ALORS POUR QUAND LE PROCHAIN PARADOXE ?

Par Tahar Chikhaoui – Tunis Hebdo, 11 juin 1984

Parler de complexité à propos du cinéma en Tunisie relève désormais du lieu commun. Et ce n’est pas son moindre paradoxe. Aussi, le dire n’ajoute-t-il plus rien à l’affaire. Mais l’expliquer… est-ce possible ? Alors que faire donc ? Ceci : relever un autre paradoxe : la SATPEC est en crise, personne ne s’en alarme. Je n’ose pas dire que tout le monde s’en accommode. Peut-être souffre-t-on en silence – mais moi je souffre de ce silence – peut être, la maladie, devenue chronique, nous a-t-elle apprivoisés. Ce visage si pâle a-t-il jamais cessé de l’être ? Ce corps si chétif, si anémique, a-t-il jamais connu l’embonpoint, la santé ? La SATPEC est née malade. Elle a résisté grâce à un palliatif : le Monopole. Aujourd’hui, il n’est plus. Son état n’est plus stationnaire, il est en régression. Ce n’est plus un secret pour personne. La maladie devient agonie et nous assistons, dans l’indifférence, à la mort de ce qui constitue le seul garant du cinéma culturel dans le pays. Mais, dirait-on, cette indifférence n’en est pas une. C’est un état de satisfaction mal interprété par un journaliste non avisé. N’a-t-on pas, depuis deux ou trois ans, pris des mesures d’assainissement – en fait ceux-là mêmes qui ont supprimé le Monopole – allégé la fiscalité, institué un Fonds d’Aide à la production, ajouté des laboratoires en couleur à Gammarth ? Comment n’en perçoit-on pas les résultats dont, rien que cette année, trois longs-métrages en cours de préparation : «Les Baliseurs du désert» de Nacer Khemir (presque fini),  «Le Défi» de Omar KhIifi et «Oujh Ennahs» de Moncef Dhouib, avec Lamine Nahdi ?

Serait réellement mal avisé qui nierait la valeur de ces mesures, et notamment l’allègement fiscal, le Fonds d’Aide à la production, et les laboratoires – couleur ; elle est cependant toute relative. Les productions en cours n’en sont pas forcément le résultat. Le Fonds d’Aide est-il en mesure de financer plus d’un long-métrage par an ? L’expérience de ces dernières années a déjà répondu. En quoi ces mesures ont-elles aidé à l’élargissement du marché dont on ne sait que trop l’exiguïté ? Le temps n’a peut-être pas dit son dernier mot. Mais si les incidences positives de ce qui a été appelé «assainissement» ne sont que relatives, négative est, du point de vue du cinéma culturel, la suppression du Monopole.

Cela était bien prévisible, le principe ayant régi les réformes étant d’abord économiques. La voix qui, en terme de rentabilité financière et seulement en ces termes, a condamné la SATPEC est coupable. La main qui a mis dans le même tiroir le dossier de la SATPEC avec ceux des sociétés industrielles et commerciales déficitaires – est coupable.

La conception qui considère la culture comme un SIMPLE rouage de l’économie du pays est coupable. La rentabilité immédiate en matière de cinéma veut-elle dire autre chose que la prédominance du cinéma commercial (entendre films de violence, mélodrames égyptiens), l’affaiblissement du cinéma tunisien, si «commercial» soit-il ? L’expérience a été également édifiante à ce titre. Et les conséquences, personne ne les ignore.

Si la privatisation du cinéma décharge l’état des dépenses, jugées accablantes, et fait l’affaire de quelques producteurs et distributeurs, elle risque, si cela n’est pas déjà fait, de détruire la seule structure qui puisse endiguer le flot, combien nocif aux plans social et culturel, de ce qui a été appelé, par un euphémisme non moins coupable, le cinéma commercial, la seule structure qui soit à même de défendre et promouvoir le cinéma tunisien.

Alors pour quand le prochain paradoxe ?

TAHAR CHlKHAOUI.

Tunis Hebdo, 11 juin 1984.


 

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