TAREK SARDI : «LA FTCA, UNE MANIERE D’ÊTRE, UN ESPRIT, UNE CONVICTION A VIE»

Par Rim BEN FRAJ (Journaliste indépendante) – huffpostmaghreb.com – 07/08/2017

À 24 ans, Tarek Sardi est un jeune entrepreneur, fondateur du café culturel Ser w Kamun; juste avant il était chargé de programmation au cinéma «Le Rio», mais à l’origine, Tarek Sardi est un jeune cinéaste. Il a réalisé plusieurs films dans le cadre de la FTCA et d’autres auto-produits.

Actuellement, il est membre du bureau fédéral de la FTCA, chargé de la production. Avec l’association Mass’Art, il forme et encadre des jeunes, des moins jeunes et des enfants qui n’ont pas accès à la culture et aux outils de création artistique, et ce dans les centres de réintégration et de protection sociale.

Tarek les aide à réaliser leurs propres films en passant par toute la chaîne de production, de l’écriture au montage. «Pour ces jeunes, le cinéma n’est pas une finalité mais un moyen de s’extérioriser et d’arriver à communiquer».

La Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs a formé trois générations de Tunisiennes et Tunisiens au cinéma. Tarek Sardi est représentatif de la deuxième génération. Depuis tout jeune, il en a été un membre actif.

«J’ai grandi dans un milieu où le cinéma est engagé, j’ai regardé des centaines de films d’auteur.

Pas mal d’entre nous sont devenus des professionnels et continuent à refuser d’entrer dans le système du cinéma industriel et continuent à faire du cinéma indépendant.

En plus de la formation technique, au sein de la FTCA, on reçoit une formation idéologique et une approche assez philosophique de l’image et du cinéma en général».

Au sein de FTCA, la formation que j’ai reçue et que je reçois depuis plus de 10 ans est toujours d’actualité. Avec des formateurs du monde entier, les membres sont tenus de réaliser chaque année au moins 2 films, ce qui leur permet d’acquérir un très bon niveau et d’entamer une vie professionnelle brillante.

On a tous, du moins pour ma génération, essayé le système universitaire, qu’on trouve moins utile et moins concret et de plus archaïque et dépassé».

C’est quoi, la FTCA ?

C’est la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs, un organisme indépendant qui a plus de 50 ans. Elle est principalement financé par le CNCI (Centre National du Cinéma et de l’Image) et d’autres organismes d’État comme le ministère de la Culture.

Elle compte 18 clubs et plus de 400 membres sur le territoire tunisien. L’année dernière, on y a réalisé et produit 26 films.

Chaque année, la Fédération organise le Festival International du Film Amateur de Kélibia (FIFAK), où j’ai, à plusieurs reprises, fait partie du comité directeur. Nous offrons 2 stages nationaux internes de 3 à 5 jours pour les membres de nos clubs, sur toutes les pratiques du cinéma, où, comme activités, nous réalisons des projets de films. 

Qui peut adhérer à la FTCA ?

Tout le monde peut adhérer à la FTCA, c’est ce qu’on appelle le cinéma populaire : on a des membres qui font toutes sortes de métiers, du médecin au menuisier, de la femme au foyer à l’étudiant. Ils y font le cinéma du réel, qui exprime leur réalité.

Quel est l’apport de la FTCA à la culture tunisienne ?

Pour la FTCA, il y a eu deux périodes, avant et après le 14 janvier.

Avant, c’était le dernier rempart contre la censure de l’ère Ben Ali, sa direction a été attaquée à plusieurs reprises et les adhérents étaient tout le temps sous contrôle et elle aussi était une couveuse pour plusieurs partis politiques de gauche, qui travaillaient dans la clandestinité.

Après le 14 janvier, la censure a pris d’autres formes, comme le financement et les réseaux de distribution.

Et nous aussi, nous avons évolué et notre rôle a changé. Nous sommes entrés dans le concept du film d’intervention et des films idéologiques.

Nous avons réalisé des films qui traitent des sujets comme les pathologies sociales ou bien les notions sociales archaïques et dépassées, et nous avons réalisé des films qui traitent de l’actualité et de thèmes socio-économiques, qui parlent surtout des classes sociales écrasées.

On peut citer l’exemple du film «Une île aux enchères» réalisé en 2016 au sein du club de Sfax «Heni Jaouharia» par Majdi Kaanich, sur les plateformes pétrolières de Kerkennah et le mouvement populaire et social de revendications qui a eu lieu sur place. Il a traité le sujet sous un angle neutre.

Parle-nous de tes films

Au sein de la FTCA j’ai réalisé deux films. Mon premier, s’intitule «Le fou, l’intellectuel artiste». C’est un film expérimental d’une dizaine de minutes, très abstrait, un traitement littéraire et anthropologique du Coran sans aucune approche religieuse, qui parle des classes marginalisées dans la société : les fous, les artistes et les intellectuels qui essayent de trouver un terrain d’entente entre eux, un film basé sur l’esthétique et sur le corps, sans narration.

Mon deuxième film, «Au nom du père et du fils», est un huis clos familial sous couvre-feu militaire. Il raconte l’évolution des relations au sein de cette famille dans une situation métaphorique, traitant de la nature des relations dans le patriarcat.

Je suis moins dans le concret, plus dans l’idéologie. J’essaye de faire une analyse assez objective de la structure sociale dans laquelle je vis avec un plus artistique et j’essaye de ne pas donner de leçons et d’être assez subtil, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas : c’est la création.

Hors FTCA, j’ai un long-métrage auto-produit, tourné pendant le dernier Forum social mondial à Tunis, sur le conflit des générations et la corruption dans la société civile du Tiers-monde.

Je compte créer une boîte de production intégrée dans le système, car les projets prêts demandent des moyens de financement et une auto-production ne suffit pas pour concrétiser des projets de films à moyen budget.

Un mot pour conclure ?

Oui. Comme plusieurs jeunes Tunisiens, j’ai eu la chance de faire partie de la FTCA, mais il y a des talents autodidactes qui sont en train de réaliser de bons films, que je trouve plus compétents que ceux qui sortent des facultés. Parce qu’on parle de création artistique qui n’est pas une science exacte.

Ce qui est en jeu, c’est la sensibilité, le talent et surtout la passion. Ces jeunes sont malheureusement rejetés par le système administratif et éducatif tunisien, qui est archaïque.

Il faut profiter de leurs talents sinon, comme les générations précédentes, ils vont trouver leur place ailleurs qu’en Tunisie.

Source : https://www.huffpostmaghreb.com/


 

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