EN HOMMAGE AU CRITIQUE ET JOURNALISTE TUNISIEN KHÉMAIS KHAYATI (1946-2024)

La Revue CinémArabe (1975-1979)

Pour une autre voix

CinémArabe, Asie – Afrique – Amérique Latine (1975-1979), une revue d’action cinématographique tricontinentale

In memoriam Khémais Khayati (1946-2024)

Léa Morin. Avec Paul Bonnarme, Deva Pereda, Laura Alhach et Mariana Torres.

Khémais Khayati, Khaled Essedik and Abdou Delati Achouba (Journées cinématographiques de Carthage, 1974). Photographe : Nicoletta Zalaffi (1932-1994), Rui Nogueira collection.

«C’était un rêve. C’était aussi une folie» raconte le critique de cinéma tunisien Khémais Khayati[1], l’un des co-fondateurs et principal animateur de CinémArabe, lorsqu’il évoque l’histoire éphémère de la revue. Fondée par de jeunes militants du cinéma, CinémArabe est une rare tentative, au cœur des années 1970, de s’allier pour la création collective d’une tribune dédiée aux voix manquantes du cinéma.

La critique tri-continentale à Paris

C’est au quartier latin à Paris que se croisent, au début des années 1970, ceux qui deviendront les contributeurs de CinémArabe «C’était la tri-continentale[2]. Vous rencontriez toutes les nationalités. Il y avait un rêve dans ce Paris, pas de frontières, un autre esprit», raconte Khayati. Ils ont à peine 25 ou 30 ans. Ils sont alors professeurs, étudiants en cinéma[3], journalistes. Plutôt fauchés, mais passionnés. Certains se rêvent cinéastes, d’autres écrivent. «C’est à Paris que j’ai découvert le monde arabe. Nous avions des discussions interminables, avec les Tunisiens, les Marocains, les Algériens, les Turcs…» raconte Magda Wassef[4]. Venue d’Égypte pour faire des études de cinéma, elle fréquente la Cinémathèque, et les cafés de la rue Mouffetard. «Une espèce de diaspora filmique»[5], selon le cinéaste marocain Ahmed el Maânouni qui habitait le quartier.

Et très vite, l’idée d’une revue bilingue (arabe et français) consacrée à leurs cinémas émerge. «On avait envie de parler de nous, de notre cinéma qui était marginalisé. Nous étions jeunes, nous n’avions pas de moyens, mais nous partagions un enthousiasme. Notre moteur, c’était le besoin de donner une visibilité à ces cinémas qui n’avaient pas leur place dans les revues comme les Cahiers du Cinéma» se souvient Magda Wassef. Car les écrits consacrés aux cinémas non-occidentaux sont alors extrêmement rares, même dans leurs pays. Khémais Khayati et son ami le critique et cinéaste marocain Abdou Achouba déplorent de n’avoir accès aux informations et analyses sur les cinémas «arabes» que par « le canal des revues ou hebdomadaires européens. Or ces informations, même si elles sont élaborées par des hommes de gauche, portent une vision du cinéma très différente de celle que nous pouvons avoir nous-mêmes de notre production. Il y a un grand écart culturel, difficile à combler.[6]

Ils veulent écrire sur leurs propres cinémas, désireux d’une critique capable d’en appréhender les particularités. Ils veulent également joindre leurs forces et s’unir. 

Une critique nouvelle pour un cinéma nouveau

Alors que les indépendances arabes et africaines des années 1960 marquent la naissance d’un nouveau cinéma, l’équipe de CinémArabe appelle à «l’apparition d’une critique nouvelle au service d’un cinéma nouveau». Leur premier numéro est consacré entièrement à la critique arabe : «Nous voulions combattre le cinéma dominant, avec les outils de la critique» raconte Magda Wassef. À ceux qui leur reprochent leur position géographique depuis Paris, ils répondent : «Nous pensons que le premier devoir de la critique arabe est de lutter chez elle, mais vu la mondialisation des problèmes, il faut qu’elle lutte ailleurs, là où elle est elle peut établir des contacts avec toutes les forces combatives et progressistes dans le monde».[7] Le premier numéro est un «bulletin» qui «a pour fonction de faire connaître à la critique occidentale les courants cinématographiques ou les films qui sont dans le monde arabe» et qui «fera fonction de bulletin de liaison au sein de la critique arabe elle-même». Il est financé avec le soutien de l’AFCAE (Association française des Cinémas d’art et essai). Ils y affirment leur positionnement politique et leur volonté de se démarquer d’une critique «petite-bourgeoise» à l’œuvre selon eux, notamment dans les journaux arabes de l’époque, une critique qu’ils considèrent «occidentalisée, dans le sens où elle vit encore sur le mythe de la « nouvelle vague » du cinéma d’auteur, de l’analyse structuraliste de l’image et de ses codes, etc». Ils lui reprochent «une évacuation complète de la question idéologique du « pourquoi » du cinéma et du « pour qui ».»[8]

Une critique d’intervention : se saisir du réel social et politique

C’est à l’imprimerie du Parti communiste français (grâce à des amitiés) qu’est imprimé le troisième numéro, le premier à ne pas être ronéotypé. Ce numéro marque une nouvelle étape pour la revue qui n’est donc plus seulement un bulletin de coordination pour critiques arabes, et voit aussi l’apparition de nouveaux noms. En effet, l’appel à s’unir et joindre les forces pour une nouvelle critique lancé par les deux co-fondateurs, Khémais Khayati et le critique marocain Abdou Achouba a été entendu. Et de nombreux amis et collaborateurs rejoignent «le comité d’intervention critique». «À partir du numéro 3, CinémArabe est fabriquée dans tous ses détails dans une optique collective»[9]. Il n’y a pas de rédacteur en chef, la revue appartient à tous ses contributeurs. Un mode de fonctionnement collégial similaire à celui des milieux militants de l’après 1968 en France, comme le confirme Khayati : «Intervention est un terme politique». Le collectif a donc vocation à agir sur la société, à se saisir du réel, politique et social, pour contribuer à la transformer, à l’image des cinémas d’intervention sociale et des comités d’action cinématographique nés des luttes ouvrières, anti-coloniales et tri-continentales à travers le monde et de l’émergence des cinémas politiques, différents et militants.[10] 

L’action cinématographique

Et la critique a elle aussi un rôle à jouer dans ce nouvel ordre du monde cinématographique. «Nous voulions agir pour créer ce cinéma qu’on appelait de nos vœux» raconte Maanouni. Le cinéaste marocain a alors fini ses études à l’INSAS et prépare son premier long-métrage Alyam, Alyam (1978). Il apprécie particulièrement les longues discussions cinéphiles[11] avec ses camarades, et les actions partagées. Car l’«intervention» du comité se prolonge en dehors des pages de la revue : les membres du collectifs ont pour ambition de faire de la revue un espace de réflexion sur le rôle de la critique «solidaire», notamment en organisant des colloques[12], et ils vont régulièrement accompagner des séances, présenter des films dans les salles de cinéma ou les festivals et animer des débats.[13] «Il nous faut une critique dynamique qui sort des huis-clos et accompagne le film par le tract, la parole, l’animation qui devront dépasser le film pour toucher à la vie. Contre la critique-marketing-solitaire mais dominante qui possède tous les atouts des moyens de communication, «la critique solidaire» possède un grand et inestimable atout : sa mobilité et son caractère collectif».[14]

Les quatre A : Arabe, Asie, Afrique, Amérique Latine. De Carthage à Ouagadougou.

La revue se positionne comme une tribune : «Le premier obstacle était celui de la direction idéologique. Certains la voulaient « rouge », d’autres « experte », d’autre encore « non-alignée »… Nous la voulons libre, large et évolutive».[15] Et cette tribune, dès le troisième numéro, ne sera pas que celle des cinémas arabes, mais également des cinémas africains, asiatiques et latinos américains. «Nous avions cette sensibilité tri-continentale, de libération, en réponse à l’impérialisme. Nous devions affirmer notre identité, » raconte Ahmed el Maanouni. C’est ainsi que la revue s’étend vers les luttes cinématographiques d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

«Nous, Arabes et Africains, avons les mêmes préoccupations et défendons les mêmes projets. Que cette tribune s’intitule Cinéma arabe, africain, asiatique, latino-américain, ce n’est pas là l’essentiel. L’important est d’accorder nos voix et nos exigences pour que nous sortions de cette misère aussi imposante que notre espoir. (…) Nous connaissons bien nos ennemis communs, tout front politico-culturel est de nature à nous renforcer…» écrivent Khayati et Achouba.[16]

Mais pour ces jeunes critiques de cinéma, comment avoir accès aux films sénégalais ou maliens, alors même qu’ils ne sortent pas en salle en France ? Où visionner les nouveaux cinémas politiques d’Argentine par exemple ? Comment mener des entretiens avec les cinéastes tri-continentaux, hors de ceux installés à Paris ?

CinémArabe, du fait de son comité critique transnational et multilingue, est surtout riche de ses ramifications et amitiés cinéphiles. Les membres du Comité activent leurs réseaux professionnels et amicaux pour faire vivre la revue : ils accueillent notamment des textes et des compte-rendus de correspondants. En 12 numéros, la revue a réuni plus de 48 contributeurs différents de différentes nationalités : Palestine, Liban, Maroc, Algérie, Égypte, Tunisie, Bolivie, Mauritanie, Guinée, Tchad, Sénégal, Québec, États-Unis, Italie, Argentine, France ou encore Cameroun. Des grands noms de la critique internationale comme Tahar Cheriaa, Serge Daney, Guy Hennebelle, Nourredine Saïl, Guido Aristarco ou Paulin Soumanou Vieyra côtoient de très jeunes plumes. «Il y avait un courant qui passait et qui nous réunissait», raconte Khayati. Il faut dire que personne n’est payé et que c’est uniquement par militantisme qu’on décide de s’impliquer dans la revue[17]. «On dépensait même de notre poche pour pouvoir faire cette revue. Et c’était un rêve collectif : celui qui veut écrire, qu’il vienne !». C’est ainsi que le critique de cinéma portugais Antonio Rodriguez, alors étudiant en France, va rejoindre le Comité, et proposer un dossier entièrement consacré à la censure dans le cinéma au Brésil. «C’est pour CinémArabe que j’ai assisté à mon premier festival de cinéma, celui de Mannheim, en 1978. Une expérience incroyable. J’en ai gardé beaucoup d’amitiés».[18] raconte celui qui deviendra programmateur à la Cinémathèque portugaise. Les passerelles vers les autres cinémas se font surtout à travers les festivals, comme ceux de Carthage, de Cannes ou de Ouagadougou[19], qui leur permettent de voir les films, mais aussi d’établir des relations privilégiées avec des cinéastes africains, comme Ousmane Sembène ou Souleymane Cissé.[20] Le numéro 10 sera même financé par le Festival de Carthage, à l’occasion du 10ème anniversaire des JCC.

La dimension panafricaine de la revue s’affirme de numéro en numéro. L’écrivain et critique mauritanien Abdoul War rejoint l’équipe à partir de 1977. Pour avoir accès aux films africains, il fréquente la cinémathèque du ministère de la Coopération : «J’empruntais les films, en 16mm, et je les projetai à Paris 8 où je travaillais à l’époque». Il rédige alors un travail de recherche sur le cinéma africain, et milite pour une critique africaine : «Tant que les Africains ne produiront pas eux-mêmes leurs œuvres et que les Africains ne critiqueront pas les œuvres des Africains, on est mal barrés. Sinon ce sont les autres qui dictent»[21]

C’est notamment aussi lors de leurs passages à Paris pour le montage de leurs films que l’équipe de CinémArabe prend l’opportunité de mener des entretiens avec les cinéastes, et même de voir leur film. Magda Wassef raconte : «Notre amie la monteuse Andrée Devanture était un peu la protectrice des cinéastes africains. Nous, nous allions dans sa salle de montage pour voir les films et échanger avec les cinéastes». Ce fut le cas notamment avec Souleymane Cissé (Mali) et Dikongue Pipa (Cameroun).[22]

Décoloniser l’image : une lutte contre les cinémas dominants. La critique de cinéma, une arme

Forte de cette constellation «qui se saigne pour la défense de la cinématographie tri-continentale»[23], on comprend mieux comment cette revue, sans appui financier solide, a pu devenir un point névralgique des mouvements du troisième cinéma, en réunissant des textes, manifestes et entretiens inédits avec des grands cinéastes du monde entier, comme Youssef Chahine[24] et Tawfiq Saleh[25] (Égypte), Dariush Mehrjui[26] (Iran), Ousmane Sembène (Sénégal), Souleymane Cissé[27] (Mali) ou encore Tahar Cheriaa (Tunisie). À la manière des festivals panafricains comme Carthage ou Ouagadougou, de ciné-clubs aux programmes militants, comme ceux des ciné-clubs marocains, ou d’une conférence comme celle des cinéastes du Tiers-Monde en 1973 à Alger[28], la revue devient à son tour un espace où se côtoient des cinéastes tri-continentaux engagés dans une lutte commune.

«Le cinéma du Tiers-Monde n’est pas UN» peut-on lire en avertissement du numéro 7-8, consacré au rapport cinéma et critique. «L’émergence de ce cinéma n’a été ni facile, ni linéaire. Plusieurs tentatives d’intimidation, de détournement et d’évacuation furent exercées sur les cinéastes allant de l’absence de politique cinématographique (pour des causes économiques !) jusqu’à l’emprisonnement si ce n’est l’assassinat, en passant par les multiples interdictions. Malgré ces obstacles, des films existent, des courants virent le jour et une esthétique fut mise au point». On comprend l’importance des obstacles politiques (censure, empêchements, interdictions, disparitions) dans l’histoire des cinémas tri-continentaux. La critique de cinéma doit donc prendre en compte ces luttes et ces blessures. Et aussi s’engager dans une lutte similaire. La critique doit être une arme utile à la lutte contre les cinémas dominants.

Un double numéro est entièrement consacré à la relation critique/cinéma, dans une volonté de penser ce peut être une critique non-occidentale et tri-continentale. «Notre tâche de critique consiste à travailler et favoriser la production de concepts, codes culturels, pour que naisse un cinéma national par ses formes (sans chauvinismes) et populaire à contenu progressiste». Le comité de CinémArabe signe un édito cinglant qui n’épargne pas les critiques de cinéma qui ne «doivent pas tomber dans les pièges de la critique officielle (soumission, paresse, éclectisme) et doivent se débarrasser des tics et snobisme d’une partie de la critique occidentale». Les critiques de CinémArabe se positionnent et précisent ne conserver des relations qu’avec les critiques occidentaux qui «prennent dans leur propre pays, des positions anti-capitalistes et de solidarité avec la lutte des peuples dans le monde». Cet édito se finit sur une proposition extrêmement stimulante, celle d’une union critique-cinéaste. Pour ce numéro, ils feront appel à de nombreux critiques, y compris Serge Daney qui conclut ainsi son texte « Une seule arme : l’indépendance de pensée».

Traduire, ré-éditer, re-publier 

CinémArabe est aussi un lieu de publication, de traduction et de réédition d’écrits parus ailleurs (en France ou à l’étranger), et notamment de textes ou manifestes cinématographiques essentiels à faire circuler. La revue utilise les outils politiques de la reprise, de la photocopie, de l’emprunt et du collage, à l’image des tracts ou des films militants qui réutilisent souvent des parties d’autres films pour servir leur discours. «On avait aussi cette conscience que ce qu’il y a d’intéressant il faut le transmettre, il ne faut pas le garder pour soi», explique Khayati. Ainsi, dans le numéro 6, CinémArabe propose une traduction en français (par François Gège) d’un texte inédit[29] de l’argentin Fernando Solanas, le réalisateur du film emblématique des nouveaux cinémas (L’Heure des brasiers, 1967) et l’auteur – avec Octavio Getino – du célèbre manifeste «Vers un troisième cinéma».[30] Dans «décoloniser l’image» Solanas aborde les trois thématiques fondamentales à CinémArabe : «1. La lutte contre le conformisme des cinémas occidentaux dominants ; 2. L’émergence d’une critique de type nouveau qui échappe aux conventions de la cinéphilie ; 3. Les rapports entre la critique occidentale et tri-continentale». Cet article est l’un des points de départ du numéro 6 de CinémArabe consacré au cinéma populaire. «Le cinéma a un rôle fondamental à jouer en tant qu’art populaire dans cette révolution culturelle contre le pouvoir». Il s’agit de « restituer aux couches populaires majoritaires leurs capacités de création et d’innovation» écrit le sociologue algérien Wadi Bouzar.[31]

Autre texte important : «Pour un cinéma révolutionnaire et populaire », du cinéaste bolivien Jorge Sanjinés, traduit par Chantal Beaufumé, et publié avant même sa parution en espagnol. Sanjinés y évoque l’importance pour l’intellectuel, issu principalement de la bourgeoisie, d’être constamment sur ses gardes et d’«adopter une attitude permanente d’auto-critique», pour l’élaboration d’un «langage populaire cinématographique» capable d’intéresser les ouvriers et les paysans. Il en appelle à «la responsabilité de ceux qui ont les moyens de faire du cinéma». [32].

Régulièrement, CinémArabe publie des manifestes[33], lettres ouvertes[34], et propose de lier révolution pour un nouveau cinéma et luttes de libération contre l’impérialisme. «Le critique doit insérer le film dans son environnement politique et idéologique». «Il est urgent de se battre, de dénoncer, de résister à tous les mécanismes en place».[35] La lutte pour la liberté du peuple palestinien est extrêmement présente de numéro en numéro, comme symbole de cette lutte politique et cinématographique contre l’impérialisme. Un poster «Palestine vaincra» est publié dans le numéro 6[36]. Le numéro 9 consacre ses « nouvelles du tiers-monde» à un communiqué de l’Institut du cinéma palestinien qui annonce l’exécution de deux militants et cadres de l’Institut par Israël.[37] Ali Akika y ajoute une brève annonçant la création d’une commission d’enquête à l’initiative du groupe «Cinéma Vincennes»[38] dont il fait partie pour faire reconnaître «le droit aux Palestiniens à filmer». Dans le numéro 6, on annonce la constitution d’un comité de solidarité avec les cinéastes «latino-américains actuellement emprisonnés dans des conditions souvent atroces». S’ensuit un dossier spécial avec la liste des emprisonnés, et des focus sur les cinéastes chiliens Carmen Bueno et Jorge Muller, et sur l’Argentin Raymundo Gleyzer, suivi d’un texte du journaliste américain Peter Biskind détaillant la situation pays par pays et demandant la libération des cinéastes emprisonnés, avec des signataires comme Alain Robbe Grillet, Sarah Maldoror, Marta Rodriguez et Ousmane Sembène. Ce texte paru initialement en anglais est ici traduit en français par l’équipe de CinémArabe. La traduction devient un outil politique.

Ainsi, camaraderie et sororité ont émergé avec des pensées et des gens qui vivaient dans d’autres régions et parlaient d’autres langues, mais étaient alignés avec leurs opinions politiques et esthétiques. L’objectif : lutter pour la même cause, depuis différentes parties du monde. Ce faisant, les rédacteurs de CinémArabe ont réussi à créer ce réseau transocéanique grâce à la republication et la traduction.

La langue est aussi une question qui revient souvent dans les éditos de CinémArabe. On leur reproche de ne pas tout traduire en arabe. Mais le comité d’intervention a toujours été clair : arabe ou français, chaque contributeur est libre d’écrire dans sa langue d’expression, et les textes ne seront pas traduits vers l’autre langue, mais publiés tels quels. 

Anti-impérialisme, anti-racisme, anti-colonialisme : sans oublier les luttes féministes !

La publication du manifeste féministe «Femme, arabe… et cinéaste» de la cinéaste Heiny Srour, originellement publié dans le livre Les Femmes tournent[39], est annoncé dès la couverture du double numéro 4-5 de CinémArabe en 1976. On peut imaginer l’importance de sa réception auprès des lecteur.trice.s de CinémArabe, qui ne sont pas ceux du livre. Au début de son texte, elle évoque les réactions après projections de son film militant L’heure de la libération a sonné, sorti en 1974, sur une lutte de libération dans le sultanat d’Oman et sur la place des femmes dans l’insurrection : «Tu as trop insisté sur la libération de la femme, l’ennemi c’est l’impérialisme, pas l’homme» lui aurait-on notamment reproché, raconte-t-elle, entre autres remarques sexistes. 

Une manière d’affirmer que les luttes féministes sont également au cœur du projet CinémArabe qui ne va pas reléguer l’engagement contre le patriarcat dans les marges des luttes anti-impérialistes. Le rôle de Magda Wassef, mais aussi celui de ses amies et collègues Maryse Léon et Martine Encoignard engagées elles aussi dans CinémArabe, et bien sûr celui de Heiny Srour est évidement déterminant pour l’engagement de la revue à donner voix aux femmes critiques et aux femmes cinéastes, qui sont alors encore largement invisibilisées. 

Le numéro 11 de la revue propose ainsi un dossier spécial d’une très grande qualité : «la Femme dans le cinéma arabe». Tous les textes du dossier sont écrits par des critiques femmes, dans la lignée de l’engagement de la revue à donner voix à des personnes directement concernées par leurs sujets d’écriture. Les critiques Wassyla Tamzali, Magda Wassef, Maryse Léon vont ainsi évoquer les cinémas de Assia Djebar, Selma Beccar, Heiny Srour et Jocelyne Saab, et s’entretenir avec les cinéastes. Des textes rares qui témoignent du recueil attentif par ces jeunes critiques d’une parole qui circule peu.

Un projet politique et cinématographique à chaque page … Projets achevés et inachevés

Tout comme la revue elle-même, qui s’est interrompue après 12 numéros, lire CinémArabe, c’est lire l’espoir, les projets, la volonté et les utopies d’une époque où l’on rêvait d’un nouvel ordre sociétal et cinématographique. C’est aussi lire la pertinence de ces propositions, aujourd’hui encore, et donc en filigrane, la puissance d’empêchement des forces qui les ont fracassées. 

CinémArabe, par son modèle-même de fonctionnement, est une proposition concrète pour l’invention d’une autre manière, anti-conventionnelle et collaborative, de pratiquer la critique cinématographique. Le financement de la revue lui-même est participatif, les abonnés et lecteurs faisant partie du projet. Tout le monde est responsable à la fois d’écrire, de relire, de traduire, de gérer les impressions, mais aussi de faire circuler les revues et d’obtenir de nouveaux abonnements à travers le monde. Lors de chacun de leurs voyages, les valises des membres du Comité sont pleines d’exemplaires.

En parallèle de la revue, d’autres propositions de dispositifs alternatifs de lutte contre les cinémas dominants émergent, ou sont relayés.

Qu’est-il arrivé au projet de Heiny Srour, Magda Wassef et Selma Beccar de création d’une «Union des cinéastes arabes indépendante» (pour faire face aux problèmes de distribution et de production) et d’un fonds d’aide «Pour l’auto-expression de la femme arabe»[40] etc. Elles avaient imaginé une bourse annuelle de soutien aux femmes cinéastes où «la priorité ira aux projets les plus radicaux des cinéastes les plus frappés par la répression», financé par des contributrices indépendantes de manière participative.[41]

Autre projet inachevé, dans le numéro 10-11 Antonio Rodriguez évoque une alliance de l’Espagne, du Portugal et de pays d’Amérique Latine, avec un quota de films en espagnols et portugais, pour contrer la domination des États-Unis sur la distribution des films.

Lire CinémArabe, c’est entrer dans un projet politique et cinématographique que chaque rubrique, y compris les annonces, contribue à construire. Ci et là, les pages de CinémArabe proposent des encarts solidaires de projets éditoriaux ou culturels, dans l’esprit de la revue. «Intervenir dans la lutte avec une arme spécifique, le cinéma» peut-on lire pour la promotion de la revue Cinéma politique [42]. Un encadré annonce la publication de «La Palestine et le cinéma», dirigé par Guy Hennebelle et Khémaïs Khayati aux éditions du Centenaire. Des dessins humoristiques de Saladin viennent souligner les propos de la revue. Saladin est aussi l’auteur d’une bande dessinée poétique sur l’immigration «Djeha rêve ou crève» qui est vendue au siège de CinémArabe. Une annonce pour un disque côtoie une autre pour du matériel cinématographique 16mm, ou pour des livres sur la pratique du super 8 (les formats cinématographiques des cinémas politiques de l’époque, moins chers et plus accessibles). Un encadré fait la promotion du réseau de salles de cinéma d’art et d’essai parisiennes (Cinéquanone) et un autre du Third World Newsreel à San Francisco. On y trouve également des annonces pour des sorties de film et soirée débat, comme celui de Ali Akika et Anne-Marie Autissier Voyage en Capital (n°7-8). Car certains membres de CinémArabe sont aussi cinéastes.[43] Et la revue est aussi une tribune pour exprimer leurs intentions cinématographiques et évoquer leurs propres projets. Leur cinéma a-t-il été influencé par ses écrits partagés ?

Parfois aussi (et peut-être trop rarement), certains textes proposent des échappées, et une écriture plus créative, comme cet essai poétique «Larmes de crocodiles»[44], qui ressemble à un récit de rêve. «Un délire personnel. C’est un portrait de ce qui nous préoccupait» selon son auteur Ahmed el Maânouni. Extraits : «Pour fuir le vertige, j’ai couru le plus loin que j’ai pu, maudissant les miroirs, les petits rêves bien rangés, et les cahiers du cinéma d’avant 1967 et les chardons qui m’ensanglantaient les pieds jusqu’au précipice. Je m’arrête, je fais demi-tour. (…) et je rentre dans une chambre noire, je m’ouvre la tête, j’en sors de la pellicule et j’organise une projection-débat». Du même auteur, on peut lire quelques « réflexions candides à propos du cinéma marocain», un texte très personnel qui témoigne de la rage d’un cinéaste qui voit ses collègues rencontrer des difficultés pour faire exister leur cinéma. Ces textes plus personnels de Maânouni nous permettent une entrée dans une intimité, et une réalité (leur quotidien, leur rage, leurs rêves) que ne racontent pas les diverses lettres ouvertes et manifestes, rédigés dans un style beaucoup plus impersonnel. Et c’est ça aussi, CinémArabe. Un espace d’expression nécessaire à un jeune cinéaste comme Maânouni qui a besoin de ce lieu libre de débats et partage d’idées et de colères, alors même qu’il prépare activement son premier long-métrage. 

 Éditer : un combat ! La revue se meurt !

De numéro en numéro, «la revue commence à avoir une certaine notoriété, nous étions invités dans les festivals. Nous recevions un écho très favorable». Des 500 exemplaires des premiers bulletins, la revue est maintenant tirée à 5 000 exemplaires. On la trouve en kiosque à Paris, mais elle circule surtout dans les milieux étudiants, militants et cinéphiles, et à travers les abonnements. Et pourtant les difficultés se font ressentir. Tout au long de l’existence de la revue, l’équipe doit se battre pour l’impression de chaque numéro. «Quand il y a de gros écarts entre les numéros, c’est surtout pour des problèmes financiers, parce qu’il fallait imprimer. Il fallait trouver un mécénat quelque part et comme nous avions les têtes dures, les festivals ne nous faisaient pas confiance. Parce qu’on pouvait dans un papier sur un festival critiquer le festival[45] alors qu’il nous sponsorisait».

Dans le numéro 9, une annonce s’adresse aux lecteurs qui rappelle que la revue ne se finance que par ses sympathisants «vous et les autres». Qu’elle est et veut rester indépendante, qu’elle n’a aucune relation avec aucun État du Tiers-Monde ou de l’Occident, ni avec les «nouveaux riches» et qu’elle ne veut «s’inféoder à aucune politique».

Et de cela : elle en paiera le prix.

«Cette revue est en danger de mort» titre l’éditorial du numéro 12, en août 1979. Ce sera le dernier numéro. CinémArabe n’a pas survécu à sa volonté d’indépendance et d’autofinancement. «On était passionnés. Mais nous n’étions pas des bons gestionnaires. Nous faisions tout nous-mêmes. À la fin nous avions des dettes, alors que nous étions déjà très précaires. Il fallait arrêter» raconte Magda Wassef. Les abonnements sont devenus insuffisants, et sans financements de l’État ou sponsors privés, la revue ne peut plus continuer. L’équipe n’a jamais cherché à se professionnaliser : «C’était un rêve. On ne cherchait pas à gagner de l’argent. On cherchait à faire fleurir des idées». Mais la fin des années 1970 marque également la fin d’une époque. «C’était très difficile, n’oublions pas que nous étions des immigrés» précise Khayati quand il évoque les difficultés administratives et financières rencontrées tout au long de l’aventure. Et les nouvelles politiques migratoires à la fin des années 1970 ne viennent pas arranger les choses.[46]

TOUT EST POSSIBLE

Pendant quatre ans, et jusqu’à son dernier numéro, CinémArabe a agi comme une plateforme active de circulations des idées et désirs de révolution cinématographique tri-continentale. Elle est restée totalement indépendante, engagée dans la «défense des cinéastes assiégés chez eux et ailleurs», et «pour la promotion des films au service de la reconquête de soi». «CinémArabe donne la preuve que TOUT EST POSSIBLE» peut-on lire dans l’adresse aux lecteurs du numéro 9.

Aujourd’hui, lire (et faire lire) CinémArabe, c’est tenter de prolonger ce combat – toujours d’actualité – pour la défense des cinématographies considérées fragiles, et longtemps négligées, et permettre la circulation de ces récits.

  • [1] Khémais Khayati. Entretien avec Léa Morin et Marie Pierre Bouthier. Zoom. 18 mars, 2021.
  • [2] Pour en savoir plus : Faligot Roger, 2013, Tri-continentale. Quand Che Guevara, Ben Barka, Cabral, Castro et Hô Chi Minh préparaient la révolution mondiale (1964-1968), Paris, Éditions La Découverte.
  • [3] À l’Université libre de Vincennes ou à la Sorbonne Nouvelle notamment.
  • [4] Magda Wassef. Entretien avec Léa Morin. Paris, 29 avril, 2023.
  • [5] Ahmed el Maânouni. Entretien avec Marie Pierre Bouthier. Casablanca. Octobre, 2021
  • [6] Guy Hennebelle, «Faire entendre une autre voix dans la critique internationale», Le Monde, 22 avril, 1976.
  • [7] UCAC, «Pour une nouvelle critique arabe», CinémArabe, no.1 (1975) :1
  • [8] Guy Hennebelle, «Faire entendre une autre voix dans la critique internationale», Le Monde, 22 avril, 1976.
  • [9] «Éditorial : Les Trois collectifs», Cinémarabe, no. 3 (mai juin 1976) : 2.
  • [10] Pour lire plus : CinémAction, N°10, Cinéma d’avant-garde (expérimental et militant), Guy Hennebelle et Raphaël Bassan, 1980.
  • [11] Ahmed el Maânouni. Entretien avec Marie Pierre Bouthier. Paris. Octobre, 2021.
  • [12] Heiny Srour, «Pour l’abolition de la distinction : producteur/distributeur/cinéaste/critique», CinémArabe, no. 7_8 (janvier février mars avril 1978) : 15.
  • [13] Heiny Srour, «Pour l’abolition de la distinction : producteur/distributeur/cinéaste/critique», 15.
  • [14] UCAC, «Editorial : Les Trois collectifs», Cinémarabe, 2.
  • [15] Abdou Achouba, Khémais Khayati, « Mise au point… en toute Clarté », CinémArabe, no. 3 (mai, juin1976) : 23.
  • [16] Abdou Achouba, Khémais Khayati, «Mise au point… en toute Clarté», CinémArabe, no. 3 (mai, juin1976) : 23.
  • [17] À cette période, Khayati commence à travailler pour France Culture, ainsi que pour un hebdomadaire palestinien Youm Al Sab3 (7ème jour). Il finalise également son doctorat sur le cinéma de l’Égyptien Salah Abu Seif (soutenu en 1980), il co-signera également un ouvrage sur le cinéma en Palestine avec Guy Hennebelle La Palestine et le Cinéma en 1977
  • [18] Correspondance avec l’équipe du projet C3, octobre 2023
  • [19] Magda Wassef, Martine Encoignard, «Festivals : De Berlin jusqu’à Utrecht», CinémArabe no. 7_8 (janvier, février, mars, avril 1978) : 49.
  • [20] Magda Wassef, «Entretien avec Souleymane Cissé», CinémArabe, no. 10_11 (août, septembre, octobre, novembre 1975) : 44.
  • [21] Abdoul War. Entretien avec Léa Morin. Entretien personnel. Paris, 29 avril, 2023.
  • [22] Wassef, «Entretien avec Souleymane Cissé», 44.
  • [23] Comité d’intervention de CinémArabe, «Cinéma National Indépendant», CinémArabe, no. 6 (mars, avril 1977) : 3.
  • [24] Khémais Khayati, Magda Wassef, «Je veux déranger. Entretien avec Youssef Chahine», CinémArabe no.12 (juillet, août 1979) : 7.
  • [25] Abdelaziz Al-Farouk, «Entretien avec Tawfiq Salah», CinémArabe, no.9 (juin, juillet 1978) : 54.
  • [26] Elias Aïssi, Magda Wassef, Abdou Achouba, «Dariush Mehrjui : La parole d’un auteur. Entretien avec le cinéaste», CinémArabe, no.9 (juin, juillet 1978) : 17.
  • [27] Wassef, «Entretien avec Souleymane Cissé», 44.
  • [28] En parallèle de la 4ème Conférence des pays non-alignés en septembre 1973 et du programme de film «Le cinéma, une arme» à la Cinémathèque algérienne.
  • [29] Fernando Solanas, «Décoloniser l’image» in, Los cinemas nacionales contra el imperialismo de Hollywood : nuevas tendencias del cine mundial, ed. Guy Hennebelle (Valence : Fernando Torres, 1977), préface.
  • [30] Fernando Solanas, Octavio Getino, «Vers un troisième cinéma» in Cine, Cultura y Descolonización (Buenos Aires : Siglo Veintiuno, 1973), 55.
  • [31] Wadi Bouzar, «Pour une autre voix», CinémArabe, no.9 (juin, juillet 1978) : 4.
  • [32] Jorge Sanjines, «Pour un cinéma révolutionnaire et populaire», CinémArabe, no. 4-5 (octobre, novembre 1976) : 27.
  • [33] Ahmed El Maanouni, «Pour la liberté d’expression», CinémArabe, no. 6 (mars, avril 1977) : 44.
  • [34] Brahim Berkati, «Déplacements, suspensions et licenciements s’érigent-ils en force de loi dans la culture en Algérie ?», CinémArabe, no. 6 (mars, avril 1977) : 43.
  • [35] UCAC, Collectif CinémArabe, «Une critique nouvelle pour un nouveau cinéma : rapports entre la critique arabe (Tiers-Monde) et la critique occidentale», CinémArabe, no. 7_8 (janvier, février, mars, avril 1978) : 7.
  • [36] «Sionisme = racisme et impéralisme, Palestine Vaincra», CinémArabe, no.6 (mars, avril 1977) : 45.
  • [37] HAli Akika, «Nouvelles du Tiers Monde», CinémArabe, no.9 (juin, juillet 1978) : 34.
  • [38] Le Groupe Cinéma Vincennes, constitué d’enseignants et de cinéastes, a réalisé le film L’Olivier (1976) consacré au combat du peuple palestinien.
  • [39] Heiny Srour, Paroles…elles tournent (Paris : Collectif des femmes de Musidora, 1979), 136.
  • [40] Heiny Srour, Salma Baccar et Magda Wassef, «Manifeste. Pour l’auto-expression de la femme arabe», CinémArabe, no.10_11 (août, septembre, octobre, novembre 1978)
  • [41] Heiny Srour, «Pour l’abolition de la distinction : producteur/distributeur/cinéaste/critique», 15.
  • [42] Wadi Bouzar, «Pour une autre voix», CinémArabe, 4.
  • [43] On les retrouve parfois aussi dans les brèves comme en fin de la revue 7-8 où les films marocains de deux membres du Comité, Maânouni et Achouba sont annoncés.
  • [44] Ahmed El Maanouni, «Larmes de crocodile», CinémArabe, no. 6 (mars, avril 1977) : 44.
  • [45] Connemara, «À propos du festival des arabes de Paris», CinémArabe, no.6 (mars, avril 1977) : 54
  • [46] 1974 : le gouvernement Valéry Giscard d’Estaing décide de suspendre l’immigration des travailleurs et des familles extracommunautaires.

Texte à retrouver sur https://www.zine-eskola.eus/en/cinemarabe, ainsi que l’intégralité des revues de la collection CinémArabe numérisées et en téléchargement libre, et d’autres éléments (photographies, filmographie, etc) liés.

Un projet de Elías Querejeta Zine Eskola (EQZE) dans le cadre du projet C3. Non-aligned film archives», en partenariat avec Archives Bouanani et le Portail du cinéma tunisien (www.cinematunisien.com).

Merci à Magda Wassef, Khémais Khayati, Ahmed el Maânouni, Ali Akika, Abdoul War et toutes les personnes qui ont contribué à l’existence de la revue CinémaArabe.

Merci à Marie Pierre Bouthier, Wiame Haddad, Férid Boughedir, Wassyla Tamzali, Ahmed Boughaba et Monique Martineau pour leurs contributions à ce projet, et spécialement à Mohamed Khiri. In memoriam Khémais Khayati (1946-2024).

Source : https://www.zine-eskola.eus/en/cinemarabe


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