L’HOMME QUI A VENDU SA PEAU, UNE HISTOIRE PARTICULIÈREMENT UNIVERSELLE

Par Henda HAOUALATunisie Numérique  | 21 décembre 2020

C’est une Kaouther Ben Hania qui nous revient fervente par une grande maturité cinématographique avec son 4ème long-métrage «L’Homme qui a vendu sa peau ». La cinéaste tunisienne prend le risque d’abolir les frontières du discours filmique, en proposant des découpes différentes d’un cinéma tunisien contemporain, beaucoup plus politique que moral. Dans un traitement scénaristique sans artifice, Kaouther Ben Hania explore un univers visuel très différent de ses précédents films, avec une direction d’acteurs témoignant d’une expérience cinématographique confirmée.

L’Homme qui a vendu sa peau est un film peu bavard mais très éloquent, et pas du tout formaliste. Ce film est une souffrance presque sourde, incarnée par Yahya Mahayni (Sam) dans un décor envoûtant du début jusqu’à la fin. Sam se bat comme il peut pour exister aux yeux de  Abir (Dea Liane), dans un pays qui vit les prémices d’une guerre. Un drame humain exécuté en de beaux plans, où le dialogue se fait rare et court, habillé par une musique extrêmement subtile, avec une esthétique almodovarienne suggérée maintes fois.

La beauté du film, c’est ce regard que porte la réalisatrice à un monde déshumanisé mais parfaitement « clean et beau » orchestré par des règles sociétales, nourrie intellectuellement et moralement par la beauté de l’art, une société très soucieuse et respectueuse des lois mais ô combien méprisante. Au-delà de l’histoire d’un réfugié syrien, amoureux et déchiré, de la question d’identité, de l’intégrité et de la liberté, la réalisatrice tunisienne explore un nouveau cinéma, aussi bien sur le plan technique qu’artistique.

Elle soigne dans le moindre détail ses décors et sa lumière, accordant une importance particulière aux gros plans, joue subtilement sur l’esthétique du cadre avec des reflets, des symétries de miroir créant des dédoublements de ses personnages.

Porteur d’une psyché au sein de laquelle seule sa propre identité est prise en compte, Sam ne peut se suffire à lui-même pour exister. Il doit aller puiser en dehors des frontières de son pays les modalités nécessaires à sa subsistance. Et c’est là qu’intervient la véritable donnée scénaristique du film lorsque Soraya (Monica Bellucci) avec sa présence troublante prononce cette fameuse phrase d’un grand classique du cinéma «The world is yours» (Scarface  d’Howard Hawks), une phrase devenue quasi-mythique, obsessionnelle, prononcée sûrement et froidement par la belle blonde adressée à ce réfugié syrien. Sam s’efforce d’opposer, de manière figurée et littérale, son appartenance identitaire à cette œuvre d’art gravée sur sa peau lui donnant cette liberté d’intégrer le monde à cette envie humaine de le concevoir tel qu’il aimerait qu’il se présente et en nie la triste réalité.

Kaouther Ben Hania cultive «le beau» dans son sens philosophique en le contrebalançant avec la froideur humaine. La réalisatrice laisse également en plan nos certitudes. Elle signe une fin inattendue et nous enseigne que cet homme qui a vendu sa peau garde encore pour lui ce qu’il y a de plus inestimable…

Henda Haouala – Maître de Conférences en Techniques audiovisuelles et cinéma.

Source : https://www.tunisienumerique.com/


 

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