Par Neila GHARBI – La Presse de Tunisie – Publié le 31/08/2023
Peut-on juger un film amateur comme on juge un film professionnel ? Quel regard poser sur un film amateur ? Quels sont les critères à adopter pour ce genre de cinéma ? Faut-il être sévère ou indulgent à l’égard de ces premières expériences cinématographiques ? Autant de questions qui méritent réflexion et auxquelles des professionnels présents à la 36e session du FIFAK ont apporté des ébauches de réponses.
La réalisatrice Salma Baccar, qui a fait ses premiers pas au Club de la FTCA de Hammam-Lif avant de passer au professionnalisme, estime que le plus important dans le cinéma amateur est la thématique. Quel message veut-on véhiculer ? C’est une position politique. La technique d’un film est devenue une donnée de base. De nos jours, l’avancée technologique a enrayé les difficultés. La technique devrait être acquise pour tous les films.
«Autrefois, on était indulgent à l’égard des films mal tournés, mal éclairés. La valeur thématique est primordiale, sans doute parce que j’ai évolué dans un cinéma militant. Parfois, dans certains films, le symbolisme tue le sens comme dans les deux fictions du club de la FTCA de Hammam-Lif proposées à la compétition : «Caged Bastards» de Wadii Klaii et Khalil Sad et «Sire Ex Machina» de Safé Khiari. Concernant les documentaires, il y a absence du langage cinématographique. La majorité est proche du reportage télé».
La pertinence du regard
De son côté, la réalisatrice de «Benzine», Sarra Laâbidi, qui est passée à ses débuts par un Club de la Ftca, considère qu’il n’y a pas d’égalité entre les films de la compétition internationale. Certains films sont coproduits dans un cadre professionnel par trois pays, tandis que d’autres films indépendants sont produits avec peu de moyens financiers. Ce déséquilibre crée un malaise. Il y a urgence à reformuler la compétition sur un pied d’égalité sans que les films soient lésés.
Que doit-on juger dans un film ? Les capacités techniques, la pertinence du sujet, les intentions, la fragilité ou l’originalité ? «Je pense qu’on doit revenir aux fondamentaux de la Ftca. Les membres du jury doivent être préparés en se mettant en tête qu’ils vont regarder des films amateurs non bâclés, bien sûr réalisés avec le cœur, les tripes, la passion. Le premier élément de jugement est la pertinence du regard, le point de vue, les intentions et la capacité de contourner les difficultés de la production. Il faut un regard original et captivant. Pour ce qui est de l’aspect technique du film, il faut être vigilant aux structures de production. Ce qui compte au niveau de l’écriture est l’intention artistique, l’originalité du propos et la manière de réaliser le film».
Toutefois, il est important de garder une fenêtre ouverte sur le monde, mais en programmant certains films hors compétition. D’un autre côté, il faut séparer les films d’écoles dont les réalisateurs ont un cursus académique et sont encadrés par des professionnels des films indépendants et de ceux des clubs de la FTCA. Il faut aussi imposer un timing ne dépassant pas 15 minutes, au-delà duquel un film ne peut être sélectionné en compétition. Il en est de même pour le respect des festivaliers et de leur confort. Car, il est impensable d’organiser des séances jusqu’à une heure du matin. Le meilleur moment pour un festivalier est celui de monter sur scène pour présenter son film. Il faut créer l’attachement, la pérennité et le partage dans une ambiance simple et bon enfant. En outre, il serait opportun d’inviter les réalisateurs étrangers dont les films sont en compétition afin qu’ils puissent dialoguer avec les jeunes cinéastes tunisiens.
Liberté, expérimentation et audace
Adel Abid, directeur de la 36e édition du FIFAK et président de la FTCA, reste convaincu qu’il n’y a pas de différence entre un film amateur et un film professionnel, sauf parfois les moyens qui sont plus importants chez les professionnels. «L’importance est l’idée, l’approche et le traitement sur lesquels on insiste lors des formations. Le point de vue du cinéaste prime. C’est le champ de liberté qui fait la différence entre professionnel et amateur. Pour le professionnel, il existe des contraintes, une absence d’audace dans l’expérimentation technique et dans le traitement du sujet. Dans un film, faire évoluer trois axes en même temps en inversant la chute de chaque axe peut devenir un style, chose que le cinéaste professionnel ne peut se permettre. Ce qui importe c’est l’esprit amateur, l’expérimentation, l’audace sans aucune restriction et sans autocensure. Il y a quelques années, on a créé une section «Coup de cœur» pour les formats de films qui ne peuvent pas figurer dans la compétition. La présence des films internationaux a permis aux amateurs tunisiens d’hisser haut la barre pour prétendre à la compétition. Notre but consiste à supprimer les barrières entre les professionnels et les amateurs. La différence entre eux est que le professionnel vit de son métier et les amateurs en font une passion».
Des critères à adopter
La journaliste Souad Ben Slimane pense qu’il ne faut pas oublier le principe selon lequel être amateur veut dire aimer et le cinéma sans pour autant en faire son métier. L’exemple de Ridha Ben Halima qui est resté toujours amateur sans jamais prétendre devenir un cinéaste professionnel est à ce titre très significatif. Par ailleurs, pour juger un film amateur, il y a lieu de sentir cette passion, cette sincérité et cette belle naïveté et s’assurer que ce film n’est pas produit pour d’autres intentions. «Le jury ne doit pas être très exigeant avec les amateurs. Si on sent qu’il y a un intérêt dans l’histoire du film, un langage cinématographique qui annonce quelque chose d’important, là le film mérite d’être primé.
On ne peut avoir la même exigence qu’avec les films professionnels. On demande à l’amateur d’être attentif à ce qu’il fait, pour qu’il ne propose pas par exemple un film avec des propos graves sans qu’il n’en soit conscient. Il y a des critères à adopter et un niveau requis pour ce qui est de l’aspect technique. L’amateur doit savoir par exemple ce qu’est un montage pour ne pas faire n’importe quoi. Il y a certaines limites qu’il ne faut pas dépasser en expliquant au cinéaste amateur les insuffisances de son film pour qu’il puisse les éviter».
Des circonstances atténuantes
Kamel Bellil, ex-cinéaste amateur, considère que les films amateurs ou professionnels disposent aujourd’hui des mêmes outils d’analyse émanant soit d’expériences personnelles soit de pratiques professionnelles. En connaissant les références esthétiques et techniques du cinéma, on peut alors juger l’œuvre à travers ces filtres. Cependant, il existe des circonstances atténuantes : le premier film, la culture, le parcours. Un jeune qui n’a pas fait d’école de cinéma a fait son apprentissage sur le tas, en confrontant des amateurs plus âgés qui peuvent le conduire à faire fausse route. C’est là qu’il peut y avoir des dérives. Il est demandé de faire un parcours juste, balisé dans les clubs de la FTCA. Autrefois, ce parcours comportait : la photographie, le photo-reportage, le documentaire puis la fiction. Le cinéaste amateur doit passer par toutes ces étapes. Actuellement, le parcours est libre à cause de l’absence de vision. Il y a des cinéastes amateurs qui n’ont jamais vu un film. Certains d’entre eux réalisent un film expérimental sans savoir ce qu’est ce genre.
Les principes imposés par la FTCA sont un cinéma de qualité, national dans le sens qu’il traite des problèmes d’intérêt général, outre les critères standard : le traitement scénaristique, le montage, etc. On cherche une dynamique qui fructifie l’œuvre et son cinéaste. Lorsque la thématique est forte et porte sur des valeurs humaines, comme l’amour du pays, etc. on tient compte de cela et de la large marge de liberté qu’il comporte même si le film en lui-même présente quelques faiblesses au niveau technique.
Source : https://lapresse.tn/
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