KHALED GHORBAL SIGNE SON PREMIER FILM, «FATMA» : PLAIDOYER POUR LES FEMMES TUNISIENNES

Par Brigitte Baudin — Le Figaro, 28 février 2002.

La virginité est un sujet tabou dans les pays maghrébins. Dans «Fatma», son premier long-métrage de fiction, le réalisateur tunisien Khaled Ghorbal a osé aborder ce thème épineux et toujours d’actualité.

Fatma (Awatef Jendoubi) vit à Sfax dans une famille bourgeoise et traditionaliste. Sa mère étant morte, elle passe son bac tout en veillant sur la maison, son père, ses frères et sœurs. Violée par son oncle à dix-sept ans, elle doit garder le silence sur ce drame. Pour oublier, elle part poursuivre ses études à l’Université de Tunis. Pour la première fois, elle se sent libre de vivre et d’aimer. Mais, au bout de quelque temps, lasse de la ville, elle devient institutrice dans un village retiré du Sud. Là, elle tombe amoureuse d’Aziz (Bagdadi Aoum), médecin, et l’épouse. Le bonheur ! Pas tout à fait. Fatma a un terrible secret : elle n’est plus vierge. Pour pouvoir se marier, elle se fait donc recoudre l’hymen sans l’avouer à son futur époux…

«J’ai immigré en France en 1970 et je suis marié à une Espagnole. explique Khaled Ghorbal. Je viens du théâtre et rêvais de réaliser un film sur un sujet de société fort. J’ai alors appris, par hasard, que dans les hôpitaux français comme tunisiens, beaucoup de femmes d’origine maghrébine venaient se refaire une virginité. Ces quelques points de suture arrangeaient tout le monde ou presque. J’étais très surpris. C’était le reflet d’un malaise profond. Avec la libération des mœurs, on aurait pu s’attendre à ce que la femme dispose de son corps en toute liberté. Je me suis aperçu qu’il n’en était rien. Dans les pays maghrébins, le poids de la tradition est très fort, le machisme omniprésent. C’est le résultat de l’éducation. Tant que les mères continueront à élever leurs fils dans cette mentalité, le statut de la femme n’évoluera pas».

Khaled Ghorbal le montre parfaitement dans le personnage de la mère d’Aziz, un archétype de la femme traditionaliste. C’est elle qui oblige son fils à divorcer lorsqu’il apprend la vérité.

«Aziz se sent trahi, bafoué dans son honneur et son amour, reprend Khaled Ghorbal. C’est un sentiment légitime que l’on peut comprendre. Je ne juge pas. Je me contente d’observer. On peut seulement croire que, amoureux de sa femme et sans la pression de sa mère, Aziz aurait probablement pardonné».

Khaled Ghorbal esquisse une peinture réaliste de la société tunisienne. Depuis les lois promulguées par le président Bourguiba, la femme est, en droit, l’égale de l’homme. Dans les faits, c’est autre chose. Outre le personnage de Fatma, Khaled Ghorbal ajoute le portrait de deux autres femmes amies de l’héroïne et s’inscrivant dans la réalité tunisienne : Samira (Nabila Guider), divorcée comme Fatma, obligée de porter le voile et de vivre sous le joug de son frère islamiste, et Radhia (Amel Safta) enfermée dans sa solitude, sans mari ni enfant.

«L’image de la société maghrébine est souvent déformée, banalisée. passéiste, renchérit Khaled Ghorbal. J’ai voulu raconter une histoire d’aujourd’hui, construite à partir de faits réels et d’une enquête très minutieuse. C’est ma modeste contribution au combat légitime que livrent quelques femmes courageuses contre l’obscurantisme.

Brigitte Baudin
Le Figaro (France) du 28 février 2002.


 

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