ZAINEB N’AIME PAS LA NEIGE, DE KAOUTHER BEN HENIA : FRAÎCHEUR ET ÉMERVEILLEMENT

Par Abdelfatteh FAKHFAKH – Écrans de Tunisie – février 2017

Il est des films – tel que «Zaineb n’aime pas la neige» – qui vous surprennent par leur fraîcheur et par leur simplicité, telle que la poésie d’un Sghaïer Ouled Ahmed, ou d’un Paul Verlaine.

Ce n’est pas peu dire. Derrière cette simplicité formelle apparente se profilent une qualité d’observation et d’écoute du réel, et la capacité de sa restitution poétique qui en disent long sur le talent et le savoir-faire de la réalisatrice Kaouther Ben Hénia, à qui revient le mérite d’avoir donné naissance à ce film.

«Zaineb n’aime pas la neige» honore le cinéma tunisien. J’ai tout aimé dans ce film, et même s’il avait des maladresses que je n’ai pas repérées, j’ai dû les aimer aussi, sans le savoir. Mais peut-on faire cet éloge sans saluer en même temps un homme, tout aussi jeune que la réalisatrice, et qui a pris le pari de la soutenir dans cette aventure, tout à fait risquée, à savoir le jeune producteur tunisien Habib Attia de «Cintelefilms» ?

Comment faire face à l’imprévu?

Nous sommes en 2009, en Tunisie. Zaineb Khlifi a neuf ans. Elle vit avec sa mère Wided et son petit frère Haythem à Tunis. Son père est décédé dans un accident de voiture. Sa mère compte refaire sa vie avec un homme, Maher Hamdi, un amour de jeunesse, qui vit au Canada et qui est père d’une petite fille, Wejdane, fruit d’un premier mariage avec une femme canadienne dont il a divorcé.

Zaineb est fort attachée à sa mère et à la mémoire de son père. Elle ne regarde pas d’un bon œil le projet d’union entre sa mère et Maher et a peur que celui-ci la lui vole. Elle rejette de toutes ses forces l’idée de partir au Canada, pays où elle, son frère et sa maman devraient aller pour y vivre avec Maher et sa fille Wejdane. On a dit à Zaineb que là-bas elle pourra enfin voir la neige, mais Zaineb n’en a cure, elle n’aime ni le Canada et encore moins «sa» neige !

Le film s’ouvre sur des moments fort émouvants où Zaineb, après une vaine résistance à l’union de sa maman avec Maher, se résigne à plonger dans l’inconnu et à vivre un bouleversement que les adultes lui ont imposé et auquel elle n’a pas été préparée : quitter un milieu de vie familier, auquel elle a été toujours habituée, pour s’exiler et s’adapter à une situation inédite, dans un pays lointain et étranger dont elle ne connait rien ou presque, avec une maman qui ne lui « appartient » plus – et cohabiter avec une jeune fille, certes de son âge, mais avec qui elle partage peu de choses et qui demeure fort différente d’elle.

Des personnages attachants, pris dans la tourmente

Arrivés à ce stade du film, on est séduit, on s’accroche, on est tout à fait attaché à Zaineb, cette petite fille qui, mine de rien, prend le devant de la scène…et s’impose comme l’héroïne du film.

Cela ne veut pas dire pour autant que les autres personnages nous sont indifférents. Wided, la maman et la femme amoureuse, en quête d’une «résurrection», et portée à faire un saut périlleux autant que son mari Maher. Les deux endossent une grande responsabilité en fondant ce nouveau foyer, et doivent veiller au bonheur de tous, tant celui de la nouvelle compagne ou du nouveau compagnon, que de son ou ses enfants.

Wejdane, la fille de Maher, née et élevée au Canada, avec un père tunisien et une mère canadienne, confrontée à un «envahissement» dans son espace intime et qui doit, elle aussi, s’adapter à la nouvelle donne familiale.

Elle découvre au fil des jours, à travers les yeux et les propos de Zaineb, une culture qui lui parait par moments «inaccessible, «incompréhensible» et surtout une classification entre les bons (les «musulmans», les «bien-aimés» de Dieu) et les autres, les «impies» (autant dire la majorité des gens au Canada, dit-elle) rejetée par Dieu et «vouée» à l’enfer !

Reste le petit Haythem, le frère de Zaineb, qui n’est pas au devant de la scène mais qu’on prend lui aussi en affection, car il essaie lui aussi de retrouver des repères dans une situation qui est changeante, pénible et tout aussi douloureuse.

Donner la parole aux enfants

Kaouther choisit de donner la parole aux enfants, elle en restitue les échanges, les coups de gueule, les silences, les moments intenses mais aussi les moments plats et creux, les moments où il ne se passe rien, sans faux semblants, sans édulcoration.

Mine de rien, les enfants discutent de tout, débattent de sujets graves dont les adultes débattent eux aussi : de la crise d’identité, de la religion, mais aussi d’autres sujets qui les interpellent en particulier : la mort, la vie au-delà, les rapports entre les filles et les garçons. Ils font part de leur point de vue, lequel recoupe parfois avec celui de leur milieu culturel et de l’environnement dans lequel ils ont évolué.

Wejdane et Zaineb en s’affrontant font ressortir deux personnalités, autant différentes qu’attachantes, porteuses de deux discours, par moments, antinomiques : l’un, ouvert et universaliste, celui de Wejdane, de l’autre un discours conservateur et conformiste frôlant l’«ethnocentrisme».

Le film va suivre les cinq protagonistes, dont Zaineb et Wejdane, en avant plan, sur une période s’étalant sur six années. Il donne à voir des scènes vraies et vécues, profondément «émouvantes», «volées» au réel, des moments où les personnages à portée de caméra en oublient l’existence, se laissent «vivre», «filmer», portés par le cours de la vie avec ses soubresauts et ses tumultes, ses moments heureux et moins heureux.

Filmer l’intimité d’une famille et questions d’ordre éthique

Quand on découvre que le film est le vécu, «vrai de vrai» des personnages qui nous sont donnés à suivre, on peut se poser la question de savoir jusqu’à quel point on peut pénétrer dans l’intimité d’une famille et s’il y a des limites à ne pas franchir par pudeur ?

Kaouther Ben Hénia n’a pas esquivé ces questions, elle y a réfléchi, affirme-t-elle, dès qu’elle a entamé le film. Elle s’est interrogée sur ce qu’elle a le droit de filmer, comment le filmer, quelles sont les lignes à ne pas franchir, comment ne pas tomber dans le voyeurisme. «Bref, j’étais tout le temps sur le fil du rasoir. Comme j’avais conscience de tous ces éléments, il était nécessaire pour moi de montrer le film une fois terminé à mes personnages, d’avoir leur retour car au final il s’agit de leur vécu» (1). Ce qui aura aidé la réalisatrice dans son projet et lui a servi d’aiguillon est qu’elle a choisi «d’adopter le point de vue des enfants… pour être dans la poésie et l’émerveillement propre à cet âge» (2).

 Source :

  • http://www.zoopolis.tv/
  • Idem

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