CARNETS FESTIVALIERS (5) : BRÈVES RENCONTRES AU FIFAK

Par Hatem BOURIAL – webdo.tn – Vendredi 25 août 2023

Membres du jury international de la trente-sixième édition du Festival international du Film amateur de Kélibia, Marie-Clémentine Dusabejambo, Estephania Bonnet Alonso, Mats Grorud et Amine Messadi sont à la croisée des cinémas du monde.

Ce n’est pas une tâche aisée que celle qui consiste à visionner, digérer et évaluer une cinquantaine de films en une semaine. Complètement mobilisés, y compris tard dans la nuit, après les cycles de projections, les quatre membres du jury international du FIFAK 2023 s’acquittent remarquablement de leur mission.

Si nous connaissons et apprécions le parcours d’Amine Messadi, qui apporte une touche tunisienne aux travaux de ce jury, les trois autres membres sont moins connus du public tunisien et proviennent d’horizons lointains.

Les rencontrer, observer leurs interactions avec les films, le public ou la ville de Kélibia, a été pour moi un plaisir quotidien. Ces brèves rencontres avec ce trio qui a apporté sa diversité et son expertise au festival, n’a pas été la moindre des satisfactions. 

Marie-Clémentine Dusabejambo, une Tunisienne de cœur

C’est alors qu’elle participait à un festival en Italie que Marie-Clémentine Dusabejambo a, pour la première fois, entendu parler des Journées cinématographiques de Carthage.

C’était en 2011 et cette jeune Rwandaise faisait ses premiers pas dans la dissémination des festivals de cinéma. Sa première expérience remonte à cette année-là, lorsqu’elle est allée présenter la primeur de ses créations à New York.

Quelques mois plus tard, Marie-Clémentine Dusabejambo était en Tunisie pour participer aux JCC 2012 avec «Lyiza» son premier court-métrage qui sera distingué par un Tanit de Bronze.

Depuis, cette cinéaste qui vit à Kigali est souvent revenue en Tunisie. En 2014, elle était pour la première fois au FIFAK et y présentait un court-métrage. De même, elle ira au Festival de Hergla, puis de nouveau au Producers Network des JCC où elle a obtenu en 2016, un second Tanit de Bronze pour le court métrage « Une place pour moi« .

Devenue une habituée des Journées cinématographiques de Carthage, Marie-Clémentine Dusabejambo participera à l’édition 2018 et reviendra à Tunis pour y développer un projet de long-métrage dans le cadre d’un atelier d’écriture.

Cette jeune cinéaste considère que la Tunisie lui a beaucoup appris et apporté. Le contact avec des producteurs tunisiens comme Dorra Bouchoucha et Lina Ben Chaabane lui a ainsi permis d’élargir ses horizons et déployer son projet.

Mieux, c’est à Tunis, durant les Journées cinématographiques de Carthage qu’elle avoue avoir découvert le cinéma africain, notamment les œuvres du Sénégal et du Burkina Faso, qui sont inconnues du public de l’Afrique de l’Est.

C’est avec joie que Marie-Clémentine Dusabejambo a retrouvé Kélibia. Selon elle, l’esprit du FIFAK est unique en ce qu’il offre une plateforme pour les jeunes tout en ayant une dimension festive et communautaire. La cinéaste rwandaise résume sa pensée en soulignant le bien que cela fait d’être avec des jeunes talents et un public qui croient en quelque chose qui commence.

En une quinzaine d’années, la jurée rwandaise du FIFAK a réalisé quatre fictions courtes et quelques documentaires. Elle s’apprête, l’année prochaine, à tourner son premier long-métrage, un projet de vie comme elle le qualifie.

Pour l’heure, Marie-Clémentine Dusabejambo est pleinement investie dans les travaux du jury international du FIFAK et, avec des mots choisis et un regard serein, elle décrit le foisonnement créatif qu’elle découvre.

Mats Grorud, entre Palestine, Nigéria et Tunisie

Le premier séjour de Mats Grorud en Tunisie remonte à 2001. À l’époque, avec des amis, il avait entrepris un périple en voiture devant mener un groupe d’amis de Beyrouth à Tanger.

Seulement, le voyage allait s’arrêter aux frontières libyennes et le groupe se disperser. Mats Grorud prendra un avion pour Tunis et fera alors sa première rencontre avec notre pays.

Une vingtaine d’années plus tard, ce réalisateur danois allait être invité au Festival du Film amateur de Kélibia pour y présenter son film « Warda« . Si le film fut programmé à l’ouverture du FIFAK en 2022, son réalisateur ne pourra pas faire le déplacement. Et ce n’est qu’un an plus tard qu’il a posé ses valises à Kélibia en tant que membre du jury international.

Réalisé en 2018, « Warda » est un film-culte. Pour cette œuvre, Mats Grorud a vécu, durant une année, dans un camp de réfugiés palestiniens. Au cours d’un atelier à Kélibia, le cinéaste danois qui aujourd’hui réside au sud d’Oslo, a analysé les ressorts de cette œuvre avec les jeunes réalisateurs tunisiens.

Sa nouvelle expérience de cinéaste le mène maintenant vers le delta du Niger, entre violence et pollution extrêmes. C’est là qu’il réalise un projet filmique en immersion. Après trois mois passés au Nigéria, Mats Grorud travaille actuellement avec un scénariste nigérian pour ce projet qui ne devrait pas tarder à voir le jour.

Spécialiste en cinéma d’animation, Mats Grorud a parfait sa technique en Chine, où il a vécu une année en 2006. Après avoir réalisé trois films animés, ce réalisateur s’est tourné dès 2010 vers les problématiques politiques et sociales.

Il explique ainsi que la réalisation du film «Warda» est un chemin qui a duré huit ans et que, depuis, il est plongé dans son nouveau projet sur la piraterie moderne.

Adossé à Mikro Film, une société de production norvégienne indépendante, Mats Grorud suit un parcours qui l’a mené à Kélibia cette année. Son rôle de juré, il le joue pleinement tout en multipliant les rencontres professionnelles et en savourant les découvertes cinématographiques.

Estephania Bonnet Alonso, une productrice de l’hémisphère sud

C’est la première fois que la productrice Estephania Bonnet Alonso visite la Tunisie. Arrivée directement de Mexico où elle animait un atelier, cette Colombienne qui réside en Espagne depuis douze ans, est parvenue à Kélibia après un périple éprouvant.

Habituée de ces vols intercontinentaux où la récupération de sa propre énergie est un art qu’on finit par maîtriser, Estephania Bonnet Alonso a vite pris ses marques au sein du jury international du festival.

Attentive lors des projections, prenant des notes, en interaction avec les autres membres du jury, elle suit avec ravissement chaque soirée du festival et avoue être impressionnée par la vitalité du public et le cosmopolitisme du festival.

Cette productrice internationale aurait dû découvrir le FIFAK il y a un an, mais un workshop l’avait empêché de s’engager avec la Fédération tunisienne des Cinéastes amateurs. Ce n’était que partie remise, car une année plus tard, la voici venue à la découverte d’un festival dont le rayonnement international est indéniable.

Estephania Bonnet Alonso fait partie des nombreux opérateurs culturels qui savent que le FIFAK est autant un vivier qu’un observatoire, et une manifestation qui compte dans le paysage international.

Parlant de son projet qui a démarré en 2014 avec le soutien actif du cinéaste iranien Abbas Kiarostami pour les trois premières années, la productrice a souligné le caractère itinérant des ateliers qu’elle organise.

Chaque fois, l’atelier se déroule dans un pays différent, ce qui a mené PlayLab Films de Cuba au Pérou, de Barcelone à Mexico. Cette méthode nomade pousse les cinéastes qui participent aux ateliers à sortir de leur zone de confort et aussi ajuster leur créativité aux variations culturelles.

PlayLab Films se développe selon deux axes : un laboratoire créatif et un laboratoire de production. De la sorte, un soutien décisif est apporté aux artistes qui peuvent travailler sur leurs œuvres, puis être relayés pour la production et surtout la diffusion.

L’objectif proclamé d’Estephania Bonnet Alonso est d’appuyer les cinéastes émergents, puis propulser leurs carrières en les insérant dans des réseaux de diffusion à l’échelle internationale.

Les ateliers créatifs de PlayLab Films durent une douzaine de jours et se déroulent en cercle clos, avec pour but de décrocher du quotidien pour se consacrer au cinéma selon une approche pratique. Ces douze jours sont comparables à un stage bloqué, durant lequel chaque cinéaste devra créer une œuvre expérimentale.

À chaque fois, cinquante cinéastes sont rassemblés après avoir été choisis par un comité de sélection qui reçoit une moyenne de quatre cents candidatures. Plus tard, sur les cinquante films réalisés, une dizaine feront l’objet d’une diffusion internationale.

Cette année, des cinéastes de vingt-sept pays ont participé à l’atelier de Mexico et leurs œuvres sont appelées à bientôt circuler. Peut-être qu’à l’avenir, des réalisateurs tunisiens pourront trouver leur élan à partir de cette plateforme dédiée aux jeunes talents émergents.

Aujourd’hui, Estephania Bonnet Alonso produit et diffuse des réalisateurs de nombreux pays à l’image du Danemark, du Costa Rica, des USA, de Suisse ou d’Argentine.

La présence en Tunisie de cette productrice qui connaît parfaitement la région sud-américaine peut ouvrir des perspectives hispaniques à la diffusion des films tunisiens.

Mais pour l’heure, Estephania Bonnet Alonso est plongée dans le travail du jury international du FIFAK, une tâche ardue vu le nombre et la diversité des films, mais aussi une découverte esthétique et culturelle que l’invitée de la FTCA savoure à chaque projection.

Source : https://www.webdo.tn/


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