Il était difficile, il y a quelques années, d’assister à la projection d’un film français de grande consommation et d’y découvrir un personnage d’Arabe : l’immigré maghrébin était persona non grata sur les écrans de l’hexagone et, par conséquent, sur ceux de l’Afrique francophone qui en demeurent les succursales. Seuls quelques films militants se penchaient sur la condition de la communauté maghrébine en France, mais leur diffusion confidentielle faisait qu’ils ne prêchaient que des convertis !
Aujourd’hui, le spectateur du film «Police», de Maurice Pialat, un événement cinématographique qui réunit le couple vedette Gérard Depardieu – Sophie Marceau, peut constater que le Maghrébin a enfin droit de cité au cinéma français. Mais dans quel état ! Tous les Arabes que traque l’inspecteur de police Mangin (Gérard Depardieu) sont des trafiquants de drogue, des proxénètes, des petits truands minables, misogynes, tricheurs et truqueurs. Cette image de marque récente se répand dans le cinéma français depuis quatre films au moins : «Le Grand frère» de Francis Girod (avec déjà Depardieu) où un jeune Arabe contraint sa sœur à se prostituer : «La Balance» de Bob Swaim, «Tchao Pantin» de Claude Berri, où tous les Arabes sont revendeurs de drogue, et même «Le Thé au harem d’Archimède» de Mehdi Charef, où, pour sympathique qu’il soit, le personnage du jeune Arabe n’en demeure pas moins voleur et proxénète…
Ces films de «fiction», perçus comme divertissement sans conséquence, risquent de fixer davantage, sous forme de cliché indiscutable, ce qui n’est parfois que latent dans l’imaginaire collectif des Français : la certitude que tout Maghrébin vivant en France est un truand ! Ainsi, l’Arabe commence à jouer aujourd’hui dans le cinéma français le rôle que joue le Noir américain des ghettos dans les films policiers «made in USA», et celui que jouait le Peau rouge dans les premiers westerns, où l’on déclarait sans complexes : «Un bon Indien est un Indien mort».
La façon dont l’acteur de gauche Gérard Depardieu bouffe de l’Arabe dans «Police» ne peut que réjouir les sympathisants de l’extrême droite, pour qui tous les Maghrébins de France sont à expulser séance tenante, et … contribuer à convaincre les autres.
Car ce qui est inquiétant, ce qui fait problème dans ce film… c’est le talent. Celui du réalisateur Maurice Pialat, un des meilleurs cinéastes français actuels, qui décrit les rapports du policier et des voyous avec une force et une vérité étonnantes ; celui de Gérard Depardieu, qui a obtenu pour ce rôle le Prix (mérité) du meilleur acteur au dernier Festival de Venise, en septembre 1985.
Tant que les films de série B, peu crédibles, s’attachaient à fixer cette image du «méchant Arabe», cela semblait relativement anodin.
Mais aujourd’hui que les meilleurs hommes de cinéma s’y mettent à leur tour, faut-il croire que le cinéma vole au secours de Jean-Marie Le Pen ?
Par Férid Boughedir
Jeune Afrique n° 1296 du 6 novembre 1985
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