’illusion et je ne toucherai jamais à quelque chose qui ne m’interpelle pas, qui est au-dessus de mes forces ou qui n’est pas dans ma sphère.

Auteur : Entretien conduit par Salem Trabelsi
Ajouté le : 27-08-2018


 

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