LE TANIT D’OR : «LES AVENTURES D’UN HÉROS»

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Par : Slah SGHIRI – Dialogue numéro 222 du 2 décembre 1978.

Déjà dans «Omar Guetlatou», M. Alouache a laissé entrevoir, par un choix original du sujet (l’Algérien post-colonial et ses problèmes) et un style direct et dépouillé, un talent aux multiples ressources, en annonçant un cinéma dégagé des sentiers battus dans lesquels, complaisamment, les réalisateurs algériens laissaient s’user leur muse : à savoir la guerre de libération tarte à la crème. Avec «Les Aventures d’un Héros», changeant de corde et avec une maîtrise inspirée, ce jeune réalisateur confirme non seulement un talent mais fait montre d’un souffle qui, manifestement, n’a rien à envier aux plus grands des cinéastes connus pour leur don de narrateur prodigieux. M. Alouache n’a pourtant point adopté et c’est là un premier mérite quand on pense à tous ceux qui, grands ou petits metteurs en scène, n’ont finalement que – avec les films les mieux réussis – mis en image un monde déjà existant dans les écrits d’un Tolstoï ou autres génies du roman.

Parti d’une croyance populaire assez répandue dans le monde arabe – le toujours imminent retour du Mehdi «El Montadher» (Attendu) sur terre pour restaurer l’Islam et la justice – Alouache, en dépouillant cette croyance de sa dimension religieuse, lui a donné d’autres dimensions plus politiques, mieux adaptées à l’actualité du monde arabe. Mehdi est un jeune paysan, issu d’une famille pauvre qui, par une supercherie de son père et la complicité des religieux du village, se trouve obligé d’assurer des attributs mystérieux et d’assurer le rôle de prophète auquel de multiples raisons semblent le destiner. Tout est donc mis à sa disposition. Privilégié, gâté, même tous ses besoins sont alors pris en charge par tout le village.

Ses études au village terminées (dispensées par un précepteur spécialement venu pour cela), le voilà donc parti sur les routes en quête d’un plus ample savoir. Et c’est de là que de l’espoir notre héros plonge dans la désillusion. De mésaventure en mésaventure (elles sont trop longues pour être citées), Mehdi ne cesse pas de prêcher la vérité, de découvrir le mal et d’appeler à la justice. Rejeté par les uns, résistant à l’appât des autres, il découvre un monde arabe partagé par des frontières arbitraires, gouverné par des despotes aux peuples résignés à la misère, violemment matés chaque fois qu’ils se révoltent. Que peut donc faire Mehdi ? Quel moyen choisir et quel remède trouver à autant de problèmes ? Prêcher la bonne parole, inviter à la révolte armée (collective ou individuelle). Il essaye tout et échoue. Sorti de prison, de retour au pays, on le retrouve dans une réunion où, toutes les générations et sexes rassemblés participent à la discussion. Ce message est clair, c’est de la charte de la révolution algérienne qu’il s’agit (propagande ?). Mehdi a-t-il finalement trouvé la voie du salut ? C’est du moins ce que la fin du film laisse comprendre.

Démystification de la notion du héros, le film dénonce aussi toutes les croyances, sources de passivité et de vains espoirs. C’est aussi un constat négatif sur le monde arabe déchiré où se mêlent sans se nuire notes fantastiques et éléments concrets inspirés d’une réalité amère. Montage coulant, narration limpide et bien soutenue, Alouache, avec dextérité et poésie, nous réintroduit dans ce monde fabuleux des mille et une nuits, non pour endormir mais pour mieux nous secouer. Un Tanit d’Or bien mérité.

S.S.

Source : Dialogue numéro 222, du 2 décembre 1978.


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