WINOU BABA DE JILANI SAÂDI

Par Neila Gharbi – La Presse de Tunisie | Publié le 18.01.2012

Un film désenchanté Qu’un cinéaste choisisse dès son premier long métrage Khorma, le crieur de nouvelles de parler de paternité, on ne peut qu’attendre de lui qu’il continue à labourer cette thématique dans son deuxième film La tendresse du loup (2007), puis aujourd’hui dans son nouveau film Winou baba (Où est papa ?). Jilani Saâdi s’intéresse à la mort du père et à la vie du fils abandonné à son propre sort, à moitié homme, à moitié enfant. Un personnage pas tout à fait accompli qui n’arrive pas à se développer, parce que le cordon ombilical n’est pas rompu. Comme pour Khorma, Jilani Saâdi, qui vit en France, retourne dans son fief natal Bizerte pour enterrer son père. Le film commence comme un documentaire. Plan fixe de Jilani Saâdi dans un avion en train de pleurer à chaudes larmes. Le plan dure quelques secondes, puis hop, il effectue un plongeon spectaculaire dans le vide réalisé à partir d’images de synthèse. Des images qui seront utilisées comme des ponctuations entre certaines séquences du film. Place au générique précédé d’une dédicace «A mon père !» Son père mort en 2008 est enterré dans le cimetière de Bizerte. Deux enfants, dont l’un est le fils du réalisateur, jouent près de la tombe. Une chanson de Abdelhalim Hafedh Anssek accompagne la séquence. Là s’arrête la partie documentaire.

Moins porté sur l’introspection, Jilani Saâdi aime aborder ses sujets avec beaucoup de dérision et de flegme. Winou baba, comédie dramatique d’une durée d’une heure trente, prend l’aspect d’une œuvre intimiste et personnelle tournant autour des thèmes de la mort, de l’absence du père et d’autres absurdités de la vie. Le film tangue comme un navire en pleine tempête. Après la brève partie documentaire du début, le film retrouve le cap de la fiction. L’histoire est celle de Halim (Jamel Madani), employé dans une administration, qui n’a pour seule distraction que de dialoguer avec son père enterré au cimetière. Sa mère veut le marier. Elle lui propose une jeune voisine, Ons (Amira Ben Youssef). Mais le jour des noces, cette dernière décide ni d’une ni de deux d’annuler le mariage. Humilié, Halim s’enferme dans sa chambre, alors que Ons est empêchée par ses parents de quitter la sienne. Isolés, les deux renoncent à leur vie sociale et décident de rejoindre un groupe de marginaux vivant aux abords du port de Bizerte dans un lieu abandonné.

Avec leurs habits de mariage, la boule à zéro pour Ons, ils ont adopté une position de marginalité. Leurs amis marginaux leur organisent un mariage, mais cela ne marche pas entre eux. Comme à son habitude, Jilani Saâdi puise dans la simplicité l’expression des réalités impalpables. Filmé avec des moyens modestes, Winou baba met en scène quelques-uns des déçus de la vie, ceux qu’on considère comme des fous, à l’instar de de Gaulle (Khaled Guesmi), buveur invétéré d’alcool entouré de plusieurs timbrés, fantasques, passant leur temps à se soûler. Cette faune de morts-vivants complètement déjantée est victime du pouvoir répressif des parents, notamment du père, une image troublante, autoritaire et brutale qui marque encore le cinéma tunisien.

Jamel Madani incarne un personnage au regard d’enfant qui veut jouer encore à la toupie avec son épouse, fait l’amour, le soir de ses noces ratées, avec un traversin qu’il transforme en femme, en lui faisant porter un soutien et lui fait un trou. Il défèque devant sa femme. A aucun moment, il n’aura un geste de tendresse avec Ons qui, pourtant, le provoque sans cesse. Au contraire, il finit par s’en débarrasser en la jetant dans un puits, parce qu’elle vomit chaque fois qu’elle écoute chanter Abdelhalim Hafedh qu’il adore. Halim est un homme seul, dont la vie est limitée à la visite de son père au cimetière.

Ons est, pour sa part, une jeune femme abandonnée, manquant d’affection et de tendresse. Les ragots des gens qui la traitent de fille légère lui collent à la peau. Elle est enfermée dans sa chambre par un père violent qui lui rase la tête parce qu’elle a refusé le mariage. Prisonniers d’une société conservatrice qui les cloisonne, le couple Halim et Ons sont voués à l’errance et à la marginalité.

Jilani Saâdi raconte cet univers désenchanté habité par la mort, la solitude et l’errance. La caméra suit les personnages en les filmant par derrière, laissant de la sorte le spectateur imaginer leur expression. Le réalisateur aménage de longs espaces de silence pour créer des moments de tension et de suspense. Les refrains de Abdelhalim Hafedh expriment la nostalgie et le romantisme de mauvais aloi.

La métaphore du père comme image d’un pouvoir absolu et totalitaire a été plus que martelée. On espère qu’après ce film surréaliste, Jilani Saâdi, qui a enfin enterré son père et lui a rendu hommage, se tournera vers autre chose.

Neila GHARBI

Source : http://www.jetsetmagazine.net/


 

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