LA FTCA OU LA FTCC ?

Par : Hédi Khelil – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 30-04-2010.

Un long-métrage intitulé Au fil des images (Souar Moutaouatira), encore en chantier, est en train d’être réalisé par Habib Mestiri, cinéaste et ancien militant de la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA), grâce à une production diligentée par Radhi Trimèche, producteur, enseignant de cinéma et ancien responsable au sein de la SATPEC et de la FTCA, sur l’histoire du mouvement des cinéastes-amateurs en Tunisie. Ce film, en phase de finition, est monté par Karim Hamouda. C’est une œuvre qui a nécessité plus de cinq ans de documentation et de recherche d’images inédites remontant aux années soixante et qu’il fallait retrouver coûte que coûte. Ce documentaire, mû par une exigence d’histoire et de mémoire sur l’un des mouvements associatifs les plus importants à l’échelle du monde arabe et de l’Afrique, était plus qu’indispensable. Il ne reste maintenant qu’à réaliser un documentaire similaire sur une autre association avant-gardiste, la Fédération tunisienne des ciné-clubs (FTCC).

Main dans la main

Lorsque l’on connaît le rôle névralgique de la Fédération Tunisienne des Cinéastes Amateurs (FTCA), créée en 1962, et du Festival du film amateur de Kélibia, initié en 1964, dans l’impulsion d’une dynamique cinématographique et culturelle en Tunisie, le retour aux sources s’impose plus que jamais. Le cinéma tunisien, dit «professionnel», ne serait pas devenu ce qu’il est actuellement s’il n’y avait pas eu, dans une certaine mesure, l’apport déterminant de ce laboratoire de frustrations, d’expériences et de tâtonnements qu’est le cinéma non professionnel.

Les militants et adhérents de la FTCA fréquentaient assidûment les ciné-clubs. Si celle-ci a pu s’enraciner dans divers milieux de la société tunisienne et rayonner, c’était grâce, entre autres, à la FTCC, créée en 1949. Les vases communicants entre la FTCC et la FTCA étaient solides et la coopération et la solidarité entre les deux organisations étaient un impératif de tous les instants.

Toute tentative, actuellement, d’écrire ou de filmer l’historique de la FTCA serait vaine si elle ne tenait pas compte de la FTCC. L’une ne peut relever la tête sans l’autre.

L’âge d’or de la cinéphilie

La cinéphilie, initiée et développée au cours de la période faste des années 60 et 70 au sein des ciné-clubs, avait principalement pour repères le cinéma russe et notamment les films d’Eisenstein, le néo-réalisme italien, le cinéma d’Amérique latine et, bien sûr, la Nouvelle Vague française. Dans leurs premiers films, la plupart des cinéastes amateurs ont été marqués, d’une manière ou d’une autre, par cette culture cinématographique. Les préférences cinéphiliques étaient clairement affichées. Un cinéma du désenchantement national était en marche.

La part du néo-réalisme italien, dans La Poupée, le court-métrage d’Ahmed Khéchine réalisé en 1967, est évidente. À l’instar d’un Vittorio de Sica dans Le Voleur de bicyclette et Sciusia, ou d’un Luigi Comencini dans Les Enfants de la cité, les injustices sociales sont montrées du doigt à travers le regard lucide et percutant des enfants. L’écriture transitive, quasi naïve, est mise au service d’un cinéma social à vocation humaniste. Quant à Abdelwaheb Bouden, la liberté de ton, la perception distante et inquiète qu’ont ses personnages du monde qui les entoure, ne sont pas sans rappeler, dans ses deux films, Condamné à vivre en 1969 et Duel en 1971, l’univers de Fellini dans Les Nuits de Cabiria et surtout celui d’Antonioni dans Blow-up. Les films Seuils Interdits de Ridha Béhi, à mi-chemin de l’amateurisme et du professionnalisme, et La Grande illusion de Fethi Kémicha, réalisés tous les deux en 1972, conjuguent plusieurs influences. L’empreinte du néo-réalisme italien y est évidemment présente, comme le souligne la virulence de l’engagement social. Mais l’écriture moderne de ces deux films, à travers la graphie soignée des plans, la ciselure du cadre, la minutie des détails, incite plutôt à leur trouver une filiation dans le cinéma soviétique.

Ces films, dans lesquels de jeunes cinéastes jetaient un regard critique sur les contradictions et déchirements internes d’une société tunisienne en plein devenir, étaient en phase avec quelques films réalisés par des cinéastes professionnels. En 1968, Sadok Ben Aïcha réalise Mokhtar. Férid Boughedir, critique de cinéma, en est le co-scénariste et Lotfi Layouni et Abdellatif Ben Ammar, jeunes diplômés de l’Institut des hautes études cinématographiques de Paris (IDHEC), les directeurs de la photographie. Ce film, décrié à cause de sa facture intellectuelle, est une œuvre importante et de rupture qui, à travers l’évocation des tiraillements d’un écrivain francophone, donne à voir le monde comme il se vit, et amorce, dans la tradition consacrée par la Nouvelle Vague française, un cinéma d’auteur. En 1970, Abdellatif Ben Ammar, avec son premier long-métrage, Une si simple histoire, approfondit cette réflexion sur le désarroi d’une génération d’intellectuels tunisiens qui, de retour au pays, assoiffés de création et d’expression, sont confrontés aux dures réalités de la censure et à leurs propres blocages intérieurs. En 1972, Brahim Babaï réalise un film capital, Et demain…?, réquisitoire virulent contre les inégalités économiques et sociales entre la ville et le monde rural. Mais c’est en 1974 que le cinéma tunisien enregistre la naissance de son premier chef-d’œuvre, Sejnane, d’Abdellatif Ben Ammar, porteur d’un double regard sur la participation importante des masses travailleuses à la lutte de libération nationale et sur les vieilles traditions qui entravent l’émancipation de la femme tunisienne.

Auteur : Hédi Khelil

Ajouté le : 30-04-2010

Source : http://www.lapresse.tn/


 

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