SUBUTEX DE NASREDDINE SHILI SUR NOS ÉCRANS

Il a osé le faire !

Par Lotfi Ben Khelifa – Le Temps – Publié le 08 – 12 – 2018.

Le second long-métrage du réalisateur tunisien Nasreddine Shili ,«Subutex», est sur nos écrans depuis le 5 décembre. Un documentaire qui n’est pas seulement audacieux et courageux. Il est le premier dans son genre, ayant dépassé la ligne de démarcation des interdits.

Les tabous, puisqu’il faut les appeler par leur nom, que la société tunisienne renie, rejette et dont elle ne veut point parler. Ces tabous et ces «mauvaises choses» ont bloqué et détruit la vie normale de jeunes et de moins jeunes ayant pourtant et parfois un haut niveau intellectuel. Et point de digression, restons dans le film qui nous fait perdre la tête autant que le Subutex, sujet primordial dans ce film. Cette drogue «magique» mène à l’addiction et donc à la difficulté de la quitter, (sans aucune lapalissade.) Mais il est également question d’homosexualité masculine et de l’oubli presque total des gouvernants dans laquelle vit une tranche de citoyens tunisiens dont certains n’ont pas de papiers (chez-eux – Eh oui !) Ils vivent à Tunis dans un vieux quartier populaire situé pourtant à quelques encablures de la Kasbah, quartier ministériel représentant ou sous-entendant la souveraineté tunisienne. Nasreddine Shili dévoile «le hors-champ » d’une certaine catégorie de Tunisiens paumés et détruits. Il s’y arrête, insiste encore plus et y reste. Sa caméra portée filme en plans-séquence, en plans rapprochés, en gros-plans et en inserts. Son objectif suit la vie quotidienne d’un duo : «Fanta» et «Rzouga», qui vivent en couple dans une atmosphère des plus tendues, dans un lieu délabré et insalubre. Leur amour, devenu pourtant impossible, perdure.

«Fanta» est un peu trop pleurnichard pour être trop jaloux envers son «homme», à l’opposé de «Rzouga», le «viril» calme et au grand coeur qui suit de près la vie de son copain, tout en essayant de le faire sortir du gouffre de la toxicomanie par injection du Subutex qu’il lui injectait lui-même ! Une cure de désintoxication, si on peut l’appeler ainsi, dans une station thermale, après la découverte, suite à une analyse de sang chez «Fanta», du virus de l’hépatite C. Une belle lueur d’espoir qui disparaîtra au plus vite. Tout ne semble pas s’arranger, c’est le statu quo total, le retour à la case départ d’une vie sans vie, invivable, dure et tuante. Le film ne nous épargne pas le langage très cru des personnages. Excusez du peu ! semble nous dire le réalisateur. Car il reste tout simplement fidèle à la vérité et à la réalité des choses. Cette réalité, racontée à travers des scènes diurnes et nocturnes, est sans auto-censure. Ces personnages hors du commun vivent parmi nous. Leur langage est le fruit d’une langue bien déliée et d’une autre conception de la vie. Ils sont dans toute leur liberté de vivre leur vie, mais se heurtent aux résultats négatifs et parfois inattendus qui en découlent. La caméra de Nasreddine Shili nous fait entrer de plain-pied dans ces bas-fonds sans crier gare et comme si on connaissait déjà les personnages du film. Leur histoire est narrée et construite à la manière d’un film de fiction avec les détails du suspense, de l’inattendu et du dénouement ou non de l’histoire. Certains cinéastes, de chez nous et d’ailleurs, considèrent qu’un film en est un, sans que cela puisse être catalogué dans le registre des fictions ou des documentaires. «Subutex» nous flanque en pleine figure «une histoire vraie», comme dirait un réalisateur iranien. Mais il n’est point commode de filmer aujourd’hui des gens marginaux en plein cœur de leur milieu. Nasreddine Shili a osé le faire et a réussi.

Source : http://www.letemps.com.tn/


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