RIDHA BACCAR, JEUNE CINÉASTE, DÉCLARE : «LE CINÉMA NE S’APPREND PAS DANS LES ÉCOLES»

Ridha Baccar est un jeune cinéaste tunisien qui débute comme amateur en réalisant un film, «Le Chanvre», qui a retenu l’attention à Kélibia. Il a alors obtenu une bourse et il est allé à Paris pour étudier le cinéma à l’IFC. Après deux ans d’études, il est revenu de France et il a assisté le réalisateur de «Mendiants et orgueilleux». Nous lui avons posé une série de questions afin que nos lecteurs soient informés sur l’état d’esprit de certains jeunes cinéastes tunisiens qui veulent faire entendre leur voix.

Peux-tu nous parlez des conditions de tournage de «Mendiants et orgueilleux» ?

  • Effectivement le tournage de ce film était une rencontre entre des orgueilleux et des mendiants. En ce qui me concerne, j’étais tantôt mendiants, tantôt orgueilleux. Mon travail d’assistant se limitait à la bonne marche du tournage, sans aucune préoccupation idéologique ou autre. Je savais ce qui m’attendait en signant le contrat et en lisant le scénario qui était très faible. De toutes façons, j’ai appris comment faire pour ne pas tourner un mauvais film. Et c’est déjà beaucoup, car le rythme du travail souffrait de certaines frictions heureusement parfois aplanies avec du doigté. À partir de ce film, j’ai conclu que les Tunisiens aidaient les étrangers afin que ces derniers fassent leur premier film en Tunisie. Dans ce même film, les postes les plus importants sont occupés par les Français. Le réalisateur est français, de même que le caméraman qui a toujours refusé les services d’un cadreur tunisien. La script (d’ailleurs gentille) était de même nationalité que le réalisateur. Le chef électricien et le «chef» clapman aussi. En ce qui concerne ce dernier, il est honteux qu’on paye un «technicien» étranger pour s’occuper du clap (morceau de bois noir sur lequel on inscrit le numéro des plans). Grâce à nous, ce «chef clapman» peut obtenir en France une carte professionnelle. Un seul point positif, c’est que différents chômeurs tunisiens peuvent gagner un peu de sous sur ce film… Nous devons arriver à réformer cette situation dans l’union et la clarté…

Que penses-tu des écoles de cinéma ?

  • Je pense que le cinéma ne s’apprend pas uniquement dans les écoles. Une bonne formation intellectuelle est indispensable. Cela éviterait les mélodrames et les faux films de «gôche»… Le diplôme que j’ai obtenu à Paris me permet uniquement de prouver que j’ai appris les éléments essentiels du tournage d’un film. Mais ce qui était positif, c’étaient les différents contacts et la possibilité pour moi de voir beaucoup de films de très grande valeur. De toutes façons je ne peux pas dire que je suis réalisateur, car on n’a fonction de réalisateur que pendant le tournage d’un film.

As-tu des projets ?

  • Je compte travailler sur trois niveaux : j’aiderai n’importe quel réalisateur à achever un bon film. Je lutterai au sein du syndicat et de l’association pour l’intérêt exclusif d’un cinéma tunisien de bonne qualité. Et enfin j’essaierai de faire un travail collectif dans un groupe de réalisateurs qui fera un cinéma clair et honnête. Enfin tout cela reste à prouver. Car il existe une très grande différence entre la parole et l’action. De toutes façons, quand je parle d’un projet, je prends beaucoup de précautions car nous avons la mauvaise habitude de vivre dans des rêves qui ne sont jamais réalisés. Les cinéastes tunisiens, à mon humble avis, ne doivent pas parler du cinéma, mais le faire, car l’action est le dernier test de notre authenticité. J’espère de toutes les manières que le cinéma tunisien trouvera une voie qui n’ait aucune parenté avec la mystification, ni avec l’esprit de vedettariat. Il ne faudrait pas accorder plus d’importance à un cinéaste qu’à tout producteur intellectuel, il faut tuer les légendes…

La Presse du 14 novembre 1971


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