COURTS-MÉTRAGES INSPIRÉS PAR SEMBÈNE : RELECTURE CONTEMPORAINE DE DEUX CLASSIQUES

Par – APS – 29 décembre 2020

Le défunt cinéaste Sembène Ousmane.

Les réalisateurs tunisiens Habib Mestiri et Heifel Ben Youssef proposent une relecture de deux classiques du réalisateur sénégalais Sembène Ousmane, dont Le Mandat, une manière de rendre hommage à «l’aîné des anciens», à l’occasion de l’édition 2020 des Journées cinématographiques de Carthage (JCC, 16-23 décembre). Le Mandat et Noire 2, une référence à La Noire de…, un film de Sembène (1966), font partie des six «remakes coup de cœur» de la 31° édition des JCC. Les auteurs de ces deux courts-métrages, inspirés des classiques du défunt cinéaste sénégalais, comptent ainsi saluer l’engagement et l’humanisme de Sembène Ousmane, connu avant sa mort en 2007 pour ses partis-pris militants sur les questions politiques et sociales.

Dans Le Mandat, Heifel Ben Youssef met en scène Dalel, une jeune femme qui a reçu un appel de son mari émigré clandestin en Italie, l’informant d’un mandat à envoyer par la poste. Cette promesse réveille chez la mariée l’envie d’une vie de riche, espoir amplifié par son entourage, les autres femmes du quartier qui, elles aussi, espèrent recevoir leur part du gâteau. Le film dépeint de cette manière le quotidien de femmes superflues, artificielles, et qui ne dépendent que d’un mari absent, inexistant. Le réalisateur, sans trahir l’essence du film de Sembène, «une satire politico-sociale qui peint une certaine administration au lendemain des indépendances» de plusieurs pays d’Afri­que, évoque plutôt le quotidien actuel de la classe populaire tunisienne ou de beaucoup de pays africains, l’argent envoyé par les émigrés servant en général à entretenir les familles restées au pays. «Le Mandat n’est qu’une inspiration d’une petite situation du Mandat – Mandabi (1968) de Ousmane Sembène, dans laquelle j’ai pu me projeter», explique le réalisateur tunisien dans un entretien accordé lundi à l’Aps.
Ben Youssef affirme qu’il lui a paru nécessaire de mettre la lumière sur cette catégorie de femmes qui subissent une violence symbolique, une dépendance économique influencée par les médias, suivant laquelle l’épouse dépend entièrement de son mari, même pour prendre soin d’elle, aller chez le coiffeur, se maquiller, etc. Heifel Ben Youssef met en exergue de façon subtile cette violence psychologique causée par l’absence d’un mari, surlignée dans le film. Une situation qui n’est pas propre à la seule Tunisie. «Ousmane Sembène est un réalisateur engagé que nous respectons énormément, et ça a été un honneur pour moi de réinterpréter son œuvre plus de cinquante ans plus tard», ajoute-t-il.

Noire 2, l’un des deux courts-métrages en question, constitue une relecture libre et moderne autour de la couleur noire, avec un intitulé visant à intéresser les cinéphiles 2.0. Le réalisateur Habib Mestiri monte sur cette base une chorégraphie pour réinterroger le film autour du masque et de la lettre, le tout se traduisant par un spectacle comportant des moments de silence et réservant une large part au visuel. Mestiri part de ses souvenirs personnels liés à une rencontre avec Sembène, à Rome, en 1999, pour interpréter l’esthétique du noir, la liberté du corps, de l’expression. Le réalisateur, qui considère Sembène Ousmane comme son «maître», se dit admiratif de ce dernier, de «ses choix artistiques et idéologiques, de son militantisme», toutes choses qui font de lui «un cinéaste à part». Le film, porté par une actrice noire, fait rare pour une production cinématographique tunisienne, est axé sur une lettre et un plat de spaghettis noirs, par lesquels il démarre. Le court-métrage de 16 minutes de Habib Mestiri s’ouvre sur des extraits du film original La Noire de…, lequel, datant de 1966, a été récompensé du premier Tanit d’Or aux JCC. «Noire 2 revisite l’œuvre de Sembène Ousmane pour lui rendre hommage, l’honorer pour son engagement, cette clairvoyance, mais aussi cette générosité et cet humanisme qui nous manquent dans le cinéma actuel», fait valoir Habib Mestiri. «Le cinéma est devenu aujourd’hui trop mercantile, il y a un désengagement vers l’humanisme, la culture», déplore celui dont le vœu est de montrer ce film au Sénégal.

Hommage aux anciens

Outre ces deux films inspirés de classiques de Sembène, quatre autres courts-métrages tunisiens font partie des «remakes coup de cœur JCC 1966-2019» du Festival, dont Le Septième de Alaeddin Abou Taleb et Le Temps qui passe, de Sonia Chamkhri. Il y a aussi The Barber house de Tarak Khalladi et Sur les traces de Saïda, de Fawzi Chelbi. Ces films sont une initiative des Journées cinématographiques de Carthage et ont été produits par le Centre national du Cinéma et de l’Image (CNCI) de la Tunisie. Le CNCI avait lancé un appel d’offres pour soumettre des projets, en exigeant que les candidats travaillent sur un des films qui avaient marqué les JCC de 1966 à 2019.

Aps

Source : https://www.lequotidien.sn/


Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire