FÉRID BOUGHEDIR : JE TENDS UN MIROIR AIMABLE A LA SOCIÉTÉ

Férid Boughedir, JCC 1972, direction des-débats en présence de Tahar Chériaa

Entretien par Alya Hamza – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 27-06-2016

Cinéaste reconnu, critique de cinéma, défenseur acharné de la cause du septième art en Afrique, Férid Boughedir assume toutes les casquettes. Ses films constituent un véritable phénomène de longévité. «Halfaouine» et «Un été à la Goulette» continuent d’être régulièrement programmés sur toutes les chaînes françaises.
Aujourd’hui, Férid Boughedir met la dernière touche à une fable ironique qui s’appellera «Zizou» en Tunisie, et qui a pour nom «Parfum de printemps» en France où, pour des raisons de coproduction, elle est déjà sortie, et a remporté un succès certain.
C’est parce qu’on vous aime qu’on peut vous le reprocher : tous vos films ont été des succès d’une étonnante longévité. Pourquoi n’en faites-vous pas plus ? Pourquoi êtes-vous si rare sur les écrans ?

Tout d’abord parce que j’ai plusieurs profils. Si celui de réalisateur est le plus connu, ce n’est point le seul dans lequel je m’investis. Je suis professeur à l’université où j’enseigne le cinéma. Je suis critique cinématographique pour Jeune Afrique. Mais aussi et surtout je milite et j’ai toujours milité pour le développement du cinéma en Tunisie et en Afrique. Depuis le jour où j’ai mis les pieds dans une cinémathèque, que dirigeait à l’époque Tahar Cheriâa, j’ai épousé sa cause et son combat. Il voulait que nous ne soyons plus les consommateurs passifs d’images venues d’ailleurs, mais les créateurs de nos propres images. En créant les JCC, il a inventé une stratégie de combat sur toute l’Afrique.

En vous faisant l’héritier de Tahar Cheriâa, comment menez-vous ce combat ?

  • J’ai été président de la Commission nationale de réforme de la législation du cinéma. Puis j’ai été le coordinateur de toutes les associations et organisations touchant au cinéma nées avant ou après la révolution pour ces réformes. Notre but premier : pousser l’Etat à créer un centre du cinéma. Nous avons obtenu la création du Centre national du cinéma et de l’image, mais malheureusement sans obtenir la loi pour le financement du cinéma. Il nous faut instaurer des lois qui font que l’audiovisuel soit financé par l’audiovisuel et non par les caisses de l’Etat. Cela n’est pas nouveau et existe en France, en Espagne.
    Nous étions pionniers en Afrique grâce à la loi de 1981 qui consacre une partie des recettes du cinéma et des bénéfices des distributeurs au financement du cinéma national. Depuis, nous avons été dépassés par le Maroc, le Burkina Faso et le Tchad qui ont su suivre l’évolution de l’audiovisuel et des nouvelles technologies. Le Maroc consacre une partie des recettes de publicité de la télévision, et des redevances au financement du cinéma. Ce qui fait que le Maroc qui produisait trois films par an en produit trente aujourd’hui. Le Tchad, quant à lui, prélève un pourcentage sur les bénéfices des opérateurs téléphoniques.
    Aujourd’hui, nous avons donc une structure, le CNC, il nous manque les lois pour le faire fonctionner. Et cela devient urgent avec une dizaine d’écoles de cinéma qui produisent trois cents jeunes cinéastes par an.
    Sur le plan africain, j’ai mis quatre ans à mener des actions tout aussi bénévoles pour mettre sur pied le Fpca, Fonds panafricain du cinéma et de l’audiovisuel, un des outils pour le développement du cinéma africain que rêvait de mettre sur pied mon père spirituel Tahar Cheriâa.

Parlez-nous de ce nouveau film qui provoque déjà de nombreux échos ?

  • Je suis un cinéaste assez particulier, je suis un cinéphile amoureux du cinéma. Je ne fais pas un film pour faire carrière, mais seulement quand je pense qu’il est temps pour la société d’écouter certaines vérités.
    Et comme j’aime le cinéma populaire, que je n’ai pas d’idéologie, que je ne me veux pas donneur de leçons, je veux que le public prenne du plaisir face à un film qui soit le miroir de son identité. Une identité quelque peu malmenée en ces jours. Moi, je suis amoureux de l’âme tunisienne, une âme que des millénaires ont façonnée pour lui donner une culture du consensus. Ce consensus qui nous a offert le Nobel de la Paix. Disons que je suis un artiste qui tend un miroir aimable à la société. Un miroir qui peut l’aider à se structurer.

N’avez-vous pas la nette impression qu’il se passe quelque chose de nouveau dans le monde du cinéma en Tunisie ?

  • Chaque année, après les JCC qui affichent toujours complet sans surprises, le souffle retombe, les gens retournent à leur télévision, à leur décodeur, à leurs films piratés. Le miracle, cette année, c’est que ce n’est pas retombé. Depuis novembre dernier, les succès se succèdent et emplissent les salles. Il y a eu une série prodigieuse de premiers films : Farès Nanâa, avec «Fenêtres du ciel», énorme succès. Leïla Bouzid avec «A peine j’ouvre les yeux», énorme succès. Sonia Chamekh avec «Narcisse», énorme succès. Mohamed Ben Attia avec «Nhabek Hédi», énorme succès. Quatre premières œuvres, et ce qui est formidable, une totale parité, deux filles deux garçons, tous affichaient complet. D’autres succès de cinéastes déjà confirmés : «Diktashot» de Mokhtar Ladjimi, «Leïla» de Mohamed Zran. On peut le dire, les Tunisiens renouent avec leur cinéma avec ferveur. Il y a une véritable movida.

Comment l’expliquez-vous ?

  • J’ai peut-être une explication, elle vaut ce qu’elle vaut. 2015 a été une année terrible. Le Bardo, Sousse, la garde présidentielle, autant de drames, de douleurs…
    Je pense que les Tunisiens ont eu envie de voir le reflet de leur société ensemble, au coude à coude. De faire bloc dans une même salle et pas chacun chez soi devant son écran. Peut-être que l’on peut employer le mot catharsis. Et aussi de solidarité.

Votre film aussi propose un reflet de la société.

  • Par tempérament, je préfère l’humour au drame. Mais je pense aussi que l’humour donne une distance salutaire par rapport à l’époque que nous vivons. Si le spectateur arrive à sourire d’une chose, elle va moins l’accabler. J’ai donc fait une fable ironique sur la révolution du jasmin, même si le Tunisien n’aime pas cette appellation, ni d’ailleurs celle de printemps arabe qui leur a apporté un lot de déboires. C’est une fable profondément tunisienne, et que j’espère universelle.

Le film a plusieurs fois changé de nom, et vous a causé quelques soucis. Que s’est-il passé ?

  • Le film a été tourné en arabe, sur des dialogues de Taoufik Jebali. Quand j’avais tourné «Halfaouine», le coproducteur se contentait de doubler la version arabe en français pour la présenter sur les chaînes françaises. Aujourd’hui, au nom de la défense de la langue française, le coproducteur exige que la moitié du film soit tournée en français, ce qui nous a contraint à un autre montage et à un autre mixage. Quant au nom, j’avais d’abord choisi «L’ange des paraboles», puis «La parabole de Zizou», puis «Zizou» tout court. Pour la version française, on a craint de créer l’amalgame avec Zineddine Zidane, et donc on a choisi «Parfum de printemps», ce qui est aussi un clin d’œil ironique au second degré.

La version française est déjà sortie, et le film a été présenté dans des festivals internationaux. Quand sera-t-il présenté en Tunisie ?

  • C’est une coproduction franco-tunisienne, et le coproducteur français a mis en priorité la version française, d’autant que la version tunisienne est encore en cours de finition. Le film est sorti à Paris, sur les Champs-Elysées et à Saint Germain le 20 avril. L’avant-première avait eu lieu au Cinéma des Cinéastes, place de Clichy, organisée par l’Association des cinéastes, et parrainée par Claudia Cardinale et Gilles Jacob, le président d’honneur du Festival de Cannes. Mais la première mondiale avait eu lieu le 15 avril, au Festival international du film de Washington, et y avait reçu un magnifique accueil. A la suite de quoi, Michael Moore l’a invité à participer à son festival «Traverse City Film Festival», le 23 juillet prochain, festival connu pour présenter les films du monde entier qui luttent pour la démocratie. En France, le film a également participé au Festival des Films du Sud qui l’a d’ailleurs choisi pour son affiche.

Quand est donc prévue la sortie tunisienne du film ?

  • Au début du mois de septembre prochain. Le montage et le mixage étant différents, nous en sommes aux dernières retouches techniques. Ces finitions seront faites cet été et le film sortira à la rentrée dans toutes les salles du pays

Auteur : Alya HAMZA

Ajouté le : 27-06-2016

Source : http://www.lapresse.tn


 

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