HÉDI KHELIL, UNIVERSITAIRE ET SPÉCIALISTE DU CINÉMA TUNISIEN

Propos recueillis par Sayda BEN ZINEB – Le Temps du 5 janvier 2007

Parmi les conférenciers qui ont participé à la rencontre du Kef, Hédi Khélil, journaliste et universitaire, critique et enseignant de littérature et de cinéma qui a publié plusieurs livres et études sur l’image et l’analyse filmique.
Son dernier ouvrage publié à compte d’auteur à la fin de l’année écoulée s’intitule «L’abécédaire du cinéma tunisien», dont la traduction en arabe sera fin prête lors des prochaines JCC (2008) Hédi Khélil prépare actuellement un ouvrage sur le football tunisien.

Nous avons profité de sa présence au centre national des arts dramatiques et scéniques pour lui poser ces quelques questions.

Vous voilà au Kef, Hédi Khélil ! Quel bon vent vous amène ! Est-ce votre première visite dans la région ?

– A vrai dire, ma première visite au Kef remonte à plusieurs années, précisément, 31 ans.
C’était à l’occasion d’une enquête dont j’ai été chargé par le journal le Temps, sur les salles de cinéma au Kef et à Jendouba. Et puis, j’ai été sollicité à maintes reprises par le maître des lieux, Lassaâd Ben Abdallah, seulement, j’étais très occupé par plusieurs travaux, essentiellement d’ordre académique.

Après cette longue absence, quelles en sont vos impressions car la région du Nord-Ouest tunisien a son charme particulier ?

– C’est une région magnifique, on sent qu’elle a une âme mais elle est inexplicablement délaissée.
Si on pouvait organiser un tour cycliste international ou bien une activité d’envergure similaire à celle de Douz dans le sud, pour concrétiser un peu ce que l’on appelle le tourisme culturel…
Je pense qu’il est inconcevable que les bus des touristes s’arrêtent à Dougga et ne viennent pas au Kef alors que c’est une région fascinante par ses hauteurs verdoyantes, par ses mets typiques et par l’enthousiasme qui anime beaucoup de bonnes volontés qui voudraient faire quelque chose ici.
Lassaâd Ben Abdallah, qui est originaire de la Marsa est entièrement sous le charme de cette région et ce qui est en train d’être fait au centre national des arts dramatiques et scéniques du Kef, avec les moyens du bord, c’est vraiment titanesque, une grande salle de projections qui peut être la scène la plus grande au niveau de toute la République, des activités culturelles soutenues et puis surtout, un travail d’équipe.

Que remarqueriez-vous de particulier par rapport aux activités du centre ?

– Il y a une qualité et des vertus qu’on trouve rarement ailleurs, à savoir, le sens de la convivialité et un esprit de communication dans les débats et les conférences débarrassées des pesanteurs de l’académisme et du monologue à prétention scientifique.
Lassaâd Ben Abdallah, homme de culture dans le sang et praticien avisé y est beaucoup dans l’enracinement d’un tel état d’esprit. Les gens parlent en dialecte tunisien, en français, en arabe, en kéffois et ça passe bien parce que l’ambiance n’est pas guidée.

Comment conceviez-vous la réussite d’une rencontre ? Celle du Kef répond-elle à vos aspirations ?

– La vitalité et la réussite d’une rencontre sont à mon avis tributaires des supports filmiques ou dramatiques sollicités en fonction de la thématique proposée. Moins on bavardera et parlotera, plus on aura des chances d’intéresser le public et de le faire participer au débat. Plus on a recours à une diversité du support et des pratiques concrètes, plus on aura la possibilité d’engager un débat en connaissance de cause et plus on pourra se remettre en question à la lumière des supports utilisés dans ce genre de circonstances.
Les longues conférences, les interminables communications, le marketing national et conceptuel fatiguent de plus en plus les gens qui n’ont plus  ni la patience nécessaire, ni la capacité d’assimilation suffisante pour supporter de telles contraintes.
Ce qui est tonifiant et stimulant dans les rencontres du centre du Kef, c’est qu’on est en famille et que les gens disposent d’une liberté de manÏuvre pour intervenir à tout moment, interpeller un intervenant ou pour amortir le trop plein de théorisation afin de ramener la rencontre à ce qui est essentiel, à savoir, l’expérience concrète, la pratique théâtrale ou cinématographique de tous les jours avec ses réussites et ses limites.
S’il y a donc des comédiens, des cinéastes des scénaristes, des dramaturges dans cette rencontre sur le « théâtre fête le cinéma » c’est tout à fait dans l’ordre naturel des choses, la présence de telles personnes est nécessaire pour nuancer, témoigner et proposer d’éventuelles solutions à la question par exemple celle de l’interprétation dans le cinéma et au théâtre.

Evoquant la situation actuelle du cinéma tunisien, vous avez parlé dans votre communication de l’effervescence du cinéma documentaire pour aboutir à deux grandes questions : où commence le théâtre et où finit la vie ?

– Mon idée principale de mon intervention, c’est qu’on ne peut plus juger le cinéma tunisien ou l’évaluer à travers le seul prisme des longs-métrages de fiction.
Ce qu’il y a de fort actuellement dans le cinéma tunisien, c’est surtout dans les films documentaires qu’on le trouve.
Dans ce genre de films génèrent beaucoup d’imaginaire, la question de la différence entre acteur professionnel et acteur non professionnel n’a plus aucune raison d’être.
Les meilleurs acteurs actuellement sont ceux qu’on trouve dans les films de Hmida Ben Ammar, Abdelhafidh Bouassida, Hichem Ben Ammar ou Fitouri Belhiba.
N’oublions pas que Yacoub Bechir qui joue le rôle de Levy dans «l’homme de Cendres» de Nouri Bouzid a été tout d’abord filmé par le documentariste A. Bouassida dans un film superbe réalisé en 1984 «Jerba, l’île de Lotus».
C’est vraiment le documentaire qui est maintenant au coeur même de la modernité puisqu’en même temps qu’il construit la réalité, la déconstruit également et rend fragiles et arbitraires les frontières qu’on veut établir entre réel et fiction ainsi qu’entre acteurs amateurs et acteurs professionnels.

Si vous vous expliquiez davantage en terme d’exemple concret

– Dans un documentaire poignant, émouvant qui vient d’être terminé par le jeune réalisateur Nader Karrout, intitulé «La déesse chauve», sur les derniers jours de Mounira Dhaoui, chanteuse bédouine de grand talent, originaire de Gafsa et atteinte d’un cancer généralisé décédée à l’âge de 40 ans en 2005, la question de la distinction entre la vie et l’art, devient tout à fait dérisoire.
En effet, Mounira Dhaoui, quelques jours avant sa mort, émet le vœux de chanter une dernière fois devant un public et en compagnie d’une troupe musicale. La dernière représentation théâtrale qu’a accomplie une artiste contrairement aux consignes des médecins traitants, c’est de jouer son propre rôle dans le film et de permettre qu’un jeune réalisateur tourne sa mort. Dans «La Déesse chauve» Mounira Dhaoui est-elle la personne qui s’apprête à s’éteindre ou la comédienne qui fait offrande de son propre corps à la caméra ?

Propos recueillis par Sayda BEN ZINEB

Source : Le Temps du 5 janvier 2007


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