Par : Mouldi FEHRI – cinematunisien.com – Paris, le : 19.09.2022
Enfin ! Après une absence de deux ans, suite à la crise sanitaire du Covid, le Festival International du Film Amateur de Kélibia (dans sa 35ème édition – FIFAK-2022) a pu avoir lieu, comme prévu, du 13 au 20 août 2022, retrouver son public habituel et redonner le sourire à tous les passionnés du 7ème Art.
Quelques impressions sur cette 35ème édition du FIFAK :
L’avantage d’une telle manifestation, c’est qu’elle vous permet, en un temps relativement court, de faire pas mal de rencontres et de retrouvailles, voire même de nouer de nouvelles relations. C’est également une occasion inoubliable dont on garde en mémoire plein d’images et de souvenirs, bien sûr des films qu’on a vus et parfois appréciés, mais aussi des personnes croisées et des échanges auxquels on a pu assister ou prendre part.
Enfin, on en revient inévitablement avec quelques impressions sur ce qu’on a pu voir, constater ou ressentir.
En voici quelques-unes :
- 1- Un cadre toujours agréable et accueillant : la ville de Kélibia (pour l’ensemble des activités), son théâtre de plein air (pour la projection des films) et son école des pêches (pour les débats, conférences et expositions).
- 2- Un public en or, avide d’activités culturelles et surtout de cinéma, toujours présent au rendez-vous, dans un théâtre de plein air régulièrement archicomble, alors que les entrées sont tout de même payantes (2 DTN par personne). Ne maquant pratiquement aucune séance de projection tout au long du Festival, beaucoup de spectateurs n’hésitent même pas à rester jusqu’à des heures assez tardives. L’unique regret, à ce niveau, c’est que cette grande fête du cinéma se limite à la seule période du Festival et que le reste de l’année c’est le vide total. Car, que fait-on, en dehors de cette formidable occasion, pour offrir au public la possibilité de voir régulièrement des œuvres cinématographiques de qualité ? À priori rien de significatif, ou presque. Et le pire, c’est que la question comme la réponse ne concernent pas la seule et unique ville de Kélibia, mais, malheureusement, l’ensemble du territoire national.
- 3- Un programme riche et varié, composé de toutes sortes d’activités, au point d’apparaître un peu trop surchargé (?). Car, malgré une volonté évidente de réorganisation et d’amélioration, surtout au niveau des compétitions proposées, on sent que les forces sont un petit peu dispersées et que les festivaliers n’arrivent pas à être partout à la fois.
- 4- Des festivaliers actifs et en grand nombre, avec un heureux mélange de cinéastes amateurs des différents clubs de la FTCA, de cinéastes indépendants, d’élèves et d’enseignants des écoles de cinéma, de cinéphiles et de journalistes. Seul bémol, c’est que pour un festival international aussi connu que le FIFAK, la participation et surtout la présence physique des cinéastes amateurs étrangers a été relativement modeste. On ignore, à vrai dire, les raisons de cette regrettable défaillance (peut-être est-elle due aussi aux suites de la crise sanitaire ?), mais elle reste tout de même assez désolante.
- 5- Deux conférences d’un grand intérêt ont eu lieu, à l’occasion du 60ème anniversaire de la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA), autour des deux thèmes suivants :
- a. «Pour une nouvelle approche de l’histoire du mouvement des cinéastes amateurs»,
- b. «Le film amateur entre l’engagement social et les préoccupations esthétiques».
Seulement, force est de constater que ces deux conférences n’ont été suivies que par un nombre relativement limité de participants, essentiellement d’anciens cinéastes amateurs, des cinéphiles et des journalistes. Par contre, ont brillé par leur absence les personnes sensées être les plus concernées par ces thèmes, à savoir les jeunes cinéastes amateurs, au motif (paraît-il) que certains d’entre eux devaient participer à des ateliers ou à d’autres activités similaires. Quant au reste des festivaliers (non concernés donc par ces activités), personne ne sait pour quelle raison ils n’étaient pas là. Ont-ils été mal (ou peu) sensibilisés à l’importance de ces sujets, ou bien n’accordent-ils aucune importance à l’histoire de la FTCA ? Dans un cas comme dans l’autre, leur absence est un mauvais signe et serait, pour le moins, inquiétante pour l’avenir de la fédération.
Et justement, en parlant d’avenir, il convient de signaler que les deux conférences ont mis l’accent, entre autres, sur la nécessité et l’urgence pour la FTCA d’accorder une attention particulière à la question de l’archivage de ses différents documents écrits et surtout à la numérisation et la sauvegarde de l’ensemble des films produits par les cinéastes amateurs au cours des 60 années d’existence du mouvement. Pour cela, quelques solutions ont été évoquées à titre d’exemple, comme la possibilité de profiter du travail déjà entamé dans ce domaine par le site «cinematuinsien.com», pour le compléter et contribuer à le renforcer. De la même façon, il a été suggéré d’associer à ce travail à la fois les services de la Bibliothèque nationale, ceux du Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI) et plus particulièrement de la Cinémathèque tunisienne. Et pour s’entourer des meilleures conditions de réussite, il va de soi que les autorités publiques tunisiennes doivent être sensibilisées à ce projet, en espérant qu’elles acceptent d’octroyer à la FTCA une aide financière spécifique, pour lui permettre de mener à bien cette tâche de sauvegarde d’une partie non négligeable de notre patrimoine culturel.
- 6- Une compétition marquée par une baisse préoccupante du nombre de films présentés par les adhérents de la FTCA (5 films en tout), au profit d’un grand nombre de films réalisés par les indépendants ou les élèves des différentes écoles de cinéma. En même temps, cette tendance s’accompagnerait, semble-t-il, d’un recul au niveau du nombre d’adhérents au sein des clubs de la fédération (environ 18 clubs seraient encore en activité). Ce qui est loin d’être rassurant et pourrait même constituer un mauvais révélateur sur l’évolution récente et à venir de la FTCA. Il y a là, à coup sûr, un sujet d’une grande importance et qui mérite, pour le moins, une longue et sérieuse réflexion, car il en va de l’avenir du mouvement des cinéastes amateurs et de son organisation nationale, au moment où elle fête son 60ème anniversaire.
- 7- Un mouvement qui serait menacé de marginalisation ( ?) : à un moment où les nouvelles technologies (notamment dans le domaine de l’audiovisuel) connaissent des développements de plus en plus rapides et impressionnants, ainsi qu’une baisse récurrente de leurs prix, l’avenir de la FTCA (comme on vient de l’évoquer) et la spécificité-même du cinéma amateur pourraient, paradoxalement, connaître quelques difficultés.
En effet, avec d’une part ce développement et cette démocratisation des outils audiovisuels (dont on ne peut que se réjouir) et d’autre part, la possibilité pour chacun d’obtenir, sous certaines conditions et à titre individuel, des aides financières substantielles pour la réalisation d’un film, il n’est plus étonnant de voir un bon nombre de cinéastes «amateurs» se détourner des clubs de la FTCA (qui peuvent leur paraître assez rigides), pour s’affirmer à titre personnel et en toute liberté, comme des cinéastes «non professionnels» indépendants. D’ailleurs, quand on voit le nombre de films amateurs présentés ces dernières années au FIFAK par des indépendants, on se rend compte qu’on n’est plus vraiment en présence d’un phénomène ponctuel (ou d’une simple mode passagère), mais bel et bien de l’apparition d’une nouvelle catégorie de cinéastes à part entière, appelée à se développer dans les années à venir en Tunisie et dont il va falloir, dorénavant, sérieusement se préoccuper. Ceci étant, il est bien évident que cette apparition des indépendants (qui ont, par ailleurs, toujours existé dans d’autres pays du monde) est loin d’être un fait négatif en soi et pourrait à la longue permettre à certaines personnes de développer leurs propres compétences individuelles et de s’illustrer plus tard avec des films de grande qualité qu’on ne pourrait qu’applaudir. Mais, ce qui pourrait poser problème dans un proche avenir, c’est qu’en l’absence de tout encadrement, l’émergence de cette catégorie de cinéastes et son développement finissent par entraîner : - d’une part une confusion totale entre des statuts jusque-là différents et distincts les uns des autres (Amateurs / Professionnels / et / Indépendants)
- et d’autre part une marginalisation progressive (et probablement souhaitée par certains milieux) de la FTCA, dans sa conception et forme d’organisation actuelles, ainsi que dans son engagement en faveur d’un cinéma national, populaire et indépendant, antithèse du cinéma commerçant.
En envisageant un scénario aussi catastrophique (et un peu provocateur), on espère bien entendu être complètement dans l’erreur. Car dans le cas contraire, il serait à craindre que la FTCA se transforme progressivement en une sorte de coquille vide, avec des clubs dont le nombre d’adhérents se réduirait de plus en plus, au profit d’un nombre toujours plus grand de cinéastes amateurs indépendants. Auquel cas la FTCA n’aurait alors aucun moyen, ni droit, d’empêcher ces derniers de vouloir travailler en toute indépendance et en dehors de toute structure, à commencer par la sienne. On risquerait aussi et par la même occasion de voir le Bureau Fédéral de la FTCA lui-même se cantonner, petit à petit, dans un rôle de simple «Comité de préparation et de direction du FIFAK», sans aucune autre activité significative en cours d’année et avec, en plus, la fâcheuse perspective de ne pouvoir présenter au Festival aucun film réalisé par des adhérents de la FTCA.
Toutes ces «éventualités» qui peuvent paraître alarmistes, sont d’autant plus importantes que la définition même du cinéaste amateur semble être, aujourd’hui, une notion de plus en plus ambiguë, malléable à volonté et permettant par voie de conséquence toutes sortes de confusions. C’est ainsi, par exemple, que mettre sur le même pied d’égalité, ne serait-ce qu’au niveau du FIFAK, les adhérents d’un club de la FTCA avec les élèves d’une école de cinéma, ou encore des indépendants pouvant disposer de moyens matériels et financiers parfois importants, c’est à la longue la meilleure façon d’affaiblir le mouvement des cinéastes amateurs tel qu’il a été, jusque-là, imaginé, conçu et développé en Tunisie. En disant cela, on ne cherche évidemment pas à condamner ce mouvement à un quelconque immobilisme ou à le figer dans une forme et une conception archaïques et immuables. Au contraire, toute réflexion (ou proposition concrète) pouvant le faire avancer et évoluer vers une situation plus conforme aux derniers développements, notamment sur le plan technologique, serait la bienvenue. Mais, cela ne devrait pas, à notre avis, se faire dans la confusion, ni encore moins dans la négligence des spécificités d’un véritable cinéma amateur.
D’un autre côté, il serait bien dommage de laisser la FTCA (consciemment ou inconsciemment) se transformer en un simple tremplin qu’on utiliserait, d’une façon ou d’une autre, juste pour accéder au stade du professionnalisme. Tous ceux qui ont une telle ambition personnelle, par ailleurs tout-à-fait légitime et respectable, peuvent la concrétiser en suivant les cursus universitaires prévus pour cela. La Tunisie dispose aujourd’hui d’un bon nombre d’écoles de cinéma et ces dernières années nous ont montré, fort heureusement, qu’elles savent faire du bon travail et avoir d’excellents résultats.
Mais (faut-il le rappeler ?), adhérer à la FTCA c’est autre chose qu’une simple (mais évidemment nécessaire) recherche d’un apprentissage de la technique et de l’écriture cinématographiques, ou une aspiration probable à devenir une vedette du 7ème art. Adhérer à la FTCA c’est d’abord un état d’esprit et une prédisposition à agir dans la collégialité. C’est ensuite une aptitude à suivre et respecter une méthode rationnelle (et progressive) de «formation – production». Mais c’est aussi un engagement en faveur d’un véritable cinéma national indépendant et de qualité, ancré dans la réalité sociale du pays et opposé aux différentes formes du cinéma commerçant qui domine le marché.
- 8- Une incompréhension : lors de la séance de clôture, nous avons appris avec beaucoup de stupéfaction, que le club des cinéastes amateurs de Kélibia, n’a pas (ou plus) de local ! Information non seulement étonnante mais presque irréaliste, puisqu’il s’agit d’un des clubs les plus anciens et les plus actifs de la Fédération et qu’en plus il représente la ville qui accueille le Festival depuis sa création.
Monsieur le maire de cette agréable ville est au courant de cette situation et nous osons espérer qu’il fera tout ce qui est en son pouvoir, pour résoudre ce problème (encore une fois inadmissible) dans des délais raisonnables, surtout que la mairie de Kélibia s’est toujours illustrée par son soutien inconditionnel au cinéma amateur.
- 9- En conclusion : deux années nous séparent désormais du 60ème anniversaire du FIFAK, qui aura lieu en 2024. D’ici là, les cinéastes amateurs ont suffisamment de temps pour bien préparer (et de façon collégiale) cette importante commémoration et organiser la réflexion, entre autres, sur toutes les questions soulevées ci-dessus. Sans aucun doute, la FTCA et sa direction ont les moyens et les compétences nécessaires pour le faire et seront, logiquement, bien au rendez-vous et à la hauteur de cet évènement historique.
M.F
Pour avoir une idée de l’ambiance générale du FIFAK 2022, vous pouvez découvrir le reportage photographique réalisé à cet effet par Mouldi FEHRI, en cliquant ici
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