TAÏEB LOUHICHI, UN CINÉMA D’AUTEUR

Par Khalifa Chater – leconomistemaghrebin.com – Publié le 01/04/2018

La Cinémathèque tunisienne a célébré, samedi 31 mars, le quarantième jour de la mort du cinéaste tunisien, Taïeb Louhichi.

Dans le cadre de cet hommage, deux de ses films ont été présentés : «Mon village, un village parmi tant d’autres» (court-métrage, 1972) et «Gorée, l’ile du grand-père» (moyen-métrage, 1987).  Rappelons que Taïeb Louhichi, qui a été victime en 2006 d’un accident de la route aux Émirats Arabes Unis où il devait présider le jury d’un festival local ; il y perd l’usage de ses membres. Il continua néanmoins à réaliser des films. Figure importante du cinéma arabe et africain, il réalisa de nombreux courts-métrages, moyens-métrages et longs-métrages. Témoins de sa société, il tourna un documentaire en 2011, «Les Gens de l’étincelle», sur les protagonistes de la révolution tunisienne de 2011, puis «L’Enfant du soleil» en 2013. Son dernier long-métrage, «La Rumeur de l’eau», est sorti en salle en Tunisie, à titre posthume, le 2 mars 2018.

Les deux films présentés, lors de l’hommage de la cinémathèque de Tunis, attestent les qualités du cinéma d’auteur, qui définit son œuvre :

1 – «Mon village, un village parmi tant d’autres» : il décrit un village du sud tunisien, une oasis en pleine crise, ballottée entre son passé agricole et sa dépendance de l’émigration en Occident de ses enfants. Son diagnostic social est pertinent : pesanteur de la tradition, problème de l’eau, nouvelles exigences. Transgressant le documentaire et l’enrichissant, il présente un discours politique, présentant ses vues : comment sortir du sous-développement ?

2- «Gorée, l’ile du grand-père» : le cinéaste commémore la triste histoire de Gorée, port d’embarquement des esclaves africains vers l’Amérique de 1527 à 1848, date de l’abolition de la traite par la France. Au delà du documentaire, le film est un poème et une composition musicale : à juste titre, il associe la traite africaine et le jazz, produit de ses enfants, dans l’exil.

L’air de la chanson de Louis Armstrong «Nobody knows the trouble I’ve seen» (Personne ne connait le trouble que j’ai vu) est chanté par Jimmy Owens, jazzman américain, trompettiste de renom. L’installant dans l’historique “Maison des Esclaves”, il constitue le fil conducteur du moyen-métrage, son argumentaire : un soir, le son de sa trompette s’élève. Un vieux pêcheur et son petit-fils l’écoutent de l’autre côté de l’île.

L’air de la chanson de Louis Armstrong provoque une crise violente chez le vieux pêcheur, possédé par Mame Couba, génie protecteur de l’île. De ce fait, la triste histoire de l’exploitation de Gorée par les esclavagistes occidentaux est compensée par l’histoire de la tradition africaine, puisque le vieux pêcheur raconte l’histoire de Mame Couba, génie protecteur de l’île aux enfants. «Gorée, l’île du grand-père» est donc un conte musical, l’histoire d’une passion et un hommage à la mémoire de Gorée sociale.

Le poème historique est dramatisé par l’usage préférentiel du cinéaste des portraits en gros plans, des présentations psychologiques éloquentes qui illustrent le caractère tragique de cette commémoration, que l’UNESCO a adopté, dans les lieux de mémoire qu’elle a définis.

Ces deux films montrent la richesse de l’œuvre de Taïeb Louhichi, qui mérite d’être présentée, dans sa totalité, aux cinéastes et analysée par les critiques.

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