LES FILLES D’OLFA, AUX RACINES DE LA RADICALISATION

De : Valentin Maniglia – lequotidien.lu- Publié le 13/09/23

La réalisatrice de «Les Filles d’Olfa», Kaouther Ben Hania, décrit une société patriarcale qui annihile les femmes, tout en étant obsédée par elles.

Elle a voulu raconter la «malédiction» qui s’est abattue sur une mère de famille tunisienne confrontée à la radicalisation de deux de ses filles : dans «Les Filles d’Olfa», Kaouther Ben Hania convoque les démons du terrorisme pour les exorciser.

Présenté en mai au Festival de Cannes, «Les Filles d’Olfa» y a remporté l’Œil d’Or (ex-æquo avec «La Mère de tous les mensonges», de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir, qui récompense le meilleur documentaire.

Pas entièrement un documentaire, ni totalement une fiction, le sixième film de Kaouther Ben Hania est un objet hybride dédié à l’histoire d’Olfa Hamrouni, une Tunisienne qui a acquis une notoriété internationale en 2016 en rendant publique la radicalisation de ses adolescentes, Rahma et Ghofrane. Les deux sœurs ont quitté la Tunisie pour aller combattre aux côtés de l’État islamique (EI) en Libye, où elles ont été arrêtées et incarcérées.

Dès les premières minutes, le spectateur comprend qu’il est face à un dispositif singulier où évoluent la mère de famille ainsi qu’une actrice jouant son rôle. Par moments, la réalisatrice est même directement interpellée par ses acteurs.

«Ce projet est aussi un film sur le cinéma, sur le travail d’acteur et sur les souvenirs du passé», a expliqué à Cannes Kaouther Ben Hania, révélée au grand public grâce à son thriller sur une victime d’un viol «La Belle et la meute» (2017), puis avec le film coup de poing «L’Homme qui a vendu sa peau» (2020), l’histoire d’un migrant syrien transformé, en Europe, en œuvre d’art vivante. «Ce qui me manquait pour comprendre leur départ en Libye, c’était le passé. Ce passé, je ne pouvais que le reconstituer à l’aide d’actrices. C’est ce que j’ai fait», a résumé la cinéaste sur son procédé.

Dès 2016, Kaouther Ben Hania s’est intéressée à l’histoire d’Olfa, sans «trop savoir ce (qu’elle) allai(t) en faire», a-t-elle avoué. Ce n’est que pendant le confinement de mars 2020 qu’elle dit avoir compris comment mener son projet à bien. Et le spectateur d’entrer dans le film avec l’impression d’avoir affaire à un «making of».

Fiction ? Documentaire ? Très vite, les genres se mélangent. Deux actrices jouant Rahma et Ghofrane sont aussi dirigées par Eya Chikhaoui, sœur des deux disparues, qui incarne son propre rôle. Des scènes de vie quotidienne, de l’enfance à l’adolescence, sont ainsi reconstituées. Des extraits de journaux télévisés mentionnant l’affaire rythment le film.

«Il y a eu beaucoup d’émotions. Beaucoup de choses qui n’avaient jamais été dites ont pu enfin être dites au grand jour», a poursuivi Kaouther Ben Hania. «Je voulais explorer la transmission de la violence. Cette violence qu’on se transmet de mère en fille et qui n’est pas le propre de la société tunisienne».

La grande force du film réside dans sa capacité à déployer tout un panel d’émotions : du choc à la sidération en passant par la tristesse, mais aussi par l’impuissance. Le tournage lui-même a été un «laboratoire thérapeutique», a confié la réalisatrice. «Les Filles d’Olfa» n’est pas seulement le récit d’une tragédie familiale. C’est avant tout celui d’une société, longtemps préservée du radicalisme religieux, qui sombre dans un islam radical.

Un récit raconté par et à travers le regard des femmes. Kaouther Ben Hania décrit une société patriarcale qui annihile les femmes, tout en étant obsédée par elles. Le tout souvent orchestré par les mères de famille. Sur le terrain politique, elle raconte la révolution du jasmin, entre décembre 2010 et janvier 2011, et l’inexorable montée des islamistes.

Ces derniers prônent le voile intégral ? Pas de quoi effrayer Olfa, qui pense avant tout qu’il est une façon de «protéger» l’honneur, mais pas que, de ses filles. Mais quand deux d’entre elles se radicalisent, l’empêchant de sortir sans voile intégral, que dire, que faire ?

«Le nouveau monde n’arrive pas encore», a répondu la réalisatrice, interrogée sur son avis sur la situation politique de la Tunisie actuelle. Reste qu’«il y a quand même une liberté d’expression et une absence de censure qui ont permis aux artistes de prendre la parole et de s’exprimer, ce qui n’est pas le cas partout dans la région». Liberté qui a aussi rendu possible l’émergence «d’une nouvelle génération de cinéastes», dont Youssef Chebbi ou Erige Sehiri.

Source : https://lequotidien.lu/


Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire