THAMEUR MEKKI, RÉDACTEUR EN CHEF DE «NAWAAT LE MAGAZINE» : «FIN DE LA PRESSE ÉCRITE ? JE N’ADHÈRE PAS A CE FATALISME»

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Par Haithem Haouel – La Presse de Tunisie – Publié le 24/01/2020.

«Nawaat.org» se décline en magazine papier trimestriel. Paru récemment dans de nombreux points de vente à Tunis et dans quelques gouvernorats, ce 1er numéro contient des articles de fond, des reportages, de l’investigation et des articles d’opinion élaborés par différents collaborateurs : autant de matière rassemblée sous un même thème. Un magazine dense, riche en contenus pas forcément liés à l’actualité : son format est «Collector», à garder chez soi dans sa bibliothèque. Thameur Mekki, rédacteur en chef du site et, désormais, du magazine, revient sur cette nouvelle aventure éditoriale : un challenge de taille relevé à une époque marquée par la crise du journalisme en papier.

Peut-on en savoir plus sur la genèse de ce premier magazine de Nawaat ? Comment a émergé l’idée de lancer un magazine en papier alors que vous avez toujours été visible en ligne ?

  • La réflexion a commencé en 2016 en discutant avec Sami (ndlr : Sami Ben Gharbia, cofondateur de Nawaat et cyber-militant). Tout d’abord, il est à retenir qu’il y avait déjà trois constats à prendre en compte : le premier, notre large lectorat, divers et varié. Il se trouve que la tranche d’âge élevée préfère lire encore du papier. 2e constat : nous faisons des articles très longs, approfondis. Plus on avance dans le temps, plus on se rend compte que nos articles sont plus longs proportionnellement par rapport aux normes de la presse web. Plus on élargit nos articles et plus la tendance générale s’oriente davantage vers le raccourcissement… jusqu’à ce qu’ils publient des plages blanches à mon avis (sourire). On s’est dit que lire un journal ou un magazine, c’est comportemental.
    On ne peut pas cibler un lectorat qui s’est habitué à lire deux lignes sur internet en publiant des papiers hyper longs, etc.  Ceci dit, un minimum de longueur est requis pour avoir une certaine profondeur, crédibilité, une richesse de contenu. 3e constat : en tant que «Nawaat.org», nous sommes une ONG : nous comptons sur des contributions de la part de bailleurs de fonds et ce n’est pas normal d’atteindre cet âge-là et de ne pas oser expérimenter des choses ou générer des fonds propres, et là, on a pensé à l’idée d’offrir une 2e vie au contenu de «Nawaat».

Quels sont donc ces changements effectués du numérique au papier ?

  • Pour la vidéo, on s’est orienté vers des expériences « documentaires », reportages, écriture détaillée … Pour les textes du magazine, on a pensé à deux choses : soit de faire des ouvrages thématiques et collectifs avec un ensemble d’articles que nous avons et qui traitent de thématiques pertinentes : à l’époque, on y a déjà pensé et on s’est dit qu’on pouvait lancer jusqu’à 4 livres. Et on avait retenu aussi l’idée du magazine, d’où le fait que ça a été pensé dès le départ comme une sorte de hors-série de « Nawaat ». Petit à petit, l’idée a germé. En juin 2019, nous avons commencé à travailler pour de bon sur ce format papier. La parution a été retardée plusieurs fois, notamment face à des cas de force majeure : du décès de BCE aux calendriers électoraux, en passant par les élections anticipées… etc. jusqu’en janvier 2020.

Avez-vous gardé la même équipe de rédaction ? 

  • Presque ! Nous avons quelques contributions supplémentaires pour le magazine. Quelques signatures qu’on ne trouve pas sur le web mais qu’on peut  trouver dans les deux supports parfois. Pour le magazine, nous avons par exemple l’invité du numéro : pour ce 1er numéro, l’invité principal est Alain Gresh. Le caricaturiste « Z » travaille avec nous sur le site, Tawfik Omrane n’est pas sur le site, il fait les dessins de presse. On a aussi Saif Eddine Nechi… Et ça fonctionne, au gré des besoins des thématiques, on fait appel à des plumes spécialisées selon le dossier choisi du numéro. Au-delà de la photo, de la BD, des dessins de presse, nous sommes les seuls à proposer du journalisme d’investigation, des enquêtes. Actuellement, il y a de moins en moins de reportages de terrain, pourtant ce sont des genres journalistiques fondateurs du journalisme. On ne peut pas se limiter à des articles informatifs et à des papiers d’humeur seulement.

Qu’est-ce qui différencie concrètement le contenu web de celui du papier ?

  • L’expérience de lecture, on prend notre temps : il y a plus de travail sur la photo, la mise en page, le traitement, la nature des deux supports et la différence entre ces deux supports. C’est-à-dire, quand j’évoque cette différence, c’est que, naturellement, on ne va pas insérer des liens, il y aura plus d’explications, des notes de bas de page, on ne va pas insérer de la vidéo etc. des considérations comme ça… et puis la proposition, c’est-à-dire que le numéro papier d’un magazine est à vivre comme une expérience de lecture différente du site sur lequel on lit plusieurs articles qui ne sont pas nécessairement liés l’un à l’autre. Pour notre magazine, il y a une thématique pour chaque numéro, un dossier complet à chaque numéro également et la thématique peut même concerner d’autres rubriques. Ces rubriques s’approcheront dans leur traitement de la thématique principale choisie. On tient à avoir une expérience de lecture thématique d’un magazine.

Qu’avez-vous à dire sur la crise mondiale persistante de la presse écrite ? 

  • Il est clair que nous assistons à une crise internationale des journaux papier. C’est indéniable ! Par ailleurs, plusieurs fois, on m’a posé la question : Est–ce la fin de la presse papier ? Je n’adhère pas à ce fatalisme, je pense que l’offre papier devrait s’adapter à la nouvelle donne plutôt que dire que le temps du papier est révolu. Le papier, selon moi, existe encore et restera toujours. Après, il faut voir quels sont les formats qui se vendent en papier. Si l’offre web devient austère, si elle est trop dans l’instantanéité, dans l’actualité chaude, ici et maintenant, c’est grillé aussi. Ceci est valable pour le contexte tunisien. C’est pour cela que nous proposons un contenu que nous pouvons lire durant trois mois, voire plus. Ce sont des articles, plus longs, intenses, loin de l’austérité et, en soi, c’est déjà une richesse.

Source : https://lapresse.tn/


 

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