LA DISTRIBUTION DES FILMS TUNISIENS DANS LES CIRCUITS CULTURELS – ET SI TOUT LE MONDE S’Y METTAIT ?

Par Neila Gharbi – La Presse de Tunisie – 15 avril 2012

Face à l’ineptie du circuit commercial, la distribution des films se tourne vers le circuit culturel. Les Maisons de la Culture comptent 220 salles de projection, contre une douzaine dans le circuit commercial dont la plupart sont situées dans la capitale.

Profiter du créneau des Maisons de la Culture pour la diffusion des films tunisiens et leur assurer une visibilité auprès du public, une idée intéressante qui a vite pris la forme d’un projet initié par le Syndicat des Producteurs tunisiens et auquel ont été associés d’autres syndicats et associations cinématographiques de la place.

En attendant la création de multiplex et de salles de proximité dans un prochain avenir, une formule, qui permet notamment aux films tunisiens de sortir du goulot d’étranglement, a émergé pour réactiver aussi les salles du circuit culturel, d’autant plus que leur nombre est assez important.

Mais quelle est tout d’abord la situation du secteur d’exploitation cinématographique dans notre pays ? «Au plus bas», convient Néjib Ayed, producteur et secrétaire général du Syndicat des Producteurs. Manque d’équipement, conditions d’accueil déplorables, concentration des salles à Tunis.

Pour un pari gagnant-gagnant

Les Maisons de la Culture ne sont pas mieux loties : peu ou pas du tout fréquentées, l’accueil y laisse à désirer. «Nous nous sommes dit : pourquoi ne pas faire un pari gagnant-gagnant ? Autrement dit, permettre une sortie nationale aux films tunisiens en investissant un certain nombre de Maisons de la Culture», suggère Néjib Ayed. Pour ce projet-pilote, actuellement au stade de l’étude, l’idée est de choisir deux ou trois salles dans différents gouvernorats, de les équiper avec un matériel adapté, de telle sorte que les conditions de visionnage et d’accueil soient convenables.

«Nous avons opté pour le BlueRay, une technologie permettant à la fois d’obtenir une excellente condition de projection et un son qui soit au top, le cinq point un numérique, dolby et surround. L’avantage de cet équipement est qu’il est peu coûteux (8 mille dinars en moyenne pour chaque salle) et difficilement piratable», affirme encore le producteur.

Les deux précédents ministres de la Culture ont approuvé le projet qui nécessite une enveloppe de 400 mille dinars à prélever sur le budget du ministère de la Culture. Cet argent servira à équiper les salles et permettre aux nouveaux films tunisiens une sortie nationale. « C’est intéressant à la fois pour le film, le producteur, les Maisons de la Culture, et surtout le public qu’il soit à Bizerte ou à Ben Guerdane, afin de voir en même temps les films.

On a évalué trois fois plus de recettes pour le producteur, sans compter que cette distribution génèrera des bénéfices pour les Maisons de la Culture, dont seules celles de Nabeul, Monastir et Sfax ont des traditions en la matière. Cela intéressera les distributeurs qui vont pouvoir faire leur travail», insiste Néjib Ayed.

Les critères de choix des 48 Maisons de la Culture reposent sur la situation géographique, l’aménagement des salles équipées pour la majorité en nouveau matériel 35mm, les conditions de projection et la gouvernance de ces Maisons de la Culture. Par ailleurs, l’instauration d’une billetterie unique permettra de limiter certains dépassements et d’établir de vraies statistiques sur la sortie des films tunisiens.

Et les films indépendants ?

Ridha Tlili, réalisateur indépendant auteur du documentaire Révolution moins cinq, conteste le fait que le secteur de la distribution, qui est purement commercial, investisse le circuit culturel. Selon lui, le projet doit être «totalement indépendant et placé sous la tutelle du ministère de la Culture qui acquiert les films destinés à une distribution culturelle par le biais d’une commission».

«Le quota doit tenir compte des films indépendants n’ayant pas bénéficié d’une aide à la production», suggère-t-il. «Il serait injuste que des films ayant bénéficié d’une subvention continuent à jouir du soutien financier lors de leur sortie en salles», ajoute le réalisateur.

La priorité aux films indépendants pour leur donner la chance d’exister. Le projet essentiellement culturel doit être «à but non lucratif» propose Ridha Tlili, qui, par ailleurs, préfère que le Syndicat des Producteurs ne soit pas le seul interlocuteur, mais une des parties prenantes de ce projet.

Car, en ayant la main sur cette opération, il y a un risque que les négociations avec les Maisons de la Culture soient faites pour certains films au détriment d’autres, dont notamment les films indépendants. Pour ce faire, une convention entre le ministère de la Culture, les Maisons de la Culture, les distributeurs, les producteurs et réalisateurs indépendants, doit délimiter les intérêts de chacun.

La salle intelligente

Pour sa part, Tahar Ajroudi, directeur du Centre culturel Néapolis de Nabeul, note que la question de la distribution, qui est un phénomène mondial, est traitée en Tunisie comme un problème à régler dans l’immédiat. «À Néapolis, nous avons souvent évoqué la salle intelligente. Un salle moderne comportant un équipement adéquat et des conditions d’accueil au top, car on ne peut pas intéresser des jeunes, ou des familles habitués à fréquenter des salons de thé ou des hôtels luxueux, avec des salles obsolètes des années 80 », relève-t-il.

Pour relever le défi, la solution serait de faire d’une pierre deux coups : généraliser les petites salles de quartier de capacité limitée à 150/200 places et encourager les jeunes diplômés d’écoles de cinéma ou d’animation culturelle par des facilitations leur permettant d’exploiter ces salles en espaces de théâtre, de projection et d’animation. C’est dans cette perspective, englobant à la fois l’économique, le commercial et le culturel que le public retrouvera le chemin des salles, selon Ajroudi.

Au-delà de cette infrastructure de base nécessaire, le projet du Syndicat des Producteurs concernant la distribution des films tunisiens dans les circuits culturels permet certes la réhabilitation de 48 salles mais il comporte des points d’interrogation sur lesquelles le directeur de Néapolis ne semble pas d’accord, notamment l’idée que ce projet soit entre les mains d’une seule partie, à savoir le Syndicat des Producteurs. «Pourquoi ne pas faire participer les Maisons de la Culture à l’idée même de ce projet, jusqu’où ce projet peut-il aller et sur quelles bases a-t-on choisi les 48 Maisons de la Culture ?», s’interroge-t-il.

S’il y a des recommandations à faire, elles consisteraient à ce que toutes les parties concernées, et elles sont nombreuses : ministères de la Culture, de l’Enseignement supérieur, de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et du Sport, des Affaires de la femme, ainsi que les différents syndicats, dont celui des producteurs de films, les associations etc., se mettent d’accord sur l’organisation d’une conférence nationale pour étudier le projet et s’impliquer dans son exécution.

«Il y a lieu aussi de réactiver les caravanes de cinéma pour permettre au public du «rif» et des montagnes de visionner, en même temps que tous les autres, les nouveaux films tunisiens et de leur éviter ainsi de rester à l’écart», propose, d’autre part, Tahar Ajroudi.

Source : La Presse de Tunisie.


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