CONTREPOINT | CRÉER POUR EXISTER

Par Khaled TEBOURBI – La Presse de Tunisie – Ajouté le : 05-02-2019

Admiratifs, vraiment, de ce cinéma tunisien qui se renouvelle par vagues successives, ininterrompues, voilà plus de trois années.

Cela a commencé, on s’en souvient tous, par «Nhebbek Hedi» de Mohamed Attia, et un Prix de la première œuvre au prestigieux Festival de Berlin. Puis (peu importent les récompenses) ce fut une suite de films à grosses audiences et aux qualités partout reconnues. Les titres s’en retiennent comme des tubes déjà. On ne citera pas tout, mais le «nec» à nos yeux, le meilleur du «crû» : «Narcisse», «Zizou», «Dicta shot», «Les Frontières du ciel», «Hédi», bien sûr, et les plus  récents, «Fi inaya», «Fatwa», «Samahni», «Porto Farina» et «Dachra».

La dynamique, à vrai dire, ne nous est pas étrangère. Elle a marqué les débuts de la production filmique nationale, dans les années 60, les phases de développement, années 70-80, l’âge de maturité, enfin, de 90 à plus. À chacune de ces étapes, le cinéma tunisien a «bondi» par vagues successives et s’est renouvelé. Il se continuait, il se prolongeait, mais il était plus ou moins différent à chaque fois. À chaque fois porteur d’un autre imaginaire, d’un autre discours, d’autres thématiques, d’autres esthétiques.

La Tunisie de l’indépendance n’a pas toujours été la même, elle a connu l’apogée et le déclin du Bourguibisme, elle a subi l’effet des idéologies, elle a vécu des temps prolixes et des temps de récession, la dictature noire et la libération. Les désillusions mêmes de la libération. Son cinéma a, simplement, suivi. Pas que : ce faisant, il a accompli la seule grande mission exigée de lui, exigée de l’Art, de tout Art : celle de la création.

La création artistique est généralement reflet de l’Histoire. Mais il lui est surtout demandé d’écrire sa  propre Histoire. De marquer son passage et son temps. D’exister en tant que telle, comme expression unique, comme proposition nouvelle, comme spécificité.

À défaut, elle n’en est pas une. Jamais ! Elle est ou plagiat, ou mimétisme, ou l’exact contraire : une absence totale de forme et de fond.

Le cinéma tunisien a su s’éviter ce «vide», ce «manque à la postérité». Mais nos autres Arts ?

Le théâtre oui, sûrement. Il a eu son époque classique. Il a eu ses troupes régionales et ses pièces critiques. II a été brechtien, puis adepte de la nouvelle philosophie, puis surréaliste, puis moderniste et post-moderniste. Rien à redire : là encore des écritures différentes, des tons et des accents renouvelés. Indépendamment de ce qu’on aime ou on n’aime pas, un mouvement continu. Une dynamique créatrice, comme dans le cinéma.

La faille, maintenant : en musique. La seule musique. Il s’y passe comme un implacable arrêt, une suspension sans «issue». Le fait est que des musiques anciennes, des musiques fondatrices, des musiques au long cours perdent inexorablement place, mais sans être remplacées. Jusque-là, le processus historique de la musique s’est déroulé dans le parfait relais des écoles et des styles. Pionniers du siècle sonore, musiques de chanson, musiques de films, renouveau classique, compositions des années 60, des années 80. Les uns se substituant aux autres, mais dans le respect des bases, de la continuité. Le problème est qu’il y a eu cassure depuis. Les créateurs ne proposent plus rien. Les muses se sont comme tues. Ce que musiciens et chanteurs font : des reprises et des «relectures», au mieux. Du Rap et de «la guitare terroir», à défaut. De musique tunisienne à part entière, avec son expression unique, sa spécificité, ses relais, son style et son école, son histoire propre, il n’est pratiquement plus question aujourd’hui. Le risque est de ne plus exister du tout.

Auteur : K.T.

Ajouté le : 05-02-2019

Source : http://www.lapresse.tn/


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