SUBUTEX, DE NASSREDDINE SHILI

Chez ces gens-là, monsieur !

Salem Trabelsi – La presse du 05-12-2018

Avec «Subutex», Nasserddine Shili marque son retour grâce à un documentaire choquant et d’une rare violence verbale et physique mais autant il y a de violence autant il y a de l’amour entre Fanta et Rzouga. Deux personnages marginaux errant dans le vieux Tunis. Un film fort évocateur et puissant !

On atterrit dans ce documentaire comme si on était éjecté brusquement dans un autre univers… Un univers que peu de gens connaissent et même ceux qui le connaissent tentent de l’ignorer. Une sorte de no man’s land juste à côté de nous dans le vieux Tunis. Un endroit délabré et qui tombe en ruine, peuplé de gueules patibulaires, de drogués et de malfrats qui vivent comme des cloportes … Un endroit où ni l’Etat ni la moindre civilité n’existe, où seule règne la loi du plus fort mais aussi celle d’un paradis artificiel nommé «Subutex». A notre sens, le premier point fort d’un documentaire, c’est sa capacité à nous dévoiler un monde qui nous est jusque-là inconnu. C’est le cas avec ce film qui semble avoir pris son réalisateur à la gorge. «C’est le film qui m’a choisi… Je n’ai pas prévu de travailler sur ce sujet», nous a-t-il déclaré.

Fanta (Lotfi de son vrai nom) et Rzouga sont deux hommes cassés par la vie, deux hommes unis par la consommation du Subutex mais Fanta éprouve un amour fou pour Rzouga, son rêve est de «l’épouser» un jour. D’ailleurs, l’une des séquences les plus fortes du film est celle où ce dernier s’imagine, le jour du mariage, habillé d’une robe blanche. Forte parce qu’elle se passe justement dans cet univers glauque, forte parce que les personnages de ce films ont ce côté extraordinairement répulsif et presque bestial au point qu’on a du mal à les imaginer avoir des désirs et des souhaits comme tous les autres humains. Rzouga qui a décroché tente alors d’aider son ami Fanta à faire de même, essayant de l’arracher des griffes de cet endroit lugubre et l’emmenant à Korbous. Fascinant est ce rapport entre Rzouga et Fanta ! Il y a autant de violence que d’amour et de tendresse et le film réussit à nous attacher à eux tout marginaux qu’ils sont !

Grâce à l’énergie transgressive des personnages, à la liberté de langage qui leur est donnée, au côté cru de la réalisation probablement au temps passé entre le début du tournage et sa fin, «Subutex est un film extrêmement touchant, déstabilisant presque …C’est un hurlement qu’on entend mal au début mais qu’on reçoit en plein visage dès qu’on entrouvre la porte. Le hurlement d’une catégorie de la société tunisienne oubliée par tous. Des gens qui sont «hors vie» et qui, selon le réalisateur, n’existent point pour l’Etat, puisqu’ils n’ont même pas de carte d’identité nationale. Et chez ces gens-là, monsieur, on ne vit pas ! On s’agresse et on meurt à petit feu…

Auteur : Salem Trabelsi
Ajouté le : 05-12-2018


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