OMAR KHLIFI A TIRÉ SA RÉVÉRENCE : L’AUBE DU CINÉMA TUNISIEN

Par Samira Dami – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 07-01-2018.

Le cinéma tunisien a perdu, à la fin de l’année 2017, le samedi 30 décembre, l’un de ses cinéastes pionniers, en l’occurrence Omar Khlifi, disparu à l’âge de 83 ans. Le réalisateur autodidacte a signé son premier court-métrage «Une page de notre histoire», coréalisé avec le cinéaste algérien Ahmed Rachedi, en 1961. Court-métrage suivi de 12 autres films amateurs qu’il tourna en solo dont «L’oncle Mosbah en ville» et «Les Volontaires», réalisés en 1962, puis «J’ai rencontré deux jeunes filles» en 1962, «Halima» en 1963, «Khemaïes Ternane», «Amour et jalousie» en 1964 et «Tragédie bédouine» en 1965. C’est donc en 1966 qu’il réalisa son premier long-métrage «Al fajr» (L’Aube) suivi de quatre autres «Al moutamarred» (Le Rebelle») en 1968, «Al fallaga» en 1970, «Hurlements» en 1972 et «Ettahadi» (Le Défi) en 1986.
Ainsi, Omar Khlifi avait toujours considéré, et il l’avait mentionné dans son ouvrage sur «l’Histoire du cinéma en Tunisie», que «Al Fajr», son premier long-métrage, marque la naissance du cinéma tunisien, en 1966.

Ce que certains professionnels du cinéma avaient alors contesté, à l’instar du réalisateur et historien du cinéma tunisien et historien du cinéma tunisien et arabe, Férid Boughedir, qui estime que «le pionnier du cinéma tunisien n’est autre qu’Albert Samama-Chikli», auteur-réalisateur du premier long-métrage tunisien «Aïn Ghezal» (La fille de Carthage) produit en 1923. Opus qu’il a réalisé suite à deux courts-métrages «Zohra» et «Éclipse» en 1922.

Au-delà de cette différence de points de vue et de lectures de l’histoire des origines du cinéma tunisien, il est vrai que «Al Fajr» est le premier film produit et réalisé après l’Indépendance, avec des compétences (équipes technique, artistique et de production) à 100% tunisiennes.
Maintenant, en se focalisant sur la filmographie du cinéaste disparu, notamment ses longs-métrages, on constate que sur les cinq opus qu’il a réalisés, trois d’entre eux traitent de la lutte pour l’indépendance («Al fajr», «Al fallaga» et «Ettahadi»).

Quant à «Al moutamarred», film historique dont l’action se situe à la fin du XIXe siècle, il agite le thème de la lutte contre le pouvoir beylical et l’injustice.

Seul «Hurlements» évoque l’émancipation de la femme en dénonçant plusieurs carcans sociaux dont les crimes d’honneur et autres traditions archaïques, sources de drames et de tragédies pour les femmes. Dans «Hurlements», dont le scénario est adapté d’une pièce radiophonique «Salma» de Tijani Zalila, le réalisateur plaide la cause de la femme et appelle à sa libération. Ce qui était, alors, sous Bourguiba, dans l’air du temps.

Le traitement artistique dans «Hurlements», où le réalisateur a, bizarrement, entièrement intégré la fable de son court-métrage «Tragédie bédouine», révèle une influence prégnante du cinéma japonais avec des plans inspirés du cinéma de Kurosawa, notamment ceux montrant des paysages écrasant les personnages, tel celui où se déroule la scène dramatique du viol.
Dans le reste de ses films, le traitement artistique oscille entre modèle égyptien (dans «Al fajr») où Ahmed Hamza, à l’instar des chanteurs vedettes des films égyptiens, pousse la chansonnette, et le genre western-spaghetti dans «Al Moutamarred». Il n’empêche qu’«Al fajr» dégage une certaine fraîcheur propre aux premiers longs-métrages tunisiens, tel «Et demain» de Brahim Babaï, «Une simple histoire» de Adellatif Ben Ammar, «Khlifa lagraâ» de Hamouda Ben Halima, etc. Ce sont là les films pionniers qui ont marqué le cinéma tunisien.
Après «Le Défi», encore et toujours sur la lutte pour l’indépendance, «le père» du cinéma tunisien post-colonial, après les critiques acerbes de ses pairs, lui reprochant son alignement sur l’histoire officielle du «régime» Bourguiba, cessera de filmer en se tournant vers la recherche historique. Il publiera ainsi, outre son livre sur l’histoire du cinéma en Tunisie en 1970 quatre autres ouvrages révélant sa passion pour l’histoire : «Bizerte la guerre de Bourguiba» (2001), «L’assassinat de Salah Ben Youssef» (2005), «Moncef Bey, le roi martyr» (2006) et «Le changement… pourquoi ? Comment ?» 2009).

Tous ces opus, à l’exception de celui sur Moncef Bey, sont à l’antipode de ses films traitant de la lutte nationale où il avait adopté la ligne politique de Bourguiba.

Réalisateur, scénariste, producteur, Omar Khlifi était également le cofondateur de la FTCA (Fédération tunisienne des cinéastes amateurs). Ce cinéaste, qui a signé le premier film de l’après-indépendance, demeurera l’un des pionniers du cinéma tunisien et maghrébin.

Samira Dami

Ajouté le : 07-01-2018

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