LA GUERRE CONTRE LA TORTURE AURA LIEU !

Par Houda ZEKRI – cinematunisien.com -16 janvier 2016

C’était un 14 janvier 2016. Cinq ans jour pour jour, après le déclenchement de la Révolution, que dis-je, après le déclenchement de la Révolte en Tunisie.

C’était un étrange anniversaire coloquintien, que Mohamed Khiri, fondateur de «Cinématunisien» a décidé de commémorer à sa manière, devant l’écran des Ateliers Varan (75011) et j’étais de la partie.

Son choix s’est arrêté sur «Coloquinte» (Hanẓal) de Mahmoud JEMNI et «Les Apatrides» (Al-muġarrabūn) de Arbia ABBASSI et de Marwen TRABELSSI. Nous n’étions pas très nombreux, mais nous étions tous submergés par l’émotion. Il régnait dans la salle, après la projection, comme un arrière-goût rance de sang fétide et de cris étouffés. Cela a commencé par un témoignage ; celui de Zeineb CHERNI (perspectiviste), torturée et emprisonnée durant six ans, dans les geôles bourguibistes. Malgré son énergie débordante, sa diction parfaite et son regard perçant, il y avait chez elle comme une imperceptible fragilité. Elle a commencé par remercier Mahmoud JEMNI de lui avoir donné la parole et d’avoir permis à de nombreuses victimes d’extraire des tréfonds de leurs âmes meurtries, cette douleur souterraine qui les a minés, des années durant. Puis ce fut le silence. Place à l’image. Retour chez Hadès: des hommes et des femmes de divers bords politiques, qui ont été torturés en Tunisie, aussi bien par les colonisateurs, par Bourguiba que par Ben Ali, font face à la caméra et tentent tant bien que mal de se raconter. Il y a le communiste aux mains et pieds agités. Il y a le perspectiviste poilu, dont «le pelage» trop fourni a empêché le bourreau de le violer. Il y a celui qui est mort sous la torture et à qui on a introduit une matraque dans l’anus jusqu’à l’éclatement de son estomac, à qui on a attaché le sexe à un hameçon, raconté par un rescapé des «Camps de la mort». Il y a le yousséfiste à qui on a craché dans la bouche. Il y a le militant du bassin minier, à qui on a demandé de se mettre à quatre pattes, de dire que «la chienne ne mettait bas qu’un chien» – en l’occurrence, lui – et à qui on avait ordonné d’aboyer. Il y a le vieux qui n’en peut plus de se souvenir et qui a presque envie de mourir, pour de bon cette fois-ci. Il y a le nahdhaoui que l’on a rendu stérile… Et il y a le médecin, qui a accroché le serment d’Hippocrate dans son cabinet, qui supervisait la torture, le bourreau qui redorait le blason de la dictature et qui ne se présentait que comme un simple exécutant obéissant aux ordres des chefs, mais également le psychiatre, le professionnel, le catharsiseur, qui tentait de nous expliquer à nous, les spectateurs, les témoins éloignés de cette tragédie, les répercussions de la torture sur la psyché des victimes. Il y en a sûrement tant d’autres que Mahmoud n’a pas pu filmer, faute de moyens et parfois de mots/maux. C’était tout cela, «Coloquinte», et d’autres choses que je ne pourrai pas décrire, parce qu’il faut les vivre par l’image et le son. Il y a aussi ce documentaire-fiction, «Les Apatrides», fait par deux jeunes et qui nous rappelle que la torture physique et morale, tout en étant un acte du passé, continue à s’insinuer dans les pores du présent et du futur des torturés, ne laissant pas ou peu, place à la vie. Ces deux documentaires doivent être montrés à tous les nostalgiques de la dictature en Tunisie, à ceux à qui Ben Ali et ses méthodes manquent, aux partisans de la torture et de l’état policier, qui recommence déjà à se remettre en place dans notre pays. Ils doivent être diffusés dans les écoles, collèges et lycées, dans les réunions publiques et dans les salles de cinéma, pour que ne cela ne reproduise pas. Car cela risque de se reproduire et est en train de se reproduire !

Ces œuvres cinématographiques sont un acte de mémoire et nos jeunes générations en ont besoin, eux, pour qui l’histoire a été falsifiée. Vivement la prochaine salutaire projection !

Houda ZEKRI, 16 janvier 2016


 

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