CONTRE L’AMNÉSIE, POUR UNE POLITIQUE DE SAUVEGARDE DU PATRIMOINE CINÉMATOGRAPHIQUE

Par Ikbal Zalila – Le Temps | Publié le 12.06.2009.

La concomitance de deux événements, la conférence de presse de Martin Scorsese sur le travail du «World Cinema Foundation» et le manifeste de la FIAF (Fédération internationale des Archives du film) qui circulent sur le net ont réactivé le débat sur la conservation du patrimoine cinématographique.

Grâce à sa fondation, Martin Scorcese a pu restaurer des chefs -d’œuvre du cinéma mondial menacés d’extinction. «Transes» de Maanouni, «Touki Bouki» de Djibril Diop Mambty, «Al Moumia» de Chadi Abdessalem et une dizaine d’autres films auront été ainsi sauvés de l’oubli et de la déliquescence. Le Festival de Cannes consacre depuis 2007 une section spéciale «Cannes Classics» aux films restaurés par les soins de cette fondation.

La Fédération internationale des Archives du film, groupement de cent-vingt institutions situées dans plus de soixante-cinq pays dans le monde, travaille inlassablement (de concert avec ses membres) depuis sa création en 1938, à la sauvegarde, à la collection, à la préservation et à la projection de films. Dans son manifeste paru à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire «Ne jetez pas vos films», la FIAF lance un appel en faveur de la préservation des films dans leurs supports d’origine, à savoir la pellicule. Ce support constitue, en l’état actuel des connaissances, celui dont la durée de vie est la plus longue si sa conservation est prise en charge par des experts. Le manifeste appelle donc toutes les parties prenantes à ne jamais jeter un film même «si le propriétaire est porté à croire qu’il en a préservé le contenu en le transférant sur une pellicule plus stable ou en le numérisant». Le travail de la fondation Scorsese et le manifeste de la FIAF ont le mérite de rappeler l’urgence de réserver au film un traitement digne de son statut d’objet culturel, patrimoine de l’humanité. Ces deux initiatives constituent par ailleurs un appel à la mise en œuvre des politiques plus volontaristes en matière de préservation du patrimoine cinématographique dans les régions du monde dépourvues d’institutions spécialisées en la matière.

En Tunisie, un retard inexplicable

Le cas tunisien est à cet égard édifiant, et l’état de conservation des archives filmées dans nos contrées est on ne peut plus alarmant. Entreposés dans «la filmothèque» du ministère des Affaires culturelles et de la sauvegarde du patrimoine, des milliers de mètres de pellicule se meurent, faute d’un entretien adéquat et de respect de conditions hydrométriques spécifiques. Des pans entiers de la mémoire nationale ont disparu à jamais, ce qui a été préservé est menacé à court terme si des actions urgentes ne sont pas entreprises pour parer au processus de déliquescence que connaissent les archives filmées tunisiennes. Au moment où des comités de réflexion planchent sur le présent et le devenir du cinéma tunisien, il est urgent de mettre la politique de préservation du patrimoine cinématographique à la tête des priorités de l’autorité de tutelle. L’ampleur du retard que nous accusons par rapport à nos voisins algériens et marocains est inexplicable, la Tunisie ayant été le précurseur dans la région en matière de politique cinématographique, politique qui a servi à l’époque de modèle à nos voisins. Le projet de transférer la «filmothèque» à la bibliothèque nationale serait inopérant s’il n’est pas doté des moyens nécessaires à la conservation, à la restauration et à la diffusion de films. La création d’un centre national de la cinématographie ne résoudrait que partiellement le problème des archives, si elle ne se traduit pas par la mise en place d’un département spécialisé qui veillerait jalousement à la défense de ce patrimoine et si sa gestion n’est pas confiée à un personnel formé aux métiers de la conservation et de la restauration de films. Des cursus universitaires existent un peu partout en Europe et en Amérique du Nord, et il ne serait pas superflu de s’en inspirer pour former des diplômés du supérieur à ce qui relève aujourd’hui d’un métier à part entière. Le financement constitue peut être l’aspect le plus problématique de cette politique du patrimoine cinématographique. Il est indéniable que la conservation et la restauration nécessitent des budgets substantiels, qui risquent de rogner sur les enveloppes consacrées à la production. L’instauration d’une taxe sur la pellicule et les cassettes, l’implication du secteur privé qui pourrait contribuer par des donations conjuguées à la sollicitation de fonds européens et d’expertise étrangère seraient de nature à atténuer l’ampleur de l’effort demandé à l’État.

Le cinéma est la mémoire de ce siècle, et une politique de la mémoire constitue le seul moyen de se repérer dans le présent et de se projeter dans l’avenir.

Ikbal ZALILA

Source : http://www.jetsetmagazine.net/


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