JAMAL MADANI : INTERVIEW

Par Neïla Azouz – jetsetmagazine.net – Publié le 02.07.2008

Jet Set : Racontez-nous vos débuts

  • Ça a commencé avec les amis du quartier, on essayait, on jouait, on voulait devenir acteurs sans vraiment savoir pourquoi, puis, petit à petit, on a débuté pour de bon, en parallèle avec nos études, notre travail… en tant qu’amateurs. J’ai par la suite laissé tomber ce qu’il y avait à côté pour exercer un vrai métier.
    À mes débuts, j’ai travaillé avec plusieurs noms devenus connus dans le métier, comme Bachir Ghariani, Jamal Sassi, Ikram Azouz… On était de la même génération et on a commencé notre parcours à la même période.
    On participait au Festival de Korba, qui malheureusement n’existe plus, et c’est avec ces festivals amateurs qu’on est passé de l’amateurisme au professionnalisme.
    Ensuite, je me suis un peu éloigné de la scène pour travailler dans les coulisses, je me suis plus intéressé au côté technique. J’ai travaillé avec des troupes connues, comme le nouveau théâtre dans la pièce « El Awada », le théâtre national avec Mohamed Driss. Puis j’ai été assistant-décorateur avec Fadhel Jaibi sur le film « Chichkhan », et constructeur décor avec Ali Laabidi dans « Barg ellil ».
    J’ai eu par la suite l’opportunité de retravailler avec Jaïbi sur la pièce « Comedia » comme régisseur plateau. Je lui ai raconté mon parcours et il m’a proposé de faire un essai. C’est là que j’ai repris ma carrière de comédien. J’ai eu de la chance, mais une chance calculée, si je puis dire, car je n’ai jamais arrêté d’étudier, de voir, de lire… Même si je m’étais éloigné de la scène, j’ai toujours été là à tout observer.
    Puis j’ai joué dans la pièce « Don Juan, cadavre encerclé »… puis ont suivi d’autres pièces, d’autres aventures, jusqu’à aujourd’hui.

Jet Set : Vous avez commencé par le théâtre, puis vous avez fait du cinéma et de la télé. Où vous sentez-vous le plus à l’aise ?

  • Chaque chose a son charme, son environnement, ses problèmes… Je n’ai pas de préférence particulière. Quand on adopte un personnage, on le prend totalement et de la même manière, que ce soit au théâtre, au cinéma ou à la télé. J’ai peut-être une petite préférence pour le théâtre, car ce dernier produit plus que le cinéma ; on peut travailler pendant des années au théâtre et n’avoir qu’un seul rôle au cinéma. Quand on revient en arrière, le cinéma et la télé ont été inventés pour filmer le théâtre, la différence entre les trois est futile

Jet Set : Est-ce le fait de devenir technicien qui vous a permis de revenir sur scène ou est-ce le fruit du hasard ?

  • J’aime le théâtre en général et, à un certain moment j’ai eu une période de remise en question, je n’étais plus satisfait de ce que je faisais, de la qualité de ce qui m’était présenté. Et puisque j’aime le théâtre et que je ne pouvais pas m’en éloigner, j’ai utilisé me talents de bricoleur et mon diplôme de menuiserie pour rester dans le domaine, mais d’une autre manière. Tout est important dans le théâtre, du technicien à l’acteur, au metteur en scène, il n’y a pas de hiérarchie. On voit de plus en plus dans notre société le complexe du chef d’orchestre : ce ne sont plus les joueurs d’une équipe qui importent, mais plutôt le président du club. Tout ça pour dire qu’on ressent aussi ce phénomène dans notre métier : le metteur en scène ou le réalisateur, par exemple, est mis en avant, alors que ce sont les acteurs qui prennent toute la responsabilité pour que l’œuvre se réalise et prenne forme. Les acteurs ne sont pas des marionnettes.
    Pour revenir à votre question, je n’ai pas vraiment utilisé mon statut de technicien pour avoir une porte d’entrée dans le théâtre, mais c’est vrai que le technicien dans ce métier a un œil d’observateur, il est aux premières loges, il apprend de ce qu’il voit et s’imprègne des expériences sur les plateaux.

Jet Set : Est-ce que vous écrivez ?

  • On veut tous raconter une histoire, mais chaque chose en son temps. L’idée existe, mais il faut que je trouve le temps. Je crois que ça viendra quand il le faudra.

Jet Set : Vous vous voyez de l’autre côté de la caméra en train de diriger des acteurs ?

  • Oui, pourquoi pas, ça viendra un jour. Je ne suis pas pressé. Je vous avoue que je n’aime pas du tout la célébrité.

Jet Set : Pourquoi n’aimez-vous pas la célébrité ?

  • Parce qu’elle est fausse.

Jet Set : Qu’est-ce qui vous dérange le plus ?

  • L’artiste est un observateur, il aime passer inaperçu pour en quelque sorte étudier les gens, leur comportement, choses vitales pour lui et pour son métier. Quand il devient célèbre, il est désormais observé et ne bénéficie plus du privilège d’observateur. Je pense aussi que tout le monde est intéressant, les acteurs ou les gens connus ne le sont pas plus que n’importe qui.

Jet Set : Parlez-nous de vos projets

  • J’ai joué dans deux feuilletons à la télé qui seront diffusés pendant Ramadan. Ce sont des personnages nouveaux, une expérience différente des rôles que j’ai joués. Ce sont des rôles secondaires mais qui ont leur importance dans l’histoire.
    On est aussi en train de filmer une série policière pour la télé, qui sera diffusée après Ramadan, une sorte d’Ibhath maana revisitée et modernisée.
    Au cinéma, j’ai joué dans le film d’Ibrahim Letaief « Cine-Città ». J’ai écrit un court-métrage dans lequel je vais jouer, et je remercie Jilani Saadi qui a accepté de le réaliser. C’est l’histoire d’un homme qui s’est regardé dans une flaque d’eau, son visage ne lui a pas plu, il l’a insulté et, en rentrant chez lui, il se rend compte en se regardant dans le miroir qu’il n’a plus de visage.
    J’ai aussi reçu des propositions dans le cinéma qui doivent encore se concrétiser, comme un film avec Ridha El Bahi.
    Au théâtre il y aussi plein de projets, on va commencer à répéter « Kot najim nebki » (réalisation de Jamal Sassi, texte de Lassad Ben Hessin). Seront sur scène Jamila Chihi, Nouredine El Ergui et moi-même. C’est tiré d’un des textes du défunt poète Ridha Jamali. C’est l’histoire d’un poète qui entre dans la vie d’un couple à problèmes et, grâce à cette intrusion, ces deux personnes commencent à comprendre et à résoudre leurs problèmes.
    Il y a aussi un autre projet avec Nourredine Elouerghi, « Ya ommaton dhahikat » avec Najia Elouerghi. Il y a plusieurs projets en vue, il faut juste espérer trouver le temps de les faire. Sans parler de la tournée de Khamsoun qui continue un peu partout en Tunisie et à l’étranger.

Jet Set : Vous avez des projets à l’étranger ?

  • Oui, j’ai une proposition de la part d’un réalisateur et acteur syrien, Abdelmonoom Emaydia, pour une pièce de théâtre en Syrie. J’ai accepté mais c’est encore au stade de la préparation.

Jet Set : Parlons un peu de vos rôles. Quel est celui qui vous tient le plus à cœur, qui vous a propulsé en quelque sorte ?

  • Quand j’ai démissionné du Théâtre national en 1997, je me suis senti repoussé par certains réalisateurs et metteurs en scène. J’ai été par la suite le gérant du musicien Mokdad Shili, ce qui m’a complètement éloigné du théâtre. J’ai accepté de revenir en 1999 avec Mounir El Ergui, Wajiha El Jandoubi et Atef Ben Hassin dans la pièce « Bahja ». J’y ai trouvé une bonne ambiance de théâtre, celle qui me plaisait, des personnes de ma génération, on était sur la même longueur d’onde, on avait les mêmes centres d’intérêt. C’est pour ça que cette pièce me tient vraiment à cœur, elle m’a aidé à me réconcilier et à retrouver le théâtre que j’aimais.
    « Khamsoun » aussi est une pièce à laquelle je dois beaucoup, elle m’a permis de me faire connaître par le public tunisien et étranger.
    Il y a aussi « Comedia », une pièce qui m’a permis de jouer avec des grands du théâtre, comme Kamel Touati, Hichem Rostom, Jalila Bakkar, Ali Meftah, Zahira Ben Ammar, Slah Msadak, Kawther El Bardi, tout ça dirigé par un grand comme Fadhel Jaibi.
    Et en dernier et pas des moindres, la pièce de Mohamed Driss, « Mourad III », qui est pour moi une référence du théâtre tunisien. J’y ai joué le rôle de Brahim Cherif, pour lequel j’ai reçu les compliments des grands du métier, qui ont dit que Jamal Madani avait donné un souffle nouveau à ce rôle et peut-être au théâtre tunisien.
    Au cinéma, c’est sûrement mon rôle dans le court métrage « Visa » qui m’a fait connaître, plus que tous les longs-métrages que j’ai ou que je pourrais tourner. Et là, je reviens toujours à l’importance de l’ambiance du tournage, c’est essentiellement ce qui fait la réussite d’une création.
    En deuxième position vient mon rôle dans « L’Odyssée » de Brahim Babai.
    Mais je n’ai pas encore joué un grand rôle au cinéma pour pouvoir dire que j’ai vraiment fait du cinéma.
    Et, à la télé, le personnage de Said El Fahem du feuilleton « Hsabet ou akabet » a eu beaucoup de succès car en premier lieu il a été très bien écrit par Ali Louati, il l’a mieux écrit que le rôle principal Lazhar Arrouch, et en deuxième lieu c’était un personnage que je connaissais puisque, ayant côtoyé plusieurs poètes, je connaissais leur façon de penser, de parler, de vivre.
    Le personnage de Mehdi dans le feuilleton « Itr el ghadhab » a été un personnage qui a inscrit une empreinte insolite et nouvelle à la télé tunisienne. Quand j’ai lu le scénario, j’ai eu la chair de poule, même les téléspectateurs ont eu la même réaction à chaque apparition du personnage.
    Je crois que ce qui fait le succès de ses personnages, c’est la réalité de ses rôles, on les connaît, ils sont proches de nous, ils existent dans notre société.

Jet Set : La plupart des acteurs tunisiens se plaignent du cinéma, ils ne sont généralement pas contents de l’évolution de cet art et pensent qu’on devrait faire plus. Qu’en dites-vous ?

  • Personne ne m’a obligé à devenir acteur. C’est moi qui ai choisi cette voie, j’en connaissais les difficultés, je n’ai aucune raison de m’en plaindre maintenant. Il n’y a pas de période mieux qu’une autre, quand on aime une chose on y met du sien, et le résultat arrive. Il n’y a pas de raison pour que ça ne marche pas. On s’impose avec nos créations, nos idées, et si elles sont brillantes, elles sortent du lot pour récolter leur succès. Il y a du bon et du mauvais dans notre métier, on essaye de résoudre les problèmes mais il ne faut pas trop en demander. L’art en Tunisie est encore un enfant qui veut grandir, il faut aller à son rythme et l’aider à croître.

Propos recueillis par Neïla Azouz

Source : http://www.jetsetmagazine.net


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