WALID TAYAA «RÉINVENTER LE MONDE»

Walid Tayaa est un cinéaste tunisien. Plusieurs films (courts et documentaires) dont Vivre & Les Passionnés (2010). Un long-métrage de fiction, Fataria, sommet arabe, prévu pour l’année 2013.

Si tu devais donner une définition personnelle de la cinéphilie, quelle serait-elle ?

  • Une passion chevronnée du cinéma. Ça dépasse juste le fait d’aimer les films ou le cinéma. La cinéphilie, pour moi, c’est cette soif intarissable de voir le monde reconstitué selon des points de vue du monde et de l’existence. Plonger dans le monde dit et non-dit des humains, ça me passionne. La cinéphilie pour moi est un besoin vital, une thérapie créative. J’ai besoin de cette poésie du cadre et du plan. Réinventer le Monde.

Y a-t-il un film ou plusieurs que tu revois par nécessité ? Si oui, quelle en est la raison ?

  • La liste est longue ! J’éprouve le besoin de revoir certains films, parce qu’ils sont des réflexions très profondes à l’intérieur de l’Homme et du Monde. Parfois un cadre, un plan ou une séquence, un dialogue, une phrase… sont carrément une position. Revoir des films, ça me rassure. Parmi les films forts qui m’ont marqué pour la vie et que je revois, il y a Nosferatu de Murnau, M. le Maudit de Fritz Lang, Les Communiants de Bergman, Théorème de Pasolini, L’Ange Exterminateur de Buñuel, Le Goût de la Cerise de Kiarostami, les films de l’Arménien Artavazd Pelechian, Au fil du temps de Wim Wenders, Hiroshima mon amour d’Alain Resnais, Underground d’Emir Kusturica, Latcho Drom de Tony Gatlif, Le Moineau et Alexandrie pourquoi de Youssef Chahine, L’homme de cendres de Nouri Bouzid, La Nuit de Mohamed Malas, aussi My one Private Idaho et Elephant de Gus Van Sant et, dernièrement, Le Ruban blanc de Haneke. Et il y en a encore !!

Internet est devenu une source importante d’informations, voire obligatoire pour (re)voir des films anciens ou récents. Aujourd’hui, comme développes-tu ta cinéphilie ?

  • Oui, je ne peux pas dire le contraire. Aujourd’hui, Internet est très important pour revoir au moins quelques séquences ou bien des courts-métrages ou des reportages et des interviews des réalisateurs.

De quelle manière «digères-tu» un film ? L’écriture, la parole avec ton entourage, etc.

  • J’évite même de lire un synopsis quand je vais voir un film. Voir un film pour moi, c’est comme rencontrer une personne, un amoureux, comme avoir un rendez-vous. Après ça dépend de la personne, c’est pour la vie ou juste une aventure. L’aventure peut être très agréable, bouleversante, émouvante, magnifique comme elle peut être décevante, banale, ridicule ou carrément dégueulasse.

Ça m’est arrivé plusieurs fois de sortir d’un film complètement bouleversé. Je sors, je n’ai aucune envie de parler, j’erre dans la ville, tout seul et je reste silencieux. Je ne supporte pas de discuter tout de suite, surtout quand les gens, autour de moi, n’apprécient pas le film. Je retourne généralement le voir pour m’assurer, avec un regard plus objectif et dur. Si j’ai le même sentiment que la première fois, ce film rentre définitivement dans ma vie, je veux avoir le DVD, je regarde les bonus, je lis toutes les analyses. Un film qui me bouleverse, est un film qui va loin dans l’écriture cinématographique, plonge à l’intérieur des personnages et m’invite à avoir le courage d’avoir un point de vue, de penser, parfois je m’identifie et c’est encore plus dur ! Après c’est un régal de partager le plaisir de ce film avec des gens qui l’ont aussi apprécié. Mes dernières errances dans la ville suite à un film étaient : Les Méduses de Shira Geffen, Shame de Steve McQueen, Le Ruban Blanc de Haneke, Tree of Life de Terrence Malik et La Chasse de Thomas Vinterberg.

Dans un ancien article publié dans les Cahiers du Cinéma n°293 (octobre 1978) et intitulé «Contre la cinéphilie», le critique de cinéma Louis Skorecki écrivait : «La télévision est le dernier endroit où quelque chose de la lucidité hallucinée de la cinéphilie d’hier est encore possible». Ta formation cinéphile s’est faite par le biais de la petite lucarne (programmes TV et/ou VHS-DVD) ou des salles de cinéma ? Et que penses-tu de cette citation de Skorecki ?

  • J’ai grandi dans les ciné-clubs et je suis un enfant du mouvement du cinéma amateur tunisien. J’aime et je préfère le grand écran. Voir un film à la télé ça m’étouffe, alors sur l’écran d’un ordinateur, ça me donne la nausée. Pour ça, Paris est une ville magnifique ! Il y a toujours des rétrospectives du cinéma. Si j’ai de la chance, je revois les films à la cinémathèque ou bien dans les salles comme le Champollion (Le «Champo»), le Reflet, les «rétro» de Mk2 Beaubourg et dans plusieurs autres salles parisiennes. Dans ce sens, nous cinéphiles, sommes tristes pour la fermeture de la salle Accattone, rue Cujas dans le 5ème. J’ai revu dans cette salle Mort à Venise de Visconti, Music Lovers de Ken Russel, les films de Derek Jarman et beaucoup d’autres bijoux et chefs d’œuvre du 7ème art.

Publié le 30 janvier par Samir Ardjoum

Source : http://de-marchefilmique.blogspot.fr


 

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire